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Seconde partie Partie « empirique »

Section 1. Les pôles de compétitivité comme terrain d’étude pertinent

4.1.1. Genèse de la politique publique des pôles de compétitivité

Jusqu’au début des années 1980, la politique industrielle française était essentiellement sectorielle. Puis, l’influence croissante de la construction européenne a progressivement conduit à une véritable rupture dans la philosophie mise en œuvre. Ainsi, par exemple, la construction du marché unique (Traité de Maastricht, 1992) a directement remis en cause les politiques sectorielles, en particulier parce que celles-

ci risquaient d’entraver les règles de la concurrence. C’est ainsi que des politiques précompétitives de soutien à l’innovation ont progressivement émergé (Levet, 2005). Elles ont été renforcées par l’adoption, par l’Europe, d’une stratégie fondée sur le développement d’une économie de la connaissance (Stratégie de Lisbonne, 2000), puis par la fixation d’un objectif ambitieux, celui de consacrer 3% du PIB européen à la recherche (Conseil européen de Barcelone, 2002). De façon générale, les politiques précompétitives se caractérisent par le soutien des pouvoirs publics dès les stades précoces du développement des produits, i.e. les stades où les concurrents coopèrent. Cela se traduit souvent par un soutien aux réseaux territoriaux d’organisations. En France, divers réseaux ont ainsi été initiés ou soutenus par les pouvoirs publics : technopôles83, Systèmes Productifs Locaux (SPL), pôles de compétitivité ou encore grappes d’entreprises. Si la politique qui préside à la mise en place des pôles de compétitivité a été principalement élaborée sur la base d’exemples de clusters internationaux, tels que la Silicon Valley ou les districts industriels (Plunket et Torre, 2009), certains enseignements semblent toutefois avoir été tirés de ces précédentes expériences. Ainsi, contrairement aux technopôles (Carel, 2005), les pôles de compétitivité bénéficient d’un encadrement national par le biais du Groupe de Travail Interministériel (GTI), dispositif complet – voire complexe – d’encadrement (résumé succinctement dans la Figure 18) et d’un suivi régulier assuré par la DGCIS84 notamment (cf. Chapitre 2).

83 Contrairement aux autres types de réseaux évoqués, les technopôles ne font pas l’objet d’un label réglementé au niveau

national. La création des technopôles résulte d’initiatives locales, publiques ou privées, qui peuvent, par la suite, bénéficier éventuellement d’un soutien et de subventions des pouvoirs publics centraux.

Figure 18 : Organisation du pilotage de la politique des pôles de compétitivité (Source : Bearing Point, 2012, p. 25)

De plus, une attention particulière a également été portée, dès leur création, à l’encastrement dans le tissu local d’organisations et au développement des coopérations en leur sein, afin d’éviter d’établir des « cathédrales dans le désert », critique couramment émise à l’encontre des technopôles (le terme ayant initialement été défini par Grabher (1991) pour le contexte allemand). Dans le même esprit, l’État a également favorisé l’implication des acteurs dans les pôles en leur confiant une partie importante de l’initiative, le projet ou son contenu n’étant pas imposé par l’État ni par une Agence publique. L’État se positionne ainsi en « facilitateur des

initiatives » (Plunket et Torre, 2009, p. 164). En effet, dans le cas des SPL

notamment, l’adhésion des acteurs s’est quelquefois révélée difficile à susciter a

posteriori (Carel, 2005). La Figure 19 présente l’échelonnement temporel de ces

différentes politiques, dont les caractéristiques (postulats à l’origine de ces politiques, influences théoriques ayant guidé leur conception et leur mise en œuvre, etc.) sont plus longuement exposées en Annexe 1.

Figure 19 : Chronologie des politiques publiques françaises de soutien aux RTO (Source : auteur)

Les pôles de compétitivité sont ainsi issus d’une politique volontariste d’aménagement du territoire, dont les prémisses ont été posées dès 2002, lorsque le Comité stratégique85 de la DATAR86 suggère la création de « pôles d’excellence

industrielle ou scientifique » (aussi appelés « pôles de compétitivité », Comité

stratégique de la DATAR, 2003, p. 22, 64), avec pour « ambition d’atteindre, grâce à

une coopération interentreprises, une part de marché significative au plan européen, voire mondial ». Cette proposition, entérinée lors du CIADT87 du 13 décembre 2002, a suscité de nombreuses réflexions autour de sa construction effective, réflexions qui ont donné lieu au rapport intitulé « La France, puissance industrielle. Une nouvelle

politique industrielle par les territoires : Étude prospective de la DATAR », paru en

2004. Ce rapport, conjugué à celui rédigé la même année par Christian Blanc (alors député des Yvelines) « Pour un écosystème de la croissance », constitue le moteur décisif du lancement de cette politique publique, intervenu lors du CIADT du 14 septembre 2004. Un appel à projet a été lancé en décembre 2004, laissant ainsi l’initiative aux acteurs (stratégie « bottom-up »). Il a permis l’émergence de 105 projets de pôles, et ce, malgré un délai très court (3 mois pour la constitution des

85 Ce Comité stratégique, créé par Jean-Pierre Raffarin (alors Premier Ministre) réunit industriels, chercheurs et

fonctionnaires afin de proposer de nouvelles orientations pour l’aménagement du territoire en France.

86 Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale (cf. Glossaire). 87 Comité Interministériel d'Aménagement et de Développement du Territoire (cf. Glossaire).

dossiers). La sélection des projets, s’est opérée selon les critères suivants (Jacquet et Darmon, 2005, p. 77) :

- le ou les marchés visés, les perspectives de croissance et la position concurrentielle de l’offre française à l’international ;

- le caractère « critique » des technologies retenues et dont la maitrise assure un avantage compétitif sur le ou les marchés, ainsi que la cohérence du « paquet » technologique proposé ;

- la stratégie de développement du pôle ;

- l’adéquation du volet « formation » à la stratégie de développement ; - l’ampleur et la qualité des partenariats mis en œuvre ;

- les caractéristiques de l’organisation du pôle, la qualité et la robustesse envisagées de la gouvernance;

- sans oublier le réalisme des projets de R&D, ainsi que leur adéquation à la stratégie du pôle.

Cette sélection a abouti à la labellisation de 67 pôles de compétitivité88 le 12 juillet 2005, dont 54 s’inscrivent dans le prolongement d’une dynamique de collaboration préexistante (CMI et BCG, 2008). En 2007, leur nombre est porté à 71, avec la labellisation de 5 nouveaux pôles de compétitivité. En 2010, suite à l’évaluation de 2008, 6 pôles jugés insuffisamment performants ont perdu leur label. Parallèlement, 6 nouveaux pôles ont été labellisés dans le domaine des écotechnologies. Nombre d’acteurs considèrent que trop de pôles ont été créés. Ainsi, Pascallon et Hortefeux (2008) et Marcon (2008) soulignent le risque de dispersion des moyens engagés, même si Duranton et al. (2008) rappellent les risques liés à une trop forte spécialisation des territoires.

La Figure 20 propose, en frise chronologique, une synthèse des grandes étapes de l’élaboration et de la mise en place des pôles de compétitivité.

88 A cette occasion, les pôles Viaméca – Ingénierie & Création Industrielle et le pôle Viaméca Innovations et Solutions Industrielles ont été invités à fusionner (cf. statuts de l’association du pôle de compétitivité Viaméca ainsi créé, et

disponibles à l’adresse suivante : www.viameca.fr/assets/files/Statut%20Viameca%20141010.PDF), ce qui réduit le nombre de pôles effectivement créés à 66.

Figure 20 : Émergence et principaux jalons de la politique des pôles de compétitivité (Source : auteur)

Cette figure fait également ressortir les trois phases successives de la politique des pôles. La poursuite du dispositif est conditionnée à la réalisation de grandes évaluations nationales, confiées par les pouvoirs publics à des cabinets de conseil (BCG, CMI, Erdyn, etc.) et présentées précédemment (cf. Chapitre 2). Initialement lancée pour une durée de 3 ans, la politique publique des pôles de compétitivité a déjà été renouvelée à deux reprises, avec les phases « 2.0 » puis « 3 ». Le passage des phases 1 à 2 n’apporte que de légères modifications dans l’orientation de la politique. En revanche, le passage à la phase 3 comporte une réorientation importante des pôles, vers le soutien de projets à maturité technologique plus avancée, ce qui pourrait faire évoluer l’évaluation de leur performance.

Le Tableau 12 met en parallèle la durée et les objectifs communs et spécifiques à chacune de ces trois phases.

Tableau 12 : Les trois phases de la politique publique des pôles de compétitivité (Source : auteur, à partir du site des pôles de compétitivité, www.competitivité.gouv.fr)

Phase 1 Phase « 2.0 » Phase 3

Durée 4 ans (2004-2008) 4 ans (2008-2012) 6 ans (2013-2018)

Ob

je

ct

if

s

Constituer un « levier de décloisonnement » (Jacquet et Darmon, 2005) entre les mondes de l’industrie et de la recherche

Favoriser les coopérations entre entreprises, instituts de recherche et centres de formation (projets collaboratifs)

Stimuler la croissance économique et le développement économique du territoire (pour créer des emplois)

Améliorer l’attractivité des territoires

« Usines à projets » « Usines à produits d’avenir »

So us -o bj ec tif s Pou r l e p ôl e Structuration du pôle Renforcement de la réflexion stratégique au sein des pôles (notamment via l’élaboration de contrats de performance) - autofinancement à hauteur de 50% - développement de projets structurants (plates-formes d’innovation notamment) Recherche de complémentarité avec

les autres acteurs proposant des services collectifs et individuels sur le territoire V is -v is d es m em bres

Développer des actions d’animation, de mutualisation et d’accompagnement afin de

créer « un environnement global favorable à l’innovation et aux acteurs du pôle », et ce notamment pour l’accès au financement

privé, le développement à l’international, la gestion prévisionnelle des emplois et

compétences et la propriété intellectuelle

Entreprises (et surtout PME) : augmenter le recours au

financement privé

- PME : renforcer leur accompagnement, leur accès au financement

privé, leur internationalisation, leurs relations avec les

grands groupes et anticiper leurs besoins

en compétences - Acteurs de la formation : les impliquer davantage

Après avoir exposé la genèse des pôles de compétitivité, il convient d’en présenter les principales caractéristiques. Celles-ci peuvent en effet avoir un impact sur l’évaluation menée par les pôles, que nous explorerons dans la partie empirique de ce travail (cf. Discussion).

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