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Section 2. La littérature sur l’évaluation de la performance des RTO, une littérature complexe à la confluence de nombreuses

2.2.1. L’évaluation de la performance des RTO au niveau individuel

Le premier niveau pertinent de l’évaluation des RTO relevé par la littérature est le niveau dit « individuel ». Il correspond à l’évaluation, à un niveau individuel, des organisations qui constituent le réseau, et plus particulièrement des entreprises et de leurs gouvernances. Cette littérature se signale, de prime abord, par un caractère « dispersé », qui vient, selon nous, de la richesse de ses sources d’influences, et notamment de la littérature – aux multiples facettes – relative à la mesure de la performance des entreprises. Celle-ci laisse en effet une empreinte forte, sur les travaux à la fois académiques et pratiques relatifs à l’évaluation de la performance des RTO. Avant d’analyser successivement les travaux portant sur l’évaluation de la performance de la gouvernance et des membres des RTO, et dans un souci de clarté, nous rappellerons, d’une façon volontairement très succincte62 et schématique, les grands courants qui ont traversé la littérature sur l’évaluation de la performance des entreprises.

La littérature portant sur la mesure et l’évaluation de la performance des entreprises s’est construite autour de trois courants majeurs. Même si chaque nouveau courant s’est pour l’essentiel construit en réaction aux limites des précédents, ils continuent, de concert, à influencer la pensée et la pratique actuelle de l’évaluation des entreprises. Beaucoup d’auteurs ont d’ailleurs tenté d’en combiner les avantages au

62 La performance étant à la fois très complexe et au cœur des préoccupations managériales des entreprises, la littérature sur

son évaluation est extrêmement riche, diverse et foisonnante (Neely, et al., 1995). Toutefois, l’objectif de notre travail n’étant pas d’en faire une représentation exhaustive, nous choisissons d’en dresser un portrait concis et qui ne peut donc pas rendre la totalité de la richesse de ce champ. De plus, nous considérons cette littérature dans une vision stricte, excluant les travaux consacrés aux relations inter-organisationnelles, qui sont étudiées dans la deuxième sous-section (cf. 2.2.2. L’évaluation de la performance collective des RTO p. 90).

sein de modèles intégrateurs (Taticchi, et al., 2010), comme par exemple Bitici et al, (2000) et leur système de mesure dynamique de la performance.

Le premier courant de la littérature relatif à l’évaluation de la performance des entreprises réunit les travaux fondés sur des mesures financières et comptables : calcul du retour sur investissement, de la rentabilité du capital (Simons, 2000), auxquels seront ajoutés, dans les années 1980, les modèles EVA (Economic Value

Added Model), ABC (Activity Based Costing, Cooper et Kaplan, 1988) ou encore

SMART (Strategic Measurement Analysis and Reporting Technique, Cross et Lynch, 1988). Après un intérêt centré sur la notion d’excellence qui a prévalu dans les années 1970 (Peters et Waterman, 1999), ces travaux se sont ensuite polarisés autour de la notion de valeur. La performance de l’entreprise s’est progressivement affirmée comme étant sa capacité à créer de la valeur pour ses actionnaires ou ses clients, valeur ou donnée mesurable par des outils, comme la chaîne de valeur de Porter (1986a). Le succès de cette approche classique et traditionnelle de la performance, qui a longtemps exercé une véritable domination sur le champ (Venkatraman et Ramanujam, 1986), et qui reste encore très présente aujourd’hui notamment dans la pratique, s’explique certainement à la fois par la relative facilité de la mise en œuvre des outils qui s’y rapportent, mais également par leur universalité (Lorino, 1995). La performance financière est alors considérée comme étant à la fois fondamentale, fédératrice et finale (Fiol, 1991), et ce, malgré les nombreuses limites recensées à l’encontre de la plupart des approches de ce courant (comme, par exemple, le fait de privilégier des stratégies court-termistes et l’utilisation quasi-exclusive d’indicateurs quantitatifs susceptibles de donner une apparence d’objectivité potentiellement trompeuse et d’induire une simplification de la réalité, dont on connaît pourtant les nuances et la complexité). Parmi ces critiques, Wallman (1995) a souligné l’importance de la prise en compte des critères non financiers dans la mesure de la valeur et Porter (1986a) a largement dénoncé la focalisation de ces travaux sur l’entreprise, au détriment de la prise en compte de l’environnement de la firme.

C’est d’ailleurs sur ce constat établissant l’aspect relatif de la performance, que s’est bâti le deuxième courant fondamental de la littérature sur l’évaluation des entreprises.

Selon cette deuxième grande approche, la performance d’une entreprise doit être considérée en comparaison avec celle des autres entreprises. Ce courant s’est beaucoup enrichi des travaux de Porter (1986b), qui a réintroduit dans les années 1980 l’importance du milieu concurrentiel, qui connaissait alors d’importantes mutations (Prahalad et Hamel, 1994). L’entreprise n’est plus seulement évaluée en tant que telle, mais par rapport à son environnement. Le succès de ce courant de la littérature s’illustre notamment par le succès de la notion de part de marché relative, dont la conquête reste encore souvent aujourd’hui l’objectif premier de beaucoup d’entreprises commerciales (Marmuse, 1997). Le développement du benchmarking (processus continu d’analyse comparative intervenant notamment au niveau d’entreprises concurrentes) s’inscrit également dans ce courant, qui s’avère encore mobilisé dans la littérature actuelle avec, par exemple, le développement en 2006 du modèle Performance, Development, Growth Benchmarking System (St-Pierre et Delisle, 2006).

La troisième évolution majeure de la littérature est née de la volonté d’effectuer des mesures qui ne soient pas uniquement de nature financière mais qui présentent un certain équilibre (« balance »). Le premier modèle répondant à ces principes est le modèle Supportive Performance Measures, proposé par Keegan, Eiler et Jones (1989). Il a cependant été rapidement supplanté en notoriété par le tableau de bord prospectif (« Balanced Scorecard ») développé par Kaplan et Norton (1996). Celui-ci a en effet connu très vite un grand succès à la fois académique et pratique63. En 1995, Neely et al. (1995) ont ainsi estimé qu’entre 30 et 60% des entreprises ont effectivement adopté cet outil de mesure de la performance. Une analyse bibliométrique menée par Taticchi (2010) montre, quant à elle, la domination du

Balanced Scorecard dans la littérature, et ce, malgré l’émergence de critiques

relatives à la manipulation de cet outil (Jacobs, et al., 2006). Ce modèle a toutefois fait l’objet de nombreux travaux destinés à l’adapter à différents types d’organisations et d’environnements (organisations à buts non-lucratifs, secteurs d’activité variés, etc.).

63 sauf en France, où il a été assez mal accueilli au départ, en raison de la préexistence de Tableaux de bord (Bourguignon, et al., 2001)

Un intérêt plus global a ensuite été porté à l’étude de la performance des organisations et s’est concrétisé dans la littérature, par l’émergence de la notion de performance « globale »64, et l’intégration de préoccupations relatives à la responsabilité sociale, éthique et environnementale des entreprises envers leurs parties prenantes (considérées dans une vision élargie, celle du « développement durable », intégrant par exemple la société en général ou les générations futures). Cette volonté a conduit à l’émergence de très nombreuses notions connexes, comme les performances « sociétale », « environnementale », « équitable », « durable » ou encore « soutenable », au point de créer un certain flou sémantique (Pluchart, 2011). La Figure 11 présente le périmètre des principaux termes utilisés.

Performance durable

(performance soutenable à long terme) Performance globale

(performance reconnue par les investisseurs éthiques) Performances

Économiques Création de valeur pour l’actionnaire Sociale Emploi et conditions de travail, développement personnel Environnementale Protection de l’environnement et des ressources naturelles Sociétale Satisfaction des parties prenantes

Figure 11 : Les notions de performance (Source : Pluchart, 2011)

Ces nouveaux types de performances s’avèrent cependant assez difficiles à opérationnaliser en pratique. Ainsi, Capron et Quairel (2006) affirment que « le

concept de performance globale fonctionne surtout comme une utopie mobilisatrice, susceptible de sensibiliser les différents acteurs de l’entreprise aux préoccupations du développement durable » (Capron et Quairel, 2006, p.15). Selon ces auteurs, si ces

construits rencontrent un certain succès aujourd’hui, ils ne peuvent à l’évidence s’affranchir de l’hégémonie culturelle, depuis longtemps attachée à la performance financière. De ce fait, et peut-être dans le but de légitimer une telle démarche, de nombreux travaux tentent d’établir un lien entre performance sociale et performance financière (Margolis et Walsh, 2003). Selon Allouche (2005), ce lien serait établi dans 71% des études portant sur le sujet, même si la force et la nature du lien restent

64 Selon Pesqueux (2004), le fait d’ajouter un terme « flou » (en l’occurrence le mot « global »), à celui tout aussi flou,

encore l’objet de vives contradictions. Le développement actuel de nombreux travaux dans ce domaine (Essid, 2009 ; Pluchart, 2011) semble indiquer que la prise en compte croissante de la responsabilité sociale des entreprises pose peu à peu les fondements de l’émergence d’un nouveau paradigme, pour la mesure et l’évaluation de la performance (Essid, 2009).

La littérature sur l’évaluation de la performance des RTO intègre ces différents courants de recherche, et ce, tant pour l’évaluation individuelle portant sur les gouvernances que pour celle consacrée aux membres des RTO.

L’évaluation des gouvernances des RTO

L’étude de la littérature traitant du niveau individuel d’évaluation se caractérise par la prépondérance des travaux relatifs aux membres des RTO. Ce parti-pris peut certainement s’expliquer à la fois par le caractère émergent de la littérature sur la gouvernance des RTO (Chabault, 2007) mais également par le fait que les premiers réseaux, et les plus emblématiques (comme la Silicon Valley), disposent de gouvernances de type communautaire a-structurée (réseaux dans lesquels la coordination s’effectue par ajustement mutuel, cf. 1.3.1, p. 49). L’absence d’une structure de gouvernance formelle complique de facto la mesure et l’évaluation de celle-ci. Certains travaux, comme ceux de Bocquet et Mothe (2009a) notamment, commencent cependant à souligner l’importance de la prise en compte de la gouvernance, en mettant en lumière le lien fort existant entre gouvernance et performance, au sein des pôles de compétitivité français.

Les travaux consacrés à l’évaluation de la performance des gouvernances des RTO se basent sur les outils mis en place pour les entreprises, afin d’estimer l’efficacité ou l’efficience de ces structures. Des études relatives à chacun des trois courants majeurs qui ont balisé l’évaluation de la performance des entreprises ont, en effet, été adaptés à l’évaluation de la performance des gouvernances, sans toutefois que ces adaptations n’obéissent à une logique d’ensemble préalable. A titre d’exemple, on peut citer :

• la mise en place d’outils de mesure d’indicateurs financiers (Fen Chong, 2009) et ce même si certains éléments essentiels des RTO ne peuvent être évalués

par des modèles financiers et comptables, comme les ressources immatérielles, par exemple (Pelé et Pluchart, 2007).

des démarches qualité et de benchmarking (comme l’illustre la European

Excellence Cluster Initiative, qui a pour vocation de « benchmarker » les

gouvernances des différentes formes de clusters européens)

mais surtout différentes adaptations du Balanced Scorecard de Kaplan et Norton, qui avaient déjà réalisé une telle adaptation pour les alliances d’entreprises (Kaplan, et al., 2010). Ainsi, on retrouve par exemple les travaux de Carpinetti, Cardoza et al. (2008) et de Lin, Lee et al. (2013). Ces derniers intègrent à leur modèle des mesures quantitatives issues du modèle DEA (Data

Envelopment Analysis) et des mesures qualitatives provenant de l’approche

AHP (Analytic Hierarchy Process). L’adaptation du Balanced Scorecard suscite, toutefois, des critiques relatives notamment aux possibilités effectives d’adaptation de cet outil à un contexte organisationnel très différent de celui pour lequel il a été initialement conçu (Taticchi, et al., 2010). Le Mestre (2004) souligne également la divergence des buts poursuivis par les acteurs, qui peuvent s’apparenter aux actionnaires du modèle initial, c’est-à-dire le plus souvent l’État, qui, contrairement aux actionnaires du privé, ne cherche généralement pas une maximisation des profits.

L’évaluation des membres des RTO

Les travaux relatifs à l’évaluation des membres des RTO se focalisent quasi- exclusivement sur l’évaluation des entreprises et reposent sur le postulat qu’un réseau territorial d’organisations performant aura nécessairement un impact positif sur la performance des entreprises qui le composent (Andersson, U., et al., 2002). La mesure de la performance des membres d’un réseau est donc utilisée comme un proxy permettant d’estimer la performance du réseau dans son ensemble. Boschma et al., (2007) soulignent alors l’importance de focaliser l’appréciation de la performance des membres à un niveau individuel et non collectif. En effet, si la majorité des travaux concernant les RTO s’attachent à souligner l’intérêt de la participation au RTO pour les membres (accès à des ressources, notamment en termes de connaissances, de

financement ou de main d’œuvre, etc., cf. Chapitre 1), Barbesol et Briant (2008) nous rappellent que ces effets favorables n’ont aucun caractère linéaire ou systématique. Ainsi, par exemple, tous les membres ne bénéficient pas des mêmes externalités de connaissance (Boschma, R. A. et Wal, 2007). En effet, pour qu’une entreprise puisse bénéficier des avantages relatifs au RTO, elle doit disposer d’une certaine capacité d’absorption ou encore d’une capacité à s’insérer dans le RTO (Camison, 2004b), qui dépend notamment de sa taille et de son âge (une petite entreprise jeune bénéficiera davantage de la légitimité et des ressources apportées par le réseau, Baum et Oliver, 1991).

Divers indicateurs de la performance des entreprises sont alors mobilisés, comme la valeur ajoutée (De Langen, 2002), les exportations réalisées (Becchetti, et al., 2007), la croissance (Beaudry et Swann, 2009) ou encore le niveau d’innovation (Bell, G. G., 2005) des entreprises membres. La constatation de la diversité des mesures mobilisées dans la littérature et des conséquences néfastes qui peuvent en résulter que cela peut avoir (en terme de comparabilité notamment) ont conduit Chalaye et Massard (2009) à plaider pour le développement d’une approche multi-critères d’évaluation.

Une telle approche ne prend toutefois pas en compte de l’environnement du réseau. C’est pourquoi, Hendry et Brown (2006) ainsi qu’Aliouat et Thiaw (2010), par exemple, prônent la réalisation de benchmarking mettant en parallèle la performance des entreprises membres du pôle et celle des entreprises du même type, mais extérieures au pôle. Carpinetti (2008) ainsi que Beaudry et Breschi (2003) se concentrent, pour leur part, sur le benchmarking de leur niveau d’innovation. Certains auteurs, comme Andersson et Bjerre (2006) déplorent toutefois le manque de données homogènes et fiables, qui freine la mise en place d’initiatives de benchmarking tournées vers l’international, par exemple.

Parallèlement, quelques très rares travaux adaptent d’autres outils ou méthodes issus de la littérature financière, comme Ruland (2013), par exemple, qui propose d’évaluer la performance d’un RTO en considérant l’impact de l’annonce par une entreprise de son entrée dans ce RTO, sur son cours boursier. Cela permet alors d’apprécier le jugement que le marché se fait de la performance du RTO et de ce que celui-ci peut

apporter à l’entreprise. Cette démarche reste cependant singulière et peu représentative de l’ensemble des travaux de ce champ.

Cependant, le postulat évoqué ci-dessus, stipulant que la performance du réseau entraine la performance de ses membres, doit être nuancé. En effet, Kenis et Provan (2006) ainsi que Martin et Sunley (2007) soulignent que la démonstration scientifique de l’impact positif de l’appartenance à un RTO sur la performance des entreprises membres n’a pas été faite à ce jour, ce qui limite la portée de ces travaux. De plus, le fait que la performance des membres est en réalité à la fois une variable explicative et une variable « à expliquer » n’a pas été pris en compte : la performance des membres est, en effet, à la fois un antécédent et une cause de la performance du RTO.

Les principaux courants de l’évaluation de la performance des entreprises ont donc fourni les fondements de la littérature consacrée à l’évaluation de la performance et relative à l’évaluation individuelle des gouvernances et des membres des RTO. Cependant, et comme nous l’avons souligné dans le premier chapitre, les RTO ne se limitent pas à une collection d’organisations – de nœuds – mais se caractérisent également par l’existence de liens qui les unissent. Les RTO présentent donc également un aspect collectif, qui participe de leur performance, et qu’il convient d’intégrer à l’évaluation de cette dernière.

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