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Section 2. L’aspect territorial des RTO, entre paradoxes et évaluations

1.2.2. Les politiques publiques de RTO et leur évaluation

Si, comme nous venons de l’étudier, la littérature a mis en évidence l’importance du territoire pour le développement des RTO, elle s’est également attachée à étudier l’intérêt que peuvent représenter celui des RTO pour les territoires qui les abritent. Ainsi, à l’heure de l’intensification de la concurrence entre territoires, les avantages que procurent le développement de RTO ont été soulignés par de nombreux auteurs (Camagni et Pompili, 1993 ; Rocha, 2004 ; Camagni, 2006 par exemple) puis synthétisés par Porter (1998a, 2000a) dans deux célèbres publications, à savoir « Clusters and the New Economics of Competition », article qui fait suite au rapport « Global Competitiveness Report », réalisé pour le Forum Économique Mondial et qui ne prend que très peu en compte le rôle de l’État, et ensuite l’article séminal intitulé « Location, Competition, and Economic Development: Local Clusters in a

Global Economy » où, tenant compte des critiques formulées à l’encontre de ses

intègre cet aspect, allant d’ailleurs jusqu’à préciser que les clusters constituent le niveau d’action le plus pertinent des pouvoirs publics. Il construit ainsi son argumentation autour de son modèle, appelé « diamant » (qui collige les caractéristiques déterminant l’avantage concurrentiel des nations, Porter, M., 1998b), en montrant que les clusters « reflètent et amplifient »33 les quatre facettes du diamant (cf. Figure 8). Ainsi, par exemple, les clusters (et plus largement les RTO dans leur ensemble), en améliorant localement la performance des entreprises, participent à la croissance économique régionale et, plus largement, à la compétitivité des nations (Porter, M., 2000a ; Rocha, 2004 ; Snowdon et Stonehouse, 2006).

33 « Clusters affect competition in three broad ways that both reflect and amplify the parts of the diamond » (Porter, 2000, p.

Figure 8 : Influence des clusters sur les éléments du « diamant » de Porter (Source : traduit et librement adapté de Porter, 2000)

Les travaux de Porter s’avèrent incontournables car ils ont eu un fort impact, à la fois sur le plan académique, mais également dans la pratique et restent une référence abondamment mobilisée par les chercheurs. Ainsi, dès les années 1990, ils ont conduit, voire ont servi de justification à une implication très forte des pouvoirs publics, notamment par le biais du développement de cluster policies (Andersson, T.,

et al., 2004), allant souvent au-delà des préconisations de Porter lui-même et créant

ainsi ce que Sölvell (2008, p. 91) a qualifié de « paradoxe portérien » ! Cette tendance se poursuit aujourd’hui encore, et ce, malgré l’émergence de travaux

soulignant les difficultés que peuvent revêtir l’intégration d’un RTO dans un territoire (Ehlinger et Perret, 2009) ou les risques associés à une forte implication des pouvoirs publics, notamment locaux (Bocquet et Mothe, 2009b). Ainsi, les territoires, loin de n’être que de simples « réceptacles d’activités »34 ou des « champs de manœuvre » (Veltz, 2005, p. 156), s’affirment en véritables « coalitions de développement » (Keating, 1998) et utilisent les RTO comme instrument de promotion du territoire (Gérardin, H. et Poirot, 2010) et comme « attracteur » (Porter, 2000, p. 16 ainsi que Markusen, 2000, les compare à des « aimants »), et ce d’autant plus que les RTO favorisent l’ancrage des acteurs (Grossetti, 2004 ; Calmé et Chabault, 2007), qui représente une forme bien plus approfondie et durable de relation avec le territoire que la seule localisation sur le territoire (Balas et Palpacuer, 2008). Les pouvoirs publics jouent ainsi souvent un rôle moteur dans le développement des RTO, même dans des réseaux ayant émergé spontanément et réputés très indépendants des pouvoirs publics. C’est le cas, par exemple, la Silicon Valley et la route 128, qui fonctionnent grâce à un apport continu et régulier de capitaux publics destinés à soutenir l’effort d’innovation des entreprises (Manzagol, 1990). Les pouvoirs publics adoptent même un rôle « démiurgique », en créant certains réseaux ex nihilo. Dans une grande étude quantitative, Sölvell et al. (2003) ont ainsi montré que 32% des

cluster initiatives étudiées ont été initiées par les gouvernements. Et ce, malgré les

recommandations de la littérature, qui souligne la nature intrinsèquement émergente des RTO (école suédoise des réseaux, Johanson et Mattson, 1987 ; Brenner, 2013) et l’aspect risqué, coûteux et complexe de telles politiques (Visser et Atzema, 2008). L’implication des pouvoirs publics dans la création des RTO a un impact fort sur leur développement et sur le pilotage de ces réseaux. En effet, ce dernier s’avère généralement plus formel dans ce cas (Provan et al., 2007). Défélix et al. (2008) fait d’ailleurs de l’implication des pouvoirs publics un critère discriminant de sa typologie des formes de RTO, au même titre que la composition du réseau (cf. Tableau 3).

34 Etudiant le cas de la mise en place des pôles de compétitivité, Albertini (2007, p. 673) relève d’ailleurs la « créativité »,

mais aussi la réactivité et la souplesse dont ont du faire preuve les services de l’Etat en charge de cette politique publique, qui ont, selon lui, été à l’origine d’une véritable « réforme administrative silencieuse ».

Tableau 3 : L'implication des pouvoirs publics comme fondement de typologie des RTO (Source : adapté de Défélix et al, 2008)

Degré d’implication des pouvoirs publics La collaboration est

d’abord voulue par les acteurs eux-mêmes Vocabulaire et registre

industriel

La collaboration est reconnue et renforcée par les

pouvoirs publics Vocabulaire et registre de l’action publique C om pos it ion du r és ea

u Les partenaires sont tous des

entreprises Districts industriels Systèmes productifs locaux (SPL) Les partenaires sont des

organisations variées

(entreprises, universités, etc.) Clusters Pôles de compétitivité L’implication des pouvoirs publics intervient à tous les niveaux (fédéral, national et local), les RTO se situant au cœur d’un jeu d’échelles géographiques complexe (Grandclement, 2013). Ainsi, s’interrogeant sur la légitimité de l’action des pouvoirs publics dans le cadre des politiques de soutien aux RTO par les pouvoirs publics français, Sautel (2008) montre la logique duale qui intervient dans le soutien aux RTO : une première logique d’action consiste à consolider un groupe d’entreprises déjà constitué et orienté autour d’initiatives communes de collaboration sur des projets de recherche et développement. Cette logique s’inscrit selon lui dans le cadre d’une intervention publique centralisée. En revanche, il associe la seconde logique d’action – qui vise la fertilisation du territoire, l’ancrage des organisations et l’éducation à la coopération – à une intervention décentralisée. Aucun consensus ne s’est cependant formé jusqu’à présent dans la littérature au sujet de la répartition souhaitable des missions entre État central et déconcentré ou sur le degré d’implication optimal des pouvoirs publics.

Cette implication comporte, bien entendu, des conséquences importantes en termes d’évaluation. En effet, la mise en place d’une politique publique entraine de facto la nécessité d’une évaluation des RTO en tant que politique publique, ajoutant ainsi une série d’acteurs aux enjeux spécifiques à l’évaluation des RTO.

Ainsi, l’ancrage d’un RTO dans un territoire est source d’avantages pour le réseau, notamment liés aux avantages liés aux proximités et à la présence d’externalités. Parallèlement, les RTO apportent également des bénéfices au territoire, suscitant ainsi la mise en place de politiques publiques, qui font l’objet d’évaluations et ajoutent ainsi des acteurs et une complexité supplémentaire à l’évaluation des RTO. Toutefois, et comme le soulignent Ehlinger et Perret (2009), la proximité géographique ou le soutien apporté par une politique publique ne garantit pas le développement d’une collaboration fructueuse entre les acteurs du réseau. Elles ajoutent que la préexistence de réseaux sociaux locaux ou de ressources locales elles-mêmes, ne dispense pas de la mise en œuvre d’une stratégie d’organisation et de gestion de la proximité et recommandent la mise en place d’un système de pilotage permettant une meilleure intégration des RTO dans les territoires. La section suivante est ainsi consacrée à l’étude des systèmes de pilotage des RTO, aussi appelées « gouvernances » et qui constituent un trait d’union entre réseau et territoire.

Section 3. La gouvernance des RTO, un trait d’union entre réseau

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