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CONTRADICTIONS INTERNES DU CODAGE-ÉVALUATION

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 129-133)

VII - Information et codage

CONTRADICTIONS INTERNES DU CODAGE-ÉVALUATION

Le passage qui précède était un exposé sur la diversité que l'on peut rencontrer dans le flux de codage et d'évaluation; mais nous nous sommes arrêtés avant de prendre en considération les contradictions qui peuvent survenir dans des systèmes de ce genre.

Nous introduisons maintenant un degré de complexité complémentaire: nous affirmons qu'il est compréhensible que la contradiction (c'est-à-dire l'ambivalence) survienne dans n'importe lequel des types de codages qui ont été esquissés: elle peut se produire à tous les niveaux d'abstraction, et une contradiction donnée peut effectivement concerner deux ou plusieurs de ces niveaux. Dans la vie quotidienne comme dans l'expérience psychiatrique, on observe couramment qu'une personne peut voir et évaluer des événements semblables d'une certaine façon dans un ensemble de circonstances et d'une façon différente dans un autre concours de circonstances. La différence de situation qui détermine un changement de ce genre peut être soit interne (par exemple un changement d'humeur), soit externe (ce que

l'on peut approuver et valoriser en temps de guerre peut être considéré avec horreur en temps de paix). Des difficultés surgissent lorsque l'individu ne réussit pas à porter une attention suffisante au contexte de son évaluation et s'il fait équivaloir, par exemple, certaines actions pertinentes en temps de guerre avec certaines actions similaires en temps de paix. Il crée ainsi pour lui-même un concept ou une Gestalt (par exemple la «violence») qui sont chargés à la fois de valeur positive et de valeur négative.

Peut-être les humains pourraient-ils éviter les complications des conflits intérieurs et des conflits avec les autres s'ils étaient capables de rester lucides quant aux contextes de leurs perceptions et de leurs évaluations. Mais c'est quelque chose à quoi ils ne peuvent pas parvenir. S'il était possible de ne jamais confondre un type donné d'événement (E1) dans un certain ensemble de circonstances internes et externes (C1) avec 220 des événements semblables (E2) dans d'autres ensembles de circonstances (C2), tout irait bien. Mais ceci est impossible si l'on ne veut pas sacrifier tout le codage de type Gestalt. Le prix que l'homme paie pour l'économie que procure le codage Gestalt, c'est que celui-ci véhicule le risque d'ambivalence.

Après tout, la grande économie que permet ce type de code est précisément due au fait que cela nous met à même d'identifier El avec E2 (par exemple, de reconnaître un carré comme un carré bien qu'il nous soit présenté de différentes façons). Le codage en termes de Gestalten nous permet de résumer l'expérience et c'est du fait que l'expérience est résumée que provient l'ambivalence.

En outre, une seconde sorte de contradiction interne dans le système de codage-évaluation découle du fait que tout résumé est une condensation arbitraire des données non résumées. Toute étiquette de Gestalt est une catégorisation faite par l'homme d'événements dans un univers où ils pourraient être catégorisés de façons infiniment diverses. Dans l'instant même de la perception ou de l'action, l'individu applique de nombreuses étiquettes de ce genre à l'ensemble donné d'événements ou d'objets. Inévitablement, il y aura des cas où les étiquettes se chevaucheront et véhiculeront une valeur contradictoire ou des implications contradictoires pour l'action. En raison de la variété des contradictions internes de ce genre qui peuvent se produire, toute possibilité de passer en revue tout l'ensemble des ambivalences possibles est peut-être sans espoir; cependant, puisque l'on peut définir quelques types avec une certaine rigueur, nous en ferons la liste.

1. Il y a des cas où les Gestalten qui sont utilisées se chevauchent au même niveau d'abstraction. On peut décrire ces cas avec un diagramme. La figure 3 représente un univers d'objets et d'événements tels qu'un individu les perçoit, y compris, entre autres, les propres actions de cet individu lui-même. À l'intérieur de cet univers, il perçoit un sous-ensemble d'éléments comme constituant une unité en Gestalt A; il perçoit également un sous-ensemble différent qui forme aussi une autre unité en Gestalt B. Eh bien, s'il y a des éléments qui sont communs à A et à B et si A est valorisé positivement alors que B est valorisé négativement, le résultat sera une forme d'ambivalence.

Les éléments dans la zone de chevauchement seront valorisés positivement

221 quand ils seront perçus comme des parties de A, mais ils seront valorisés négativement quand ils seront perçus comme des parties de B.

Dans ce type de contradiction, il est important de remarquer qu'il n'y a pas nécessairement tendance à ce que la perception de la Gestalt A favorise la perception de la Gestalt B, ou vice versa; nous nous attendrions plutôt à ce que la perception de l'une gêne la perception de l'autre. Il est cependant facile d'imaginer des exemples dans lesquels la perception de l'une de ces Gestalten puisse orienter l'individu vers la perception de l'autre. Ce seraient là

des cas intermédiaires entre les premiers types de contradiction et les seconds que nous allons maintenant décrire.

2. Il y a des cas qui sont comparables

dans leur forme au fameux paradoxe de Russell [177]. On peut présenter ce paradoxe de la façon suivante: l'homme répartit des entités en classes, et chaque classe qu'il définit établit une classe d'autres entités qui ne sont pas membres de la première. Il remarque que la classe des éléphants n'est pas elle-même un éléphant, mais que la classe des non-éléphants est elle-même un non-éléphant. Il généralise que certaines classes sont membres d'elles-mêmes alors que d'autres ne le sont pas. Par conséquent, il établit deux 222

classes de classes plus grandes. Il lui faut alors prendre une décision: est-ce que la classe des classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes est un

membre d'elle-même ?

Si la réponse à cette question est «Oui», alors il s'ensuit que cette classe doit être l'une de celles qui ne sont pas membres d'elles-mêmes, puisque tous les membres sont de ce type - et, par conséquent, il faut que la réponse, en fait, soit «Non». Si, par contre, la réponse est «Non», alors il faut que la classe soit un membre de cette autre classe dont c'est la caractéristique que ses membres sont membres d'elle-même - il faut donc que la réponse soit «Oui»;

et ainsi de suite. Si la réponse est «Oui», il faut qu'elle soit «Non» - mais, si c'est «Non», alors il faut que ce soit «Oui».

Un autre paradoxe qui a essentiellement la même structure est celui de l'homme qui dit: «Je mens.» Est-ce qu'il dit la vérité ? Un modèle mécanique d'un système oscillant ou paradoxal de ce genre peut être utile au lecteur. La sonnette électrique courante d'une maison peut fournir un tel modèle. Cet appareil consiste en un électro-aimant qui agit sur une armature (un ressort métallique léger) à travers laquelle doit passer le courant qui active l'aimant. L'armature est disposée de telle façon que le courant est interrompu chaque fois que l'aimant est activé et fait courber le ressort. Mais le courant est rétabli par le relâchement du ressort quand l'aimant cesse d'agir. Nous pouvons traduire ce système en propositions logiques en donnant des noms aux positions du ressort: nous appellerons

«Oui» la position du ressort qui ferme le circuit; et nous appellerons «Non» la position opposée qui interrompt le circuit. Nous pouvons alors énoncer les deux propositions suivantes:

A. Si le ressort est sur «Oui», le circuit est fermé et l'électro-aimant opère;

par conséquent, le ressort doit aller à «Non».

B. Mais, si le ressort est à «Non», l'aimant n'opère pas, et par conséquent le ressort doit aller à «Oui».

C'est ainsi que les implications de «Oui» sont «Non» et que les implications de

«Non» sont «Oui». Ce modèle constitue une illustration précise du paradoxe de Russell dans la mesure où le «Oui» et le «Non» sont l'un et l'autre utilisés à deux niveaux d'abstraction. Dans la proposition A, «Oui» réfère à la position, tandis que «Non» réfère à la direction du changement; dans la proposition B,

«Non» réfère à 223 la position, tandis que «Oui» réfère a la direction du changement. Le «Non» auquel «Oui» est une réponse n'est donc pas le même

(figure 3)

que le «Non» qui est une réponse à «Oui».

De la même façon, le paradoxe présent dans l'énoncé «Je mens» peut être rapporté à une confusion de niveaux d'abstraction. Les deux mots, qui sont tout ce dont nous disposons, sont simultanément et à la fois un énoncé (niveau 1) et un énoncé (niveau 2) sur la fausseté du premier énoncé; et le second énoncé est d'un ordre d'abstraction plus élevé que le premier. Dans la présentation formelle du paradoxe par Russell en termes de «classes de classes», les niveaux d'abstraction sont devenus explicites et le paradoxe est élucidé.

Nous consacrons ici un certain développement à cette question des paradoxes parce qu'il est impossible d'aller loin dans la pensée sur la communication et le codage sans se précipiter dans des enchevêtrements de ce type; et de tels enchevêtrements d'abstraction sont courants dans les prémisses de la culture humaine (chapitre VIII) et chez les patients en psychiatrie. En fait, c'est ce type de contradiction interne que Korzybski [90] et l'école de la sémantique générale essaient de corriger dans leur thérapie. Leur traitement consiste à entraîner le patient à ne pas confondre ses niveaux d'abstraction. En fait, leur traitement suit les lignes de la résolution du paradoxe que Russell a tentée par l'assertion de la règle qu'aucune classe ne doit jamais être considérée

comme un membre d'elle-même.

Le lecteur, s'il soumet sa propre pensée à cheminer à travers le paradoxe russellien, observera qu'un élément de temps est impliqué. Pendant un moment, il est satisfaisant d'accepter la réponse «Oui»; mais il observera que, alors qu'il perçoit les détails plus intimes de la forme (Gestalt) établie par cette réponse, il est poussé à la rejeter. Alors, pour un moment, la réponse

«Non» est acceptable, jusqu'à ce que ses implications soient aperçues, et

ainsi de suite.

Du point de vue psychologique, cette caractéristique temporelle est importante: il ne s'agit pas d'un phénomène d'indécision statique, mais d'un phénomène d'«oscillation» dans le temps. Il est probable que dans la vie courante chacun a eu des expériences dans lesquelles une familiarité accrue avec une Gestalt conduit à la rejeter en faveur de quelque autre qui, ensuite, à son tour, 224 devient inacceptable. Ce sont, en fait, des systèmes de contradiction dans lesquels l'occupation temporaire de l'un des pôles promeut la préférence pour l'autre, et vice versa. Tenter de résoudre le conflit en faveur de l'une de ses polarités engendre ipso facto une préférence pour le pôle opposé. Le mécanisme est par conséquent très différent de celui dont nous avons parlé ci-dessus au point 1, bien que l'on puisse concevoir que les deux mécanismes fonctionnent en combinaison.

3. Une troisième forme de contradiction interne apparente dans le système de codage-évaluation est celle de la préférence circulaire [106]. Quand les possibilités sont présentées par paires, il peut survenir que: A est préféré à B;

B est préféré à C; et C est préféré à A. Dans un système de ce genre, on peut présumer qu'il y a impossibilité de décision quand les trois possibilités sont présentes simultanément. Les données concernant des systèmes de préférence de cette sorte sont maigres, mais le phénomène est d'une grande importance théorique. On dit que ce phénomène se produit dans des expérimentations sur les préférences esthétiques - par exemple quand des rectangles sont présentés par paires et que l'on demande au sujet d'exprimer une préférence pour un membre de chaque paire.

Les mécanismes impliqués dans la préférence circulaire peuvent être divers:

A. Il se peut que, dans la Gestalt «A + B», l'évaluation de chaque membre soit fonction de la présence de l'autre; de sorte que, lorsque B est

présenté en présence de C et que l'on veut la Gestalt «B + C», B sera évalué différemment et peut-être selon des critères différents.

B. Le mécanisme de décision peut consister en des entités à liaisons multiples ayant chacune sa propre affinité. Le mécanisme de décision total serait alors quelque chose comme le vote d'une population; et il est notoire que, dans de tels systèmes, s'il y a trois votants (ou trois partis égaux), il est possible à l'électeur qui n'envoie pas de candidat à l'élection de déplacer la décision sur celui des deux autres candidats qu'il préfère.

C. McCulloch a présenté un type possible de circuit nerveux produisant un résultat semblable; et l'on obtient un phénomène apparenté dans les solutions alternatives de certains types de jeux de von Neumann [168].

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On ne sait pas s'il y a d'autres types de contradictions internes ou si toutes peuvent être finalement réduites aux trois sortes que nous venons de mentionner ci-dessus.

COMMUNICATION À SENS UNIQUE: L'OBSERVATEUR NON OBSERVÉ

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