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Section 1. Évaluation et performance, des notions complexes

2.1.2. La performance : une notion volontairement floue

Le mot performance tire ses prémices étymologiques de l’ancien français

performance (« accomplissement, exécution »), lui-même issu du latin performare

(« former entièrement »). Oublié pendant quelques siècles, il réapparait au XIXème siècle, après une incursion dans la langue anglaise et par le truchement des turfistes, qui l’utilisent pour qualifier les résultats et succès obtenus par les chevaux de course (Académie française, 2011).

De ces pérégrinations historiques, le mot performance a conservé aujourd’hui deux acceptions ; il peut alternativement désigner un processus ou un résultat.

La performance, envisagée comme processus est surtout illustrée dans le domaine artistique. Ainsi, dans l’art contemporain, le terme « performance » désigne une forme d’expression artistique où l’œuvre réside dans son exécution elle-même, le plus souvent en interaction avec le public. Éphémère, elle suppose des qualités particulières de la part de l’artiste. La performance est alors en elle-même la manifestation publique d’une maîtrise technique et artistique, d’une prouesse.

La seconde acception du mot performance – la plus courante aujourd’hui – désigne un résultat. Dans un article séminal sur la notion de performance en sciences de gestion, Bourguignon (1997) propose une typologie de la performance qui établit une distinction nette entre la performance-résultat et la performance-réussite58. Elle affirme cependant que pour « la plupart des usages du mot en gestion, la

performance contient simultanément deux de ces sens primaires. L’association la plus fréquente est celle du résultat positif de l’action ». En effet, en plus de faire

référence à un résultat (Bouquin, 2004), le mot performance conserve le plus souvent de ses origines étymologiques associées au sport, une connotation positive de succès, d’exploit, de prouesse. Ces deux derniers termes sont d’ailleurs les plus proches synonymes du mot performance59. Une illustration de l’existence tangible de ces

58 La typologie établie par Bourguignon (1997, p. 91) comprend (donc) 3 aspects de la performance : la performance comme

action ou processus, la performance comme résultat et la performance, comme succès. Cet auteur ajoute que la signification du terme performance comme résultat ou comme succès, dépend généralement du nombre du mot. Ainsi, utilisé au pluriel, le terme de performance fait davantage référence à un résultat quel qu’il soit, alors qu’au singulier, le terme de performance ferait davantage référence à un résultat positif, à un succès.

59 Source : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRS), Performance, article consultable à l’adresse

connotations est manifeste dans le domaine mécanique. En effet, le terme

performances y est utilisé pour désigner non pas tant les caractéristiques techniques

(ou résultats) des voitures ou des machines, mais les capacités maximales qu’elles peuvent atteindre.

Dans le domaine de la gestion, l’association assez constante de ces connotations étymologiques (prouesse, exploit, etc.) au mot performance entraine des conséquences pratiques significatives. En effet, ces connotations peuvent s’ériger implicitement en valeurs de référence pour les organisations ou pour leurs membres, qui associent alors au mot « performance » des représentations idéologiques comme l’effort, le dépassement, le progrès ou le succès (Bourguignon, 1997). Selon Aubert (2006), cette évocation implicite – mais bien présente – d’un nécessaire dépassement exceptionnel des résultats, peut alors conduire à une élévation des exigences sociales et à une augmentation constante de la pression s’exerçant sur les individus.

La prégnance de ces connotations a également pour conséquence de compliquer (voire de rendre presque impossibles …) les tentatives d’une définition de la notion de performance en gestion. En effet, si dans le domaine sportif, un ensemble de conventions claires (les règles du jeu) délimitent, avec précision et sans appel, les critères permettant de définir ce qu’est une réussite ou une performance (franchir plus rapidement que les autres une certaine distance, envoyer une balle à un certain endroit plus souvent que son adversaire, etc.), en gestion, il existe en revanche autant de représentations de la performance que d’individus. La performance, étant « une affaire de perception », elle « a autant de facettes qu’il existe d’observateurs à

l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation, […] Pour un dirigeant, la performance pourra être la rentabilité ou la compétitivité de son entreprise ; pour un employé, elle pourra être le climat social ; et pour un client, la qualité des services rendus. La multiplicité des approches possibles en fait un concept surdéterminé, et curieusement, il demeure indéterminé en raison de la diversité des groupes qui composent l’organisation » (Saulquin et Schier, 2005, p. 6). Ce paradoxe entre surdétermination

et indétermination participe à expliquer la complexité de la définition de la performance. Cela ajoute également de la complexité à son évaluation. En effet, l’ambiguïté de la définition se répercute sur les instruments de gestion et la mesure

qui est effectuée n’est alors pas « neutre » (Bouckaert et Halligan, 2007). Alors que les outils semblent relativement objectifs de prime abord, ils sont en réalité eux- mêmes sujets à une « irréductible composante culturelle » (Bourguignon, et al., 2002). Dans le cas de relations inter-organisationnelles comme les alliances, Arino (2003) souligne que la problématique est la même. Les visions de la performance peuvent se révéler très différentes : atteinte des objectifs stratégiques spécifiques de chacun, rentabilité de l’objet de l’alliance (le produit ou la filiale développé(e) en commun), satisfaction tirée par chacun de la relation, etc. Cela s’avère encore plus prégnant dans le cas des RTO où, comme nous l’avons souligné dans le premier Chapitre (cf. 1.1.1, p. 23) ainsi que dans l’Annexe 1, il existe une grande diversité et hétérogénéité des membres et de leurs objectifs.

La multiplicité des connotations et des représentations rend donc la notion de performance éminemment multiple, protéiforme, changeante (car les représentations des individus évoluent) et finalement assez subjective… et vient, à son tour, compliquer encore la définition et l’évaluation de la performance. Cette double réalité sémantique et conceptuelle ne constitue toutefois pas une véritable limite, dans la mesure où Bourguignon (1997) souligne que les chercheurs, mais aussi, voire surtout, les praticiens n’ont pas forcément intérêt à s’accorder sur une définition précise de la performance. En effet, l’absence de « carcan » précis permet de profiter de sa connotation plutôt positive (succès sportif, exploit) tout en laissant une marge de liberté aux acteurs dans l’interprétation qu’ils font de la performance. Ainsi, les praticiens peuvent laisser leurs subordonnés attribuer à la performance les valeurs qui leur correspondent le mieux. En « maniant l’ambiguïté comme un outil de gestion », ils évitent de coûteux conflits sociaux (Landry, 1995). Ils peuvent également adopter, parmi les valeurs organisationnelles traditionnellement associées à la performance (réussite, succès, effort, exploit, compétition, etc.), celles qui sont le plus en accord avec les exigences de l’organisation (Bourguignon, 1997). En cela, la performance constitue un construit culturel60, qui peut fonder les bases d’un mythe

60 En tant que construit culturel, la notion de performance peut faire référence à des visions différentes des liens unissant

l’entreprise et la société (Gond et Igalens, 2010). La performance est ainsi tour à tour décrite dans la littérature comme assurant la régulation socio-économique (Carroll, 1979) ou la répartition des pouvoirs entre des acteurs de la société (Clarkson, 1995).

organisationnel61, mobilisateur ou rationalisateur (Saulquin et Schier, 2005). De leur côté, les chercheurs ne se privent d’aucune signification possible et peuvent donc embrasser la totalité du champ sémantique et des définitions possibles de cette notion (Bourguignon, 1997).

Bourguignon (1997, p. 91), dans une volonté de synthèse, souligne l’importance de la prise en compte des objectifs des organisations dans l’évaluation de leur performance et propose ainsi de définir la performance comme étant « la réalisation des objectifs

organisationnels quelles que soient la nature ou la variété de ces objectifs ». En

évitant de faire référence à la notion de succès (ou d’échec), cette définition permet d’éviter les risques liés à la présence de ces connotations en matière d’évaluation. En effet, Arino (2003) rappelle que réfléchir en terme de succès ou d’échec peut conduire à des évaluations très tranchées, presque binaires, ne laissant que peu de place à la nuance, et ce, malgré la complexité des phénomènes, des organisations ou des objets étudiés, dans la mesure où le produit, la relation, l’organisation, etc. sont alternativement perçus comme un succès ou un échec. L’intérêt focalisé sur les objectifs permet également de mettre l’accent sur deux notions fondamentales, à savoir l’efficacité et l’efficience. L’efficacité représente le rapport entre un résultat obtenu et les objectifs attendus. Elle traduit donc la capacité d’une organisation à produire un résultat spécifique, attendu et mesurable, celui-ci pouvant varier selon les parties prenantes. Toutefois, et contrairement à la notion d’efficience, elle ne prend pas en considération les moyens mis en œuvre pour atteindre ce résultat. La notion d’efficience, définie en 1957 par Simon, semble donc représenter une estimation plus « complète » de la performance. Mintzberg (1990) relève cependant quelques limites liées à l’utilisation de l’efficience dans les évaluations de la performance. En effet, la volonté d’améliorer l’efficience se traduit souvent, selon lui, par une recherche d’économies qui, poussées trop loin, provoquent une élévation des coûts cachés (comme les coûts sociaux, par exemple). Par ailleurs, ainsi que le rappelle Rojot (2005), l’efficacité se révèle in fine plus critique pour le succès que l’efficience,

61 Lemaître (1984) définit les mythes organisationnels comme des « moyens de communiquer et de stabiliser un système de représentation et de valeurs au sein d’une organisation ou d’un groupe social ». Un mythe rationalisateur repose sur une

rationalisation a posteriori des événements ou actions survenus dans l’organisation et permettant souvent de légitimer les actions futures. Un mythe mobilisateur a, quant à lui, pour objet de fédérer les acteurs autour d’une idée ou d’un but commun.

optimiser l’efficience d’une politique organisationnelle inefficace n’ayant pas de sens !

Les notions de performance et d’évaluation sont donc des notions polysémiques, que l’hétérogénéité et la diversité des membres des RTO rendent encore plus complexes. Il importe alors de s’interroger sur « comment » évaluer la performance des RTO et donc d’analyser la littérature, encore émergente, consacrée à cette thématique.

Section 2. La littérature sur l’évaluation de la performance des

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