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Structure d’Etudes : Violoncelle de l’Association Vaudoise des Conservatoires et Ecoles de Musique

PARTIE A : PROBLEMATIQUE

Chapitre 3. Les documents-cadres : Aspects concernant les débuts au violoncelle

3.2 Structure d’Etudes : Violoncelle de l’Association Vaudoise des Conservatoires et Ecoles de Musique

Pour les raisons indiquées en ouverture de ce chapitre, nous tenions à intégrer dans notre étude le document de référence pour l’enseignement du violoncelle dans les écoles de musique vaudoises qui était en vigueur au moment de notre recherche de terrain.

Malheureusement le seul document de référence que nous avons pu trouver est celui qui avait été édité par l’AVCEM en vue de cadrer les examens d’entrée, mais seulement à partir du niveau « Moyen ». Même si ce document, dans sa partie introductive, présente un tableau résumant la « Structure d’études » (AVCEM, 2001, p. 3) et que, dans ce tableau, figurent deux niveaux pour les premières années d’apprentissage, à savoir le niveau

90 L’AVCEM a été transformée en Fédération des Ecoles de Musique (FEM) en 2018, dans le cadre de l’application de la Loi sur les Ecoles de Musique (LEM). La FEM a ensuite édité un nouveau Plan d’Etudes. Mais, étant donné que notre expérimentation a eu lieu en 2016 et 2017, c’est le document de l’AVCEM de 2001 que nous allons prendre en considération.

91 « Au 1er septembre 2010, ces trois écoles issues de la Fédération des écoles genevoises de musique (FEGM) ont intégré la Confédération des écoles genevoises de musique (CEGM). Les principes directeurs communs aux trois écoles restent néanmoins en vigueur pour l’année scolaire 2016-2017» https://www.dalcroze.ch/informations-pratiques/cegm-dalcroze/3-ecoles-1-plan-d-etude/ Notre expérimentation ayant eu lieu en 2016 et 2017, nous avons pris en considération le Plan d’Etudes de 2009, même si un nouveau plan d’études a été publié ultérieurement.

92 Programme des examens. Examens par niveaux : liste des morceaux (Nous traduisons).

« Préparatoire » et le niveau « Elémentaire », il semble bien que cette association n’a pas édité de document-cadre pour ces deux niveaux-là. Cela peut sembler d’autant plus étonnant que le tableau, qui inclut donc tous les niveaux, est complété de quelques

remarques, dont celle-ci :« Le passage d’un niveau à l’autre est sanctionné par un examen » (p. 3). Nous en déduisons que, malgré la présence de cette structure d’ensemble de la formation et malgré l’affirmation d’intentions globales, le passage du niveau

« Préparatoire » au niveau « Elémentaire » n’avait pas été considéré comme devant être codifié, une option qui ne nous étonne qu’à moitié. En effet, surtout à cette époque-là, les débuts à l’instrument tendaient à être considérés comme une étape d’initiation, d’entrée en matière, ne faisant pas partie du cursus au même titre que les niveaux suivants.

Nous avons décidé de nous pencher quand même sur le document en question, avec le projet d’y rechercher, coûte que coûte, les informations qui nous intéressaient concernant l’enseignement de l’interprétation aux débutants. En effet, si le document précise les

critères d’entrée au niveau « Moyen », on peut en déduire que ceux-ci correspondent en fait aux acquisitions attendues des élèves à l’issue des deux niveaux fondamentaux, c’est-à-dire après deux à cinq ans d’instrument. Par ailleurs nous espérions trouver dans les

formulations de ce document des indices de la « culture curriculaire » qu’il véhicule.

Le document de l’AVCEM présente, dans sa partie introductive, non seulement le tableau

« Structure d’études » et ses remarques annexes, mais aussi toute une série d’informations de nature générale. On y trouve notamment certaines indications concernant l’historique d’élaboration du document mais aussi – et ces aspects vont s’avérer pertinents pour notre étude – quelques « principes généraux » concernant l’évaluation, des principes qui doivent s’appliquer à tous les instruments. La partie consacrée plus spécifiquement au violoncelle vient ensuite, à partir de la page 4.

Voici les éléments figurant à propos de l’entrée en « Moyen » :

a) Objectifs

Extension avant et arrière

Approche des changements de positions Divisions irrégulières.

b) Programme d’examen Une gamme

Une étude ou exercice comprenant les difficultés ci-dessus Un morceau à choix.

c) Exemples

Martinu : Suite miniature

Bréval : Concertino no 4 en Do majeur et 5 en Ré majeur

Bartok : 18 duos, Klassicherstücke für Anfänger, Violoncellomüsik für Anfänger 2 [sic]. (p. 4)

Même si les objectifs décrits sont uniquement techniques et qu’une épreuve du programme d’examen prévoit de la technique instrumentale ‘pure’ sous la forme d’une gamme, les exemples de répertoire93 demandent implicitement la maîtrise de plusieurs paramètres interprétatifs, que nous nous proposons maintenant de reconstruire. Nous commencerons

93 Les partitions correspondant aux exemples ou propositions de répertoire que nous étudions de près ne peuvent pas être reproduites dans ce texte, pour des raisons de copyright. Les références de ces textes se trouvent en bibliographie.

par les pièces qui font partie du répertoire de concert, pour passer ensuite aux pièces dites

‘pédagogiques’.

Les Duos de Bartok, issus des Duos pour deux violons, sont de courtes pièces inspirées du répertoire folklorique d’Europe de l’Est. Le deuxième Duo, Slowakisches Lied (Chanson slovaque, cf. Annexe 3a), soit celui qui est donné comme exemple de pièce d’examen, demande la maîtrise de plusieurs savoirs interprétatifs.

Tout d’abord, il y faut une maîtrise d’un tempo (molto moderato) et d’une nuance (piano) différents de ceux des autres Duos, des paramètres qui, loin de se résoudre à des aspects purement techniques, requièrent une certaine expressivité dans le jeu.

Deuxièmement, l’exécution de ce morceau demande à l’instrumentiste de maîtriser un phrasé particulier, avec une première phrase de 10 mesures qui est transposée ensuite d’une quinte. Ces deux phrases sont reliées par l’intervention en solo du deuxième

violoncelle. Le morceau se termine par une coda qui répète la fin de la première phrase, ce qui implique de faire des choix dans les modes de jeu lors de cette répétition : faut-il en effet jouer comme la première fois ou différemment ?

Troisièmement, l’exécution de cette œuvre musicale requiert non seulement de la prendre en considération dans sa totalité et dans toute sa complexité mais aussi de coordonner son propre jeu à celui du deuxième violoncelle.

Pour terminer, rappelons que les Duos de Bartok sont fréquemment joués dans les

programmes de concert, tout aussi bien dans leur version originale (pour deux violons) que dans la version pour deux violoncelles.

La Suite Miniature de Martinu s’avère encore plus complexe du point de vue interprétatif.

Il s’agit d’une suite de sept pièces, dont chacune dure le double de celle de la pièce de Bartok que nous venons d’analyser. Les différentes pièces sont contrastées, présentant une grande variété de nuances, de modes de jeu, d’articulations et de rythmes, et elles offrent un dialogue riche avec la partie de piano. Il s’agit de véritables morceaux de concert, qui ont été et sont encore aujourd’hui joués lors de récitals professionnels et qui sont souvent demandés dans les concours pour jeunes violoncellistes ; ces pièces sont enregistrées sous des labels de maisons de disques94.

Les deux Concertinos de Bréval font en revanche partie du répertoire pédagogique, même s’ils trouvent leur origine dans le répertoire de concert. Jean-Baptiste Bréval (1753-1823) était un virtuose de cet instrument et nos recherches actuelles tendent à indiquer que certaines de ses pièces telles que, précisément, ses Concertinos, sont en fait des

transcriptions/réadaptations d’autres de ses compositions. On a affaire là à une coutume en vigueur dans la première moitié du XXe siècle, qui voulait que les professeurs de violoncelle arrangeaient à leur manière propre le matériel provenant du répertoire, ceci afin d’acculturer leurs élèves. Ainsi ils organisaient, arrangeaient et classaient une littérature composite en vue de créer un matériel didactique, qui était encore inexistant

94 https://www.youtube.com/watch?v=LyVDFQ9BFAU, https://www.youtube.com/watch?v=R7J3t-lAKoE

jusqu’alors. Par exemple, le premier mouvement du Concertino no 4 est en réalité le Duo N.°

16 figurant dans le Traité de Bréval (1804), avec ajout d’un accord au début et d’autres petites variations ; le Concertino n° 5 en Ré majeur est, quant à lui, un exercice en forme de duo pour deux violoncelles qui est issu du même traité de Bréval. Dans les deux cas, la partie du deuxième violoncelle de l’original a été arrangée pour piano et harmonisée par Ruyssen.

Dans le répertoire qui est proposé par la Structure d’études : Violoncelle de l’AVCEM, se trouvent ainsi plusieurs savoirs interprétatifs implicites. En plus de ceux que nous venons d’énoncer, il convient de faire également référence à la notion de style. Dans le cas de Bartok et Martinu, il s’agit de compositions musicales du XXe siècle alors que, pour Bréval, il s’agit de la période préclassique. Or il y a des manières diversifiées de jouer, de produire le son et de phraser qui sont typiques de l’une ou de l’autre période. Il est impossible de faire abstraction de tels savoirs, sous peine que l’exécution de l’œuvre en soit fortement compromise.95

D’ailleurs, de tels aspects interprétatifs sont mentionnés dans le document de l’AVCEM, plus précisément au début de celui-ci, sous la forme de principes généraux applicables à tous les instruments :

a) Les pièces d’examen doivent être exécutées avec musicalité, dans le style du compositeur, et dans le tempo approprié.

b) L’élève doit faire preuve d’une maîtrise technique correspondant à son niveau.

c) Il doit être au courant de l’époque, du style et de la forme du morceau qu’il exécute.

(p. 2, nous soulignons)

Arrêtons-nous ici à quelques termes et expressions de cet énoncé qui, à notre avis, reviennent en fait à formuler des injonctions en matière d’interprétation.

Le premier terme qui nous frappe est « musicalité ». La musicalité, qu’est-ce que c’est ? Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) la définit de la manière suivante :

(en parlant d'une interprétation musicale): Expressivité, qualité de jeu. Synon. jeu musical*. Isabelle s'est vu décerner un premier prix [de harpe] avec félicitations pour sa musicalité […].96

La musicalité correspond donc à des paramètres expressifs et, puisque la musicalité est attendue des élèves, cela signifie bien, à notre avis, que le professeur est censé enseigner de tels paramètres ! Parmi les paramètres expressifs de nature plutôt technique nous pouvons citer les contrastes de nuances, les différentes attaques et les articulations d’archet et, parmi les paramètres expressifs davantage axés sur le rendu musical, nous pouvons citer la conduite du phrasé ou encore la gestion du temps musical (rallentandi ou accellerandi non écrits, rubato).

La deuxième expression qui attire notre attention est le « style du compositeur ». A notre avis, cette expression implique non seulement un aspect historique, mais une dimension interprétative au sens plein. L’instrumentiste doit en effet procéder à des choix quant à la

95 Les nombreux enregistrements de ces œuvres, qui sont désormais disponibles pour tout un chacun sur des plateformes telles que YouTube, constituent des référents stylistiques facilement accessibles.

96 http://www.cnrtl.fr/definition/musicalit%C3%A9

manière de jouer les œuvres de tel ou tel compositeur, en assurant une cohérence interne qui s’appuiera sur des sources diverses et variées telles que le contexte historique ou la vie du compositeur lui-même, etc. L’interprète sélectionne ces paramètres de jeu suivant des critères qui vont être à la fois objectifs, comme ceux que nous venons d’indiquer, mais également subjectifs.

Enfin, le « tempo approprié » est lui aussi une question de choix. N’importe quelle œuvre musicale peut être jouée en puisant dans une palette de tempi qui vont tous être considérés comme appropriés, que ce soit par le public, par la critique musicale ou par les

professionnels.97

Enfin, si nous regardons maintenant ce qui est indiqué sous la lettre c) des principes généraux rappelés ci-dessus, nous voyons qu’il y est fait mention de notions qui ressortent de l’histoire de la musique et de l’analyse musicale, à savoir l’époque, le style et la forme du morceau. Etant donné que les épreuves sont uniquement instrumentales et qu’aucun entretien oral n’est prévu, il semble évident que les savoirs qui sont énoncés ici doivent transparaître dans le jeu instrumental, donc dans l’interprétation de l’élève.

En guise de conclusion, nous dirions que le document Structure d’Etudes : Violoncelle de l’AVCEM fait référence à une multitude de savoirs interprétatifs qui sont indispensables pour jouer les œuvres proposées ou laissées à choix, mais il le fait de manière implicite.

Certes des critères de cet ordre sont énoncés en tant que paramètres qualitatifs

d’évaluation mais ils ne constituent pas pour autant des objectifs d’apprentissage au même titre que les savoirs techniques. Par ailleurs, si l’on se rappelle qu’il n’existe aucun

document détaillant les attendus pour les deux premiers niveaux d’apprentissage, nous pouvons dire que les enseignants sont vraiment laissés seuls juges de la manière de faire qu’ils peuvent ou veulent adopter avec leurs élèves débutants, et cela concerne bien évidemment – et peut-être surtout – l’enseignement de l’interprétation.