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Seconde partie Partie « empirique »

C HAPITRE 4 M ETHODOLOGIE

Ce chapitre a pour vocation d’expliciter l’ensemble des prises de position et des choix qui ont guidé notre travail. Cette étape, essentielle, est consubstantielle même à toute recherche en Sciences de gestion (Martinet, 1990, p. 8) car « l’explicitation des

présupposés du chercheur permet de contrôler sa démarche de recherche, d’accroître la validité de la connaissance qui en est issue et de lui conférer un caractère cumulable [… offrant ainsi] la possibilité de la controverse entre chercheurs »

(Perret et Séville, 2007, pp. 13, 33).

Selon Guba et Lincoln (2005) cette réflexion comporte trois aspects :

- les présupposés du chercheur sur la nature de la réalité étudiée (aspect ontologique),

- la nature de la relation entre le chercheur et son objet de recherche (aspect épistémologique)

- et les moyens d’analyse du réel qu’il met en œuvre (aspect méthodologique). Il importe donc de préciser les présupposés ontologiques et la posture épistémologique que nous avons retenus75 avant d’aborder l’étude détaillée de la méthodologie adoptée dans ce travail.

Les présupposés ontologiques de cette recherche sont relativistes. En effet, la performance des réseaux territoriaux d’organisations (RTO) n’est pas appréhendée comme une réalité objective et indépendante des hommes qui l’observent ou qui l’expérimentent (ontologie réaliste, d’essence positiviste). Au contraire, la performance des RTO est abordée comme étant un phénomène76, produit de représentations symboliques construites dans l’action. Nous ne considérons donc pas le monde social selon la vision déterministe portée par l’ontologie réaliste, qui postule que l’homme, inerte et passif, ne peut pas agir mais qu’il est agi par un

75 Précisons que l’objet de cette introduction n’est pas de proposer un apport au débat épistémologique, mais simplement

d’expliciter les présupposés ontologiques et épistémologiques qui ont guidé cette recherche.

76 Dans l’ontologie relativiste, les objets étudiés sont considérés comme étant des phénomènes, ces derniers pouvant être

environnement qui le conditionne (Perret et Séville, 2007). En revanche, nous postulons que la performance « réelle » d’un RTO résulte d’un travail d’interprétation et de confrontation des représentations d’individus actifs, dotés de réflexivité (Weick, 1999), de créativité (Yanow et Schwartz-Shea, 2006) et agissant en vue d’une finalité. Ce sont ainsi les individus, guidés par leurs objectifs, qui créent leur environnement par leur pensée (les interprétations) et leurs actions (hypothèse intentionnaliste, Perret et Séville, 2007). La réalité est donc ici perçue comme un construit social77, c’est-à- dire que les jeux d’interactions entre les acteurs et les significations intersubjectivement partagées qui en résultent sont considérés comme étant à l’origine de la « construction » sociale de la réalité (Berger, P. et Luckmann, 1996). La posture épistémologique retenue est la posture interprétativiste78. L’intérêt de cette posture est souvent souligné dans le cadre des recherches en Sciences de gestion, dans la mesure où elle se révèle bien adaptée aux particularités des Sciences humaines en général79 (Perret et Séville, 2007, p. 14) et notamment à leur caractère souvent complexe (Evrard, et al., 2009). De plus, dès lors que le contexte et la dimension humaine sont importants à considérer, « le strict respect du paradigme [positiviste] devient difficile voire impossible » (Avenier et Gavard-Perret, 2008, p. 15). En effet, celui-ci repose sur la recherche de lois générales, extérieures à l’individu et indépendantes du contexte d’interaction des acteurs. Or, notre recherche a précisément pour vocation de comprendre l’impact du contexte sur l’évaluation de la performance. Nous souhaitons appréhender ce phénomène complexe, en nous plaçant dans la perspective des acteurs, de leur pratique et en cherchant à comprendre (« Verstehen », au sens de Weber 1904-17, 192180 et de Dilthey, 189481) les

77 Nous considérons ici le construit social comme un mécanisme, un phénomène ou plus généralement une idée qui sont

« construits » collectivement et partagés par un groupe social, ce qui n’implique pas nécessairement une instabilité mais peut au contraire révéler une dimension contraignante et stabilisatrice pour l’action (Bosa, 2012).

78 En Sciences de gestion, trois paradigmes épistémologiques sont couramment admis, à savoir le positivisme, le

constructivisme et l’interprétativisme (Perret et Séville, 2007).

79 Dans son ouvrage séminal de 1991 (réed 2006), Passeron a en effet soutenu l’idée de l’existence d’un régime

épistémologique commun aux différentes sciences sociales, ainsi soumises aux mêmes règles de scientificité. Dépassant alors les frontières disciplinaires, nous avons enrichi nos réflexions dans ce chapitre, par des considérations issues notamment de travaux sociologiques ou anthropologiques.

80 Weber affirme que le chercheur en Sciences sociales peut développer une véritable compréhension des actions et aller ainsi

au-delà de ce que les méthodes mises en œuvre en Sciences naturelles proposent habituellement (« We can accomplish

something which is never attainable in the natural sciences, namely the subjective understanding of the action of the component individuals », Weber, 1921, p.15) et que pour cela, il doit considérer la dimension subjective de la conduite

interprétations qu’ils en donnent. Cette volonté de faire progresser la compréhension de notre objet d’étude nous éloigne également du paradigme constructiviste, qui n’est pas élaboré dans une optique de compréhension mais de construction, chemin faisant, de la réalité en collaboration avec les acteurs du terrain.

L’objet de notre recherche consiste plutôt à saisir les intentions, motivations, attentes, représentations et croyances propres (Hudson et Ozanne, 1988, p. 510 ; Pourtois et Desmet, 1988, pp. 27-28) qui ont guidé les acteurs, pour assigner un sens à leur comportement et ainsi développer une compréhension (et non une construction) de la réalité. Le Tableau 11 synthétise les éléments fondamentaux liés aux présupposés ontologiques et à la posture épistémologique que nous avons retenus.

Tableau 11 : Paradigmes de la recherche – les présupposés ontologiques et la posture épistémologique (Source : auteur)

Présupposés ontologiques relativistes

hypothèse relativiste (la réalité est un construit social, Berger, P. et Luckmann, 1996)

hypothèse intentionnaliste (les acteurs, guidés par leurs objectifs, créent leur environnement par leur pensée et leurs actions, Perret et Séville, 2007) Posture

épistémologique interprétativiste

posture interprétativiste (interprétation du discours des acteurs, Giordano, 2003)

objectif de compréhension (« Verstehen », Weber, 1904-17, 1921 ; Dilthey, 1894)

prise en compte du contexte (Perret et Séville, 2007)

L’ensemble de notre démarche a une visée exploratoire, et a donc pour objet, selon les termes de Charreire Petit et Durieux (2007) de créer de nouvelles articulations théoriques et/ou d’intégrer de nouveaux concepts dans le champ théorique. La nouveauté de notre sujet, encore très peu abordé dans la littérature à ce jour, a guidé ce choix. Ainsi, notre objectif ne consiste pas à dégager ou confirmer des régularités statistiques ou à tester des hypothèses issues de la littérature. En effet, ainsi que le souligne l’anthropologue Olivier de Sardan (2008, p.78), le fait de raisonner en termes d’hypothèses peut conduire le chercheur à devenir « prisonnier d’une « structure mentale de l’hypothèse » [et] figer l’enquête autour d’un modèle

interprétatif et rigide, qui briderait la « découverte », la « surprise » et la

81 Wilhelm Dilthey différencie l’entendement relatif aux Sciences naturelles et aux Sciences sociales (et délimite donc le

concept de « Verstehen ») de la façon suivante : « On explique la nature mais on comprend l’âme humaine » (« Die Natur

théorisation à partir des données. » Pour autant, les approches théoriques issues de la

littérature ne sont pas négligées ; elles sont en effet essentielles à la réalisation de l’analyse des données (Kaufmann, 2011). La revue de la littérature réalisée permet notamment, comme cela ressort des chapitres 1 à 3, de réaliser un « inventaire des

référents interprétatifs initiaux [qui constituent] le coffre à outils du chercheur avant que celui-ci n’aborde le terrain » (Paillé & Mucchielli, 2012, p. 132). Les allers-

retours entre les observations empiriques et les connaissances théoriques se sont d’ailleurs poursuivis tout au long du processus de recherche, nous plaçant dans le cadre abductif de « l’exploration hybride », défini par Charreire Petit et Durieux (2007, pp.72-73).

Par ailleurs, l’ensemble de notre travail relève d’une démarche qualitative. En soi, les postulats ontologiques et épistémologiques ou encore l’adoption d’une perspective exploratoire n’impliquent pas le choix a priori d’une approche qualitative (Glaser et Strauss, 1967, pp. 17-18 ; Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999). Toutefois, « les

méthodologies qualitatives sont plus courantes pour l’exploration parce que plus efficaces, compte tenu de la finalité de la recherche dans ce cas » (Charreire Petit et

Durieux, 2007, p. 69), celle-ci étant elle-même « traversée par une volonté de

compréhension » (Paillé & Mucchielli, 2012, p. 377). L’analyse qualitative peut se

définir comme « une démarche discursive de reformulation, d’explicitation ou de

théorisation de témoignages, d’expériences ou de phénomènes [qui,] à partir des seules ressources de la langue […] porte un matériau qualitatif dense et plus ou moins explicite à un niveau de compréhension ou de théorisation satisfaisant » (Paillé

et Mucchielli, 2012, p. 11 et 34). L’analyse qualitative permet ainsi d’appréhender les phénomènes dans toute leur ampleur et leur complexité (Huberman et Miles, 2003), et ce, dans une logique de proximité (Paillé, 2007) qui suppose que l’investigation se déroule dans un cadre ordinaire (Marshall, C. et Rossman, 2010) et avec pour finalité une théorisation (Glaser et Strauss, 1967 (trad. 2010)). Celle-ci repose sur une systématisation des processus de la pensée destinés à faire surgir le sens82 (Paillé & Mucchielli, 2012). La rigueur du travail effectué et l’explicitation du processus suivi

82 Le sens est défini par ces auteurs comme « l’expérience humaine (réelle ou imaginée) à laquelle peut être rapporté un énoncé (mot ou ensemble de mots) qui en permet la compréhension » (Paillé & Mucchielli, 2012, p. 61)

sont alors essentielles (Avenier et Gavard-Perret, 2008). En effet, « plus que dans les

approches quantitatives, la validité d’un projet s’évalue par la capacité du chercheur à restituer et justifier sa démarche pour ainsi dire pas à pas » (Koenig, 1993). C’est

pourquoi, nous détaillerons très finement la méthodologie qualitative retenue et ses différentes composantes, en explicitant pour cela les différentes étapes suivies lors de la phase empirique de cette recherche.

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