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Stratégies des RTO vis-à-vis des pressions institutionnelles et évaluation de leur performance

Section 2. Questions de recherche

3.2.2. Stratégies des RTO vis-à-vis des pressions institutionnelles et évaluation de leur performance

Une critique récurrente envers la théorie néo-institutionnelle est liée à son « supposé » déterminisme (Scott et Meyer, 1994 ; Huault, 2009) i.e. aux faibles degrés de liberté dont les acteurs disposent en réalité. En effet, les principes fondateurs de la TNI, comme l’isomorphisme et l’homogénéité, sont intimement liés au conformisme social et intègrent les pressions sociales et culturelles subies par les organisations qui, de ce fait, apparaissent contraintes et finalement « captives de leur

environnement institutionnel » (Tolbert et Zucker, 1983). Au niveau individuel, la

prise en compte de l’encastrement des acteurs, que ce soit dans leurs relations sociales (Granovetter, 1985) ou dans leur environnement institutionnel (Baum, J. A. C. et Oliver, 1992a), conduit à un constat paradoxal (le « paradoxe de l’agent

encastré ») décrit par Holm (2002, p. 398) : « comment les agents peuvent-ils changer des institutions si leurs actions, leurs intentions et leur rationalité sont

toutes conditionnées précisément par ces institutions qu’ils veulent changer ? ».

Ainsi, quel que soit le niveau considéré (organisation ou acteurs individuels), la TNI semble reposer sur une base déterministe. La littérature ne s’est donc que très peu intéressée à l’étude des réactions possibles des acteurs. Un revirement est cependant intervenu dans le début des années 1990. A cette époque, Powell (1991) reconnaît lui- même ne pas s’être suffisamment intéressé aux possibles réactions des acteurs et des organisations dans ses premiers travaux, soulignant que « much of the imagery of

institutional theory portrays organizations too passively and depicts environments as overly constraining. There is a wide range of institutional influences, and internal responses to pressures are more varied than is suggested by our initial arguments »

(Powell, 1991, p. 194). La théorie néo-institutionnelle n’implique pas de déterminisme strict. Différentes « solutions » ont d’ailleurs été proposées pour résoudre le paradoxe de l’agent encastré. Beckert (1999) a ainsi avancé, que si les agents sont effectivement encastrés, ils ont la capacité de prendre du recul par rapport à ces influences, de se « désencastrer » de leur environnement institutionnel et ainsi de recouvrer une vision élargie des possibilités existantes et la capacité de réaliser leurs propres choix stratégiques. Une fois sa réflexion menée à bien, l’acteur entre dans un processus de réencastrement, destiné à convaincre les autres acteurs de la pertinence de sa nouvelle solution, et qu’il transforme ainsi, progressivement et à son tour, en institution. Par ailleurs, la multiplicité des pressions et la variété des attentes institutionnelles permettent, dans une certaine mesure, aux acteurs de choisir celles correspondant à leurs valeurs. L’exploitation de ces différentes tensions et contradictions, offre ainsi aux acteurs la possibilité de reconquérir une certaine capacité d’action (Leca, 2006).

D’autres développements de la théorie néo-institutionnelle remettent également en cause son caractère déterministe. La définition de la notion d’entrepreneur institutionnel, par exemple, implique que les acteurs disposent d’un pouvoir de créer ou de faire évoluer les institutions (même si cela a surtout été souligné pour les champs émergents ou en crise, (Aldrich et Fiol, 1994 ; Lawrence, T. B., 1999). Selon Eisenstadt (1980), l’entrepreneur institutionnel se caractérise, par exemple, par sa capacité à modifier son environnement institutionnel. Plus largement, la notion de travail institutionnel (i.e. l’ensemble des « action[s] intentionnelle[s…] visant à

créer, maintenir ou déstabiliser les institutions » (Lawrence, T. B. et Suddaby, 2006)

permet de prendre en considération les différentes actions mises en œuvre par certains acteurs, aux logiques d’actions parfois conflictuelles (Ben Slimane et Leca, 2010). Cette prise en compte de la possibilité de réaction des acteurs du champ, et donc, d’une certaine façon, la remise en cause du caractère déterministe de la théorie, par l’introduction de l’idée que le changement n’est pas nécessairement le résultat de pressions exogènes, constitue une rupture fondamentale, qui a conduit certains auteurs, tels que DiMaggio (1988) et Zucker (1988) à distinguer ces travaux au sein d’un courant indépendant dans la théorie néo-institutionnelle, qualifié de néo- institutionnalisme « étendu ». Toutefois, à l’instar de Hirsch et Lounsbury (1997), nous considérons que l’étude des réactions des acteurs, et du changement qui en découle, s’inscrit dans les fondements même de la littérature néo-institutionnelle. Cette idée est, en effet, déjà présente dans l’article fondateur de DiMaggio et Powell (1983), qui prend en compte les capacités stratégiques des acteurs. Selon Rojot (1997a), ces aspects sont même déjà présents dans les travaux institutionnalistes de Commons et d’Hauriou, qui considèrent que l’acteur n’est pas « un outil aveugle de

l’institution » (Rojot, 1997a, p. 13).

Ce constat, intégrant la capacité de réaction des acteurs, ne se limite pas à un niveau individuel, mais s’avère également applicable au niveau organisationnel. Paradis et Cummings (1986) ont, par exemple, montré que les organisations conservent la possibilité de négocier et/ou de faire des compromis. Les organisations peuvent ainsi agir sur leur contexte institutionnel (Davis et Greve, 1997 ; Westphal et Zajac, 2001) en développant tout un panel de stratégies adaptées.

Dans ce travail, nous adoptons la posture reconnaissant le rôle potentiellement actif des acteurs et/ou des organisations du champ institutionnel. De ce fait, limiter notre étude à la seule analyse des pressions institutionnelles aurait pour conséquence un biais notable, dans la mesure où ce préalable limiterait de facto notre analyse à un aspect seulement de notre objet de recherche. C’est pourquoi, pour comprendre l’évaluation de la performance des RTO, il importe d’interroger les réactions stratégiques mises en place par les RTO, en réponse aux pressions institutionnelles

qu’ils subissent. Celles-ci ont été colligées par Olivier (1991), à partir d’une étude approfondie de la littérature. Cette contribution originale et fondamentale propose également une analyse des antécédents de chacune de ces options stratégiques.

Olivier (1991) distingue cinq grands types de réponses stratégiques possibles aux pressions institutionnelles, à savoir l’acquiescement, le compromis, l’évitement, le défi et la manipulation. Cet auteur en propose une typologie graduée allant de la réponse la plus passive, (i.e. l’adhésion aux règles) à une réponse délibérément hostile (défi et manipulation). Chacune de ces stratégies peut se concrétiser par le biais de trois tactiques différentes. Le Tableau 10 présente ces différentes stratégies, de la plus passive à la plus active, ainsi que les tactiques correspondantes.

Tableau 10 : Réponses stratégiques possibles aux pressions institutionnelles (Source : traduit d’Oliver, 1991)

Stratégies Tactiques Exemples

Acquiescer Agir par habitude Imiter Suivre des normes invisibles, prises pour acquis Imiter les modèles institutionnels Se soumettre Obéir aux règles et accepter les normes

Faire un compromis

Équilibrer Équilibrer les atteintes des nombreuses parties prenantes Pacifier Apaiser et s’accommoder des demandes des parties prenantes Négocier Négocier avec les parties prenantes institutionnelles Éviter Travestir Dissimuler Déguiser la non-conformité Relâcher les liens institutionnels

Fuir Changer d’objectifs, d’activités ou de domaines Défier Ignorer Contester Ignorer des normes et valeurs explicites Remettre en cause les règles et les exigences

Attaquer S’en prendre aux sources de pressions institutionnelles Manipuler Coopter Influencer Intégrer en son sein les entités influentes Modeler les valeurs et les critères

Contrôler Dominer les éléments et processus institutionnels

Ainsi, après avoir identifié et qualifié les multiples pressions institutionnelles subies par les RTO, notre réflexion nous amène à considérer les questionnements suivants : Les RTO développent-ils des réponses stratégiques face aux pressions institutionnelles ? Si oui, lesquelles ? En d’autres termes, comment participent-ils aux luttes institutionnelles et comment défendent-ils leurs intérêts ? Enfin, quel est l’impact de ces stratégies sur l’évaluation que font les RTO de leur performance ? Ces questionnements peuvent être synthétisés par la question de recherche suivante :

Question de recherche 2 : Quelles réactions stratégiques les RTO adoptent-ils vis-à-vis des pressions institutionnelles ?

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3.2.3. Logiques institutionnelles et évaluation de la performance des RTO

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