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La notion d’évaluation : de la mesure à l’aide à la décision

Section 1. Évaluation et performance, des notions complexes

2.1.1. La notion d’évaluation : de la mesure à l’aide à la décision

De tous temps, les hommes ont souhaité mesurer et évaluer. On retrouve ainsi en Mésopotamie, dans l’Égypte ancienne ou encore en Gaule, des traces de comptabilité rudimentaire. Ce procédé de mesure a, bien entendu, connu des évolutions successives, dont un tournant décisif au XVème siècle, avec la première synthèse écrite du système de comptabilité en partie double, mis au point par le vénitien Luca di Borgo, dans son traité « Somma di aritmetica, geometrica, proporzioni e

proporzionalità ». Ce système, qui fonde aujourd’hui encore les principes de base de

notre système comptable, a modifié les procédés traditionnels de mesure. Son impact considérable souligne l’importance des outils de mesure. En effet, la généralisation de l’utilisation de ce système a permis une amélioration de la précision et de la fidélité

des mesures ce qui a, selon Sombart (cité par Nussbaum, 2012), constitué une condition préalable essentielle à l’émergence du capitalisme moderne !

Cette volonté de mesure ne se limite pas aux entreprises, mais elle a également investi très tôt le secteur public. Ainsi, en France, la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen institue pour la « Société, le droit de demander compte à tout

Agent public de son administration » (article XV). Plus tardivement, Nadeau (1988)

retrace les prémices de l’évaluation des politiques publiques en France, à partir notamment de l’exemple de celle portant sur l’Éducation nationale, (qui est) en vigueur depuis le XIXème siècle. Dans le domaine des politiques publiques, l’« évaluation » (dans son sens actuel) a réellement pris son essor dans les années 1960 dans les pays anglo-saxons, pour se développer en France, à partir des années 1980-1990. Si cette notion a pénétré assez difficilement les habitudes françaises dans un premier temps (Barbier et Matyjasik, 2010), elle a connu une « consécration

institutionnelle » (Trosa, S., 2009) avec l’inscription dans la Constitution de l’article

(47-2), prévoyant que « La Cour des Comptes […] assiste désormais le Parlement et

le Gouvernement […] dans l’évaluation des politiques publiques. Par ses rapports, elle contribue à l’information des citoyens ». Mais, c’est grâce à son inscription dans

la LOLF57, qu’elle constitue aujourd’hui un principe fondamental et un aspect incontournable de toute politique publique. Cette étape constitue par ailleurs un changement majeur. En effet, la LOLF introduit une logique de performance dans la gestion publique, qui n’est plus fondée sur les seuls moyens utilisés (comme le prévoyait le décret du 22 janvier 1990) mais sur une véritable obligation de résultats. L’évaluation des politiques publiques a alors connu un second grand changement, passant d’un modèle linéaire, qualifié de « balistique » (car ayant pour « cible » les objectifs à atteindre, Padioleau, 1982) et fondé sur une évaluation a posteriori des politiques, à une évaluation in itinere ou « dans l’action » (Chanut, 2009), qui remet notamment en doute l’intérêt de la notion d’objectifs (ceux-ci étant difficiles à expliciter et amenés à évoluer au cours de la réalisation de la politique, Delavallée, 2006).

Ainsi, la mesure et l’évaluation, qu’elles concernent des entreprises ou des politiques publiques, s’inscrivent dans une longue évolution historique et suscitent, depuis

longtemps, un vif intérêt. Mais que signifie « évaluer » ? Quelle nuance ce verbe introduit-il par rapport au verbe « mesurer » ?

À la fois concept et pratique, l’évaluation est une démarche méthodique visant à déterminer la valeur d’une organisation (Scriven, 1967, 1991). Contrairement à la mesure, l’évaluation implique nécessairement l’expression d’un jugement de valeur. Ainsi, par exemple, réaliser une évaluation à partir d’une mesure de température (il fait 35°), implique la formulation d’un jugement (il fait chaud), construit en comparaison avec des objectifs préétablis ou des données historiques et contextuelles (il fait plus chaud qu’en 1954). Cette démarche induit donc une part de subjectivité dans la formation du jugement et le choix des éléments de comparaison. Trosa (2003) rappelle que l’évaluation est également tournée vers la recherche de causalités, ou de formulation d’hypothèses visant à expliquer (Chelimski, 1985) les résultats obtenus. L’évaluation dans ce cadre constitue une aide à la décision pour les dirigeants (Drucker, 1999) ou les responsables politiques (Cronbach et Suppes, 1969) et peut faciliter les changements organisationnels, voire les justifier (Thoenig, 2002). La mesure ne constitue donc qu’un moyen à partir duquel se réalise l’évaluation. Elle reste néanmoins essentielle car elle en est la condition préalable : elle fournit les bases de réflexion sur lesquelles se forme le jugement, qui préside à l’évaluation et la caractérise. Mesure et évaluation sont donc intrinsèquement ou intimement liées et étudier l’évaluation conduit nécessairement à s’intéresser également à la mesure. C’est pourquoi, mesure et évaluation seront considérées de concert dans la suite de ce travail.

Afin de compléter notre analyse de la littérature portant sur la notion d’évaluation, il convient de souligner également la distinction effectuée entre les notions de contrôle et d’évaluation. En effet, nous avons déjà évoqué le rôle des gouvernances de RTO, qui s’apparente pour une part importante à un rôle de contrôleur de gestion (cf. 1.3.2, p. 65), mais comprend également une part d’évaluation du RTO. Gibert (2010), étudiant cette dualité de notions dans le cadre du secteur public, rappelle le flou assez large qui règne dans la littérature à ce sujet, et les difficultés inhérentes à la distinction des notions de contrôle et d’évaluation, qui forment selon ses propres

termes, une « nébuleuse évaluation-contrôle » (ibidem, p. 72). Il attribue notamment ces difficultés à la proximité existant entre les finalités du contrôle et celles de l’évaluation (mesurer et apporter de l’aide à la décision) et fonde alors la distinction entre ces notions sur différents aspects, comme notamment le centrage de l’investigation (davantage orientée sur les impacts dans le cas de l’évaluation), la nature de la rationalité supposée sous-jacente à l’action, le caractère plus souvent périodique du contrôle opposé à celui davantage ponctuel de l’évaluation ou encore à la nature des informations traitées (internes et calibrées dans le cas du contrôle, difficilement accessibles et plus hétérogènes pour l’évaluation).

Au sein des pratiques d’évaluation, l’évaluation de la performance a fait l’objet d’un intérêt particulièrement exacerbé durant ces dix dernières années (Taticchi, et al., 2010). Celle-ci présente en effet divers avantages. Par exemple, l’évaluation de la performance constitue souvent une incitation à l’amélioration (Meyer, M. W., 2002). Elle aide également les managers dans leur pilotage, et contribue ainsi à la performance des organisations concernées (Sharma, et al., 2005). Cet intérêt pour l’évaluation de la performance ne se limite pas au seul secteur privé. Ainsi Radin (2000) affirme que : « if there is a single theme that characterizes the public sector in

the 1990s, it is the demand for performance. A mantra has emerged in this decade, heard at all levels of government that call for documentation of performance and explicit outcomes of government action ». En effet, dès cette époque, presque tous les

pays d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Australie et certains en Asie, en Afrique ou en Amérique latine avaient fait de la mesure et de l’évaluation de la performance un élément essentiel des réformes en management public (Behn, 2000 ; Pollitt et Bouckaert, 2011). L’intérêt pour la performance et son évaluation s’est également développé au sein des réseaux territorialisés d’organisations. En effet, la très grande majorité des évaluations qui les concernent, qu’il s’agisse de leur auto-évaluation ou de l’évaluation des politiques publiques de soutien dont ils bénéficient, sont explicitement centrées sur l’évaluation de la performance. La notion complexe de performance s’avère donc essentielle à considérer et fait l’objet de la sous-section suivante.

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