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EN QUOI CONSISTE LE CODAGE ?

Dans le document Td corrigé Gregory Bateson - Ma Pomme pdf (Page 114-118)

VII - Information et codage

EN QUOI CONSISTE LE CODAGE ?

Il est d'abord nécessaire de parler de certaines notions générales sur la nature des processus intrapersonnels et neurophysiologiques - assez générales pour être indépendantes des théories auxquelles le lecteur donne sa préférence. La notion de code est, pensons-nous, d'une nature si universelle qu'elle est commune à toutes les théories psychologiques, bien que ce ne soit pas toujours explicite.

Que nous soyons partisans des conceptions organicistes ou des conceptions mentalistes, il est clair que les processus intrapersonnels sont distincts et différents des événements du monde extérieur, et c'est le concept de codage qui renvoie à cette différence. En termes organicistes, on pourrait dire que les impulsions et les ondées d'impulsions qui circulent dans le système nerveux sont la représentation interne ou l'image des événements extérieurs dont l'organisme reçoit des informations par ses organes sensoriels. Ou bien, selon les théories mentalistes, on peut dire que les idées et les propositions (qu'elles soient verbales ou non verbales) sont la traduction ou le reflet d'événements extérieurs. Les tenants de l'une ou l'autre théorie - organiciste ou mentaliste - conviennent que les événements intérieurs sont différents de ceux du dehors: ils sont'des reflets ou des traductions d'événements qui se situent dans le monde externe. Le terme qu'utilisent les ingénieurs des communications pour désigner le fait de substituer un type

d'événement à un autre, de sorte que l'événement substitutif représente l'autre de quelque façon, c'est le terme «codage».

Les principes fondamentaux en fonction desquels l'information est codée dans le cerveau ou dans l'esprit des êtres humains sont encore inconnus, mais, selon ce que l'on sait des hommes et ce que les ingénieurs en communication peuvent nous dire, certaines généralités se dégagent.

D'abord, il faut que le codage, par nature, soit systématique. Quels que soient 195

les objets, les événements ou les idées qui, à l'intérieur de l'individu, représentent certains objets ou certains événements extérieurs, il faut qu'il y ait une relation systématisée entre ce qu'il y a dehors et ce qu'il y a dedans; sans cela, l'information ne serait pas utilisable. Pour les éléments qui ne sont pas systématisés dans un codage, les ingénieurs emploient le terme de «bruit»; si ces éléments aléatoires étaient trop nombreux, il n'y aurait pas de possibilité de «décodage» - c'est-à-dire pas de possibilité pour l'organisme de se gouverner en fonction des événements extérieurs (À strictement parler, il n'y a naturellement pas de «décodage», l'information codée, par exemple sous la forme d'impulsions nerveuses, peut guider l'organisme dans ce qu'il fait ou dans ce qu'il dit. Mais des productions de ce genre sont à nouveau des codages ou des transformations des trains d'impulsions nerveuses. L'information n'est jamais retraduite sous la forme même des objets auxquels elle renvoie).

Deuxièmement, il est évident qu'il faut que le codage soit tel que les relations entre parties soient conservées. Il est impossible à un homme d'avoir à l'intérieur de lui-même un arbre pareil à l'arbre qu'il perçoit à l'extérieur. Mais il est possible d'avoir des objets ou des événements internes ayant entre eux des relations qui reflètent celles qui existent entre les parties de l'arbre extérieur. Il est évident que des transformations très profondes interviennent dans tout codage - et, en effet, le codage est une transformation au sens mathématique du terme. On peut s'attendre, par exemple, à trouver certains cas où des relations spatiales dans le monde extérieur sont représentées par des relations temporelles dans le processus de l'esprit: quand l'œil inspecte un objet, la forme de l'objet est certainement transformée en une séquence temporelle d'impulsions dans le nerf optique. Et, dans d'autres cas, des séquences temporelles seront représentées par des relations spatiales dans le cerveau: un souvenir de séquences passées doit certainement être codé ainsi. Mais, quelles que soient les transformations du codage, l'information serait purement et simplement perdue si les relations qui existent entre les événements extérieurs n'étaient pas traduites d'une façon systématique en d'autres relations équivalentes entre d'une part des événements et d'autre part des processus de l'esprit [45; 182]. 196

En outre, les ingénieurs [27] sont capables de décrire plusieurs variétés de codage qui sont connues et avec lesquelles nous pouvons comparer et confronter ce qui semble se produire dans les processus mentaux chez les humains. En gros, il y a trois catégories importantes; on peut les rencontrer toutes les trois dans les processus mentaux chez l'homme. Ces trois types de codage trouvent aussi des exemples dans différentes sortes de machineries électroniques et on citera des exemples mécaniques pour donner une idée plus nette de ce à quoi renvoie le terme «codage».

Premièrement, il y a ce que les ingénieurs appellent le codage «digital». C'est une méthode utilisée couramment dans des machines à calculer de bureau; elles sont faites de dents qui s'engrènent; ce sont essentiellement des mécanismes de calcul qui comptent les dents qui s'engrènent et comptent combien de fois elles tournent

dans une interaction complexe. Dans ce type de codage, l'entrée diffère déjà très profondément des événements extérieurs auxquels la machine «pense». En fait, avec des machines de ce genre, il faut qu'il y ait un être humain qui code les événements extérieurs en des termes qui correspondent à leurs relations arithmétiques, et il faut introduire ce codage dans la machine d'une façon appropriée qui définisse quel problème elle doit résoudre.

Deuxièmement, il y a le type de machine à calculer que les ingénieurs appellent

«analogique». Dans ces équipements, les événements extérieurs à propos desquels la machine doit «penser» sont représentés en elle par un modèle reconnaissable.

Par exemple, un tunnel de soufflerie est une machine à penser de ce genre. Dans de telles machines, des changements dans le système extérieur peuvent être représentés par des changements correspondants dans le modèle à l'intérieur, et l'on peut observer les résultats de cette sorte de changements. Savoir si des mécanismes analogiques existent dans le système nerveux central des humains est extrêmement problématique, mais subjectivement nous croyons que nous formons des images du monde extérieur et ces images semblent nous aider dans nos pensées. La nature de ces images conscientes est toutefois obscure et, en tout cas, il est difficile d'imaginer que quelque véritable modèle analogique opère dans un système tel que le système nerveux central qui n'a pas de parties mobiles. En dehors du système nerveux central, cependant, 197 il y a une possibilité que l'ensemble des mobilités du corps soit utilisé comme composant analogique. Il est probable, par exemple, que certaines personnes éprouvent par empathie les émotions d'autres personnes par l'imitation kinesthésique. Dans cette façon de penser, le corps serait un modèle expérimental analogique qui copierait des changements de l'autre personne et les conclusions de ce genre d'expérience de simulation seraient tirées par le système nerveux central, plus digital, qui reçoit des indications proprioceptives. Il est certain également que les êtres humains utilisent souvent des parties du monde extérieur comme modèles analogiques pour s'aider à résoudre leurs propres problèmes internes. Par le fait, de nombreux patients utilisent le psychothérapeute de cette manière.

Troisièmement, il y a quelques machines qui sont capables de coder l'information en unités comparables à ce que les psychologues appellent des Gestalten [108]. Un exemple de ce genre de machine est l'appareil récemment inventé qui lit à haute voix ce qui est imprimé. La machine détecte les vingt-six lettres et produit un son différent pour chaque lettre. En outre, elle reconnaît ces lettres en dépit de petites différences entre diverses sortes et diverses tailles de caractères d'imprimerie, et les lettres sont également reconnues quelle que soit la place où leur image tombe sur l'écran. En somme, la machine doit admettre le déplacement latéral et vertical sur une «rétine» et doit permettre de petits mouvements de rotation. En réalisant ce genre d'identification, la machine fait quelque chose de très étroitement comparable à cette perception des formes par laquelle un être humain sait qu'un carré est un carré même si celui-ci peut être de n'importe quelle taille et présenté sous n'importe quel angle. La caractéristique essentielle de cette sorte de machines, c'est qu'elles peuvent identifier des relations formelles entre des objets et des événements du monde extérieur et classer des groupes d'événements de ce genre en fonction de certaines catégories formelles. Il est alors possible qu'un message qui dénote la présence d'un événement correspondant à une certaine catégorie spécifique soit transmis, peut-être, par un signal unique dans la machine.

Cette dernière possibilité, de résumer un message complexe en un unique «pip», c'est l'avantage que procure le codage en Gestalt. On peut ainsi obtenir une énorme économie de communication à l'intérieur de la machine. 198

On peut donner un exemple de la différence fondamentale entre le codage par Gestalt et un codage digital énumératif: on compare le codage dans le type de machine qui transmettra par câble une image en demi-teinte et le genre de codage que nous appelons vision. La machine transmet des millions de messages. Chaque message est la présence ou l'absence d'un «pip», telle présence dénotant la présence ou l'absence d'un point sur le bloc original. La machine n'est en aucune façon concernée par ce que le tableau représente. Par contre, un être humain qui regarde un tableau de ce genre voit qu'il représente un homme, un arbre ou Dieu sait quoi. L'ondée d'impulsions qui est initiée dans la rétine et qui voyage le long du nerf optique, par certains côtés, n'est pas différente des trains de «pips» transmis par la machine, mais, dans le cerveau, cette ondée nerveuse a un impact sur un réseau qui a pour caractéristique d'être capable de distinguer des relations formelles dans cette ondée - ces relations formelles sont, en fait, parentes de celles qui existent dans le tableau original. L'être humain est ainsi capable de classer en catégories de vastes secteurs du tableau sous forme de Gestalten.

La même vérité générale - que toute connaissance d'événements extérieurs est dérivée des relations que ceux-ci entretiennent -, on peut la reconnaître dans ce fait: pour parvenir à une perception plus exacte, un être humain aura toujours recours à un changement dans la relation entre lui-même et l'objet extérieur. S'il est en train d'examiner un point rugueux sur une surface au moyen du toucher, il fait bouger son doigt sur ce point; il crée ainsi une ondée d'impulsions nerveuses qui a une structure séquentielle définie; puis il peut dériver de celle-ci la forme statique et d'autres caractéristiques de la chose examinée. Pour estimer le poids d'un objet, nous le soupesons, et, pour inspecter soigneusement un objet qu'on voit, nous remuons les yeux d'une manière telle que l'imagé de l'objet se déplace à travers la fovéa. En ce sens, nos données initiales sont toujours des indications «dérivées premières»; elles sont des énoncés à partir des différences qui existent à l'extérieur, ou bien elles sont des indications sur des changements qui se produisent soit dans les objets, soit dans notre relation à eux. Des objets ou des circonstances qui demeurent absolument stables par rapport à l'observateur, sans changement dans leur propre mouvement, ni du fait d'événements extérieurs, sont toujours difficiles, peut-être 199 même impossibles à percevoir. Ce que nous percevons facilement, c'est la différence et le changement - et la différence est une relation.

Les tenants de la psychologie de la forme ont insisté sur la relation entre la

«figure» et le «fond», et, bien que notre préoccupation ne soit pas ici un exposé détaillé de la psychologie de la forme, il nous faut souligner une caractéristique majeure du phénomène figure-fond: il semble que la personne qui perçoit utilise le fait que certains organes terminaux ne sont pas stimulés: ceci est un élément pour parvenir à une compréhension plus complète de celles des impulsions qui proviennent des organes terminaux stimulés. Un sujet humain, s'il place sa main dans une boîte illuminée et fermée, peut dire, à partir des impulsions nerveuses de chaleur ou de douleur qui proviennent de sa main, qu'il y a quelque chose d'allumé, mais il ne peut pas discriminer si la lumière vient d'une petite source brillante ou bien si c'est une illumination générale de la boîte. Grâce à sa rétine, par contre, il peut immédiatement percevoir la différence entre l'illumination générale et une petite source de lumière. Ceci se fait en combinant dans le cerveau l'information que certains organes terminaux ont été stimulés avec l'information que certains autres ne l'ont pas été, ou ont été moins stimulés. De même, comme on l'a remarqué précédemment dans la transmission d'un cliché en demi-teinte, l'absence de «pip» sur le câble à un moment spécifique peut être un signal qui dénote l'absence d'un point sur le tableau. (Le système mécanique aurait pu tout aussi

facilement être réglé de façon que l'absence d'un «pip» sur le câble dénote la présence d'un point sur le tableau).

Cette aptitude du cerveau humain à utiliser Yabsence de certaines impulsions afférentes pour interpréter celles des impulsions qui parviennent effectivement semble être une condition primordiale du phénomène figure-fond. On peut considérer la faculté de distinguer entre l'illumination générale et une petite source de lumière comme une forme élémentaire de perception de Gestalt.

En outre, il semblerait qu'en créant des Gestalten celui qui perçoit élimine comme

«fond» inutile un grand nombre d'impulsions qui, en fait, parviennent sur les organes terminaux. La construction de Gestalten semblerait dépendre de quelque chose comme l'inhibition - une négation partielle de certaines impulsions - qui permet 200 à celui qui perçoit de se consacrer aux «figures» qui sont importantes pour lui.

L'une des caractéristiques de l'information codée découle de ce qui a été dit plus haut, spécialement dans la discussion de l'hypothèse figure-fond. C'est le fait que l'information est toujours multiplicative. Chaque élément d'information a pour caractéristique qu'il fait une assertion positive et qu'en même temps il fait une dénégation de l'opposé de cette assertion. La perception la plus simple que l'on puisse imaginer, sur laquelle on peut présumer que reposent, par exemple, les tropismes des protozoaires, dira obligatoirement à l'organisme qu'il y a de la lumière dans telle direction et pas de lumière dans telle autre direction. De nombreux éléments d'information peuvent être plus compliqués que cela, mais il faut toujours que l'unité élémentaire d'information contienne au moins ce double aspect d'affirmer une vérité et de nier quelque autre contraire qui, souvent, n'est pas défini. De ceci découle que, lorsque nous avons deux «bits» [155] d'information, la gamme des événements extérieurs possibles auxquels peut référer cette information est réduite non pas à la moitié mais au quart de ce qu'elle était au départ; de même, trois «bits» d'information restreindront la gamme possible des événements extérieurs à un huitième.

La nature multiplicative de l'information peut être illustrée par le jeu des vingt questions. Il faut que celui qui pose les questions dans ce jeu identifie en vingt interrogations quel objet a en tête celui qui lui répond. Ce dernier ne peut répondre aux questions que par «Oui» ou par «Non». Chaque réponse segmente la quantité possible des objets auxquels pourrait penser le répondeur, et, si celui qui interroge organise ses questions correctement, il peut en vingt demandes trouver parmi quelque chose qui dépasse le million d'objets lequel est celui que le répondeur a en tête (220 = 1.048.576).

L'interrogateur structure l'univers, possible des objets par un système ramifiant de questions; ceci constitue ce que nous appellerions un «système de codage» et un petit essai de ce jeu donnera au lecteur une idée des difficultés qui surviennent dans la communication lorsque les deux personnes n'ont pas des systèmes de codage qui se correspondent d'une façon précise - c'est-à-dire quand le répondeur comprend mal les questions. Si le jeu est joué strictement selon les règles, il n'y a presque pas 201 de façons de corriger de tels malentendus: celui qui pose les questions ne peut guère détecter ce qui est arrivé.

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