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C HAPITRE 3 C ADRE CONCEPTUEL , PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE

3.1 La théorie néo-institutionnelle, comme cadre conceptuel pertinent pour l’étude de l’évaluation de la performance des RTO

3.1.1. Les fondements de la théorie néo-institutionnelle

Si la théorie néo-institutionnelle (TNI)68 fait aujourd’hui l’objet d’une littérature abondante, ses fondements reposent sur un ensemble de travaux assez peu nombreux, mais néanmoins extrêmement riches et féconds, publiés entre 1977 et 1983 (Meyer, J. W. et Rowan, 1977 ; Zucker, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983 ; Meyer, J. W. et Rowan, 1983 ; Tolbert et Zucker, 1983 notamment). Ces travaux sont issus du constat qu’il existe des contradictions manifestes entre les observations empiriques réalisées par les auteurs et les théories censées les décrire (March et Olsen, 1984) et ont pour objet d’introduire « une saine dose de réalisme » (Dimaggio et Powell, 1991, p. 3) dans les théories des organisations en vogue à l’époque (et notamment au sein des théories micro-économiques et de la contingence). Les théoriciens néo-institutionnels se montrent, en effet, « sceptiques » (Powell et DiMaggio, 1997) à l’égard des hypothèses classiques « excessivement rationalistes et technocratiques » (Greenwood, et al., 2008, p. 29)69 et préfèrent privilégier l’hypothèse de la rationalité

68 Ce champ de recherche, en constante évolution, ne s’est pas constitué autour d’un paradigme unifié (Desreumaux, 2004),

mais il a intégré deux perspectives (économique et sociologique). Nous inscrivons notre travail dans la perspective sociologique, qui met l’accent sur les processus culturels et sociaux de diffusion des institutions et non sur leur aspect économique et qui s’avère également moins utilitariste. La prédominance de l’aspect social de l’environnement est d’ailleurs ce qui différencie le néo-institutionnaliste d’autres théories prenant en compte l’influence de l’environnement, comme les théories de l’écologie des populations (Hannah et Freeman, 1977) ou encore celles de la dépendance sur les ressources (Pfeffer et Salancik, 1978).

69 « Institutional theory evolved as an antidote to the overly rationalist and technocratic perspectives of the 1960s »

limitée des acteurs70. Ils proposent également une vision élargie de l’environnement de l’organisation, qui ne se limite plus seulement à ses aspects purement techniques ou économiques, mais qui prend également en compte l’importance des influences culturelles et sociales qui en sont issues (Meyer, J. W. et Rowan, 1977).

Les travaux des théoriciens néo-institutionnels se sont bâtis autour du questionnement suivant : pourquoi les organisations adoptent-elles des structures, procédures ou pratiques qui viennent à l’encontre des explications rationnelles traditionnelles ? Et quelles en sont les conséquences (Greenwood, et al., 2008) ?

Ils proposent alors un raisonnement, à la fois original, séminal et relativement complexe, qui, dans un souci de clarté, peut être résumé comme suit :

• Afin d’augmenter leurs chances de survie, les organisations doivent obtenir le soutien de leur environnement (Meyer et Rowan, 1977).

• Pour obtenir ce soutien, les organisations doivent apparaître légitimes (a) aux yeux de leur environnement et, pour cela, donner l’impression d’être de « bonnes » organisations (Rojot, 1997a), qui agissent de façon rationnelle (« appearing to be rational », (Scott, 1983, p. 160).

• Afin de paraître rationnelles, les organisations vont adopter les structures, pratiques et procédures, reconnues comme étant rationnelles au niveau de l’environnement social des organisations (les mythes rationalisés). En cela, l'environnement institutionnel façonne les structures et les comportements organisationnels (b).

• Ces préoccupations ont parfois pour conséquence de diminuer l’efficacité de l’organisation. L’adoption de ces pratiques ou structures peut alors être uniquement cérémonielle, les organisations effectuant, en pratique, un

découplage entre leurs pratiques affichées et la réalité technique. (c)

(a) Dans leur article séminal de 1977, Meyer et Rowan ont montré de façon assez contre-intuitive, que le soutien apporté par l’environnement à une organisation n’est pas dû à la performance de cette dernière, mais à sa légitimité. La notion de légitimité

70 Selon Simon (1957), la rationalité limitée se traduit notamment par l’incapacité des acteurs de considérer tous les choix

possibles et toutes leurs conséquences, par le manque ou au contraire l’excès d’information à traiter, les heuristiques décisionnelles ou encore l’imprévisibilité de l’environnement, qui rendent toute décision « rationnelle » impossible en réalité.

est depuis lors restée une notion centrale de l’analyse néo-institutionnelle. D’abord enrichie par les travaux de DiMaggio et Powell (1983), qui considèrent que la légitimité fait l’objet d’un marché sur lesquels les organisations sont en concurrence, elle a ensuite suscité (depuis la seconde moitié des années 1990) un intérêt particulièrement important dans la littérature (Greenwood, et al., 2008).

Initialement introduite par Weber (1919 (réed. 2002)) dans le cadre de l’analyse sociologique de l’autorité, la notion même de légitimité fait l’objet de vifs débats dans la littérature autour de sa définition (Foreman et Whetten, 2002). Le Tableau 9 illustre la richesse et la variété des définitions de la performance.

Tableau 9 : La notion de légitimité répond à de nombreuses définitions (Source : auteur)

Auteurs Définitions de la légitimité

Maurer (1971) « processus par lequel l’organisation justifie par rapport à un tiers ou à un système supérieur son droit d’exister »

(Suchman, 1995) « perception ou supposition généralisée que les actions d’une entité sont désirables, propres et appropriées par rapport à un système socialement construit de normes, de valeurs, de croyances et de définitions. »

(Scott, 1995, p. 45) « état reflétant l’alignement culturel, le support normatif ou la consonance avec les règles et les lois pertinentes »

Human et Provan

(2000, p. 328) « perception généralisée que les actions, les activités et la structure du réseau sont désirables et appropriées » Ramonji (2005, p. 15) « processus de l’entreprise, volontaire et obligé, systématique, lui

permettant de gérer de façon stratégique et opérationnelle ses comportements et ses activités pour que ceux-ci soient désirables et

appropriés par rapport au système social composé de normes, de croyances et de règles dans lequel elle est plongée et qui est co-construit avec ses parties prenantes ».

La notion de légitimité a ainsi été présentée, tour à tour, comme une congruence (Parsons, 1960), une ressource (Pfeffer et Salancik, 1978), une mesure (Meyer, J. W. et Scott, 1983), une perception (Suchman, 1995) ou encore un processus (Maurer, 1971) (Ramonji, 2005). Rejetant le caractère nécessairement volontaire introduit par l’idée de processus (Ramonji, 2005) et le risque lié à l’idée d’objectivité souvent attaché à l’utilisation du terme de « mesure », et considérant par ailleurs le caractère subjectif de la légitimité (Pfeffer et Salancik, 1978 ; Capron, M. et Quairel, 2002), nous retiendrons, pour la suite de ce travail, la définition proposée par(Zimmerman et Zeitz, 2002, p. 414), qui énonce que la légitimité est « un jugement social sur

l’approbation et la désirabilité des organisations qui leur permet d’accéder aux ressources dont elles ont besoin pour survivre ». Cette définition souligne que, plus

encore qu’une perception, la légitimité est un jugement, socialement construit et lourd de conséquences pratiques. Ce dernier aspect se retrouve empiriquement dans les travaux de (Higgins et Gulati, 2003), par exemple. Ces auteurs ont, en effet, montré que la légitimité permet à de jeunes organisations de faire appel à des banques prestigieuses pour garantir leur entrée en bourse. Plus encore, apparaître comme étant légitime peut protéger une organisation d’une sanction immédiate en cas d’une variation de ses performances (Meyer et Rowan, 1977), voire même lui permettre de dévier quelque peu des pratiques établies (Sherer et Lee, 2002).

(Suchman, 1995, p. 577) distingue trois types de légitimités, à savoir les légitimités pragmatique (plutôt d’obédience stratégique), normative et cognitive (d’obédience néo-institutionnelle).

• La légitimité pragmatique s’acquiert grâce à la satisfaction des demandes des acteurs avec lesquels l’organisation est traditionnellement en relation. Cette légitimité peut être le résultat des échanges (volume d’échanges réalisés) ou de l’influence exercée par l’organisation (satisfaction des besoins des clients, intérêt manifesté par l’organisation aux intérêts de ses clients).

• La légitimité normative correspond à l’évaluation morale de l’adéquation entre les valeurs de l’organisation et celles de son environnement. Elle peut revêtir différentes formes : conséquentielle (évaluation des outils d’évaluation utilisés par l’entreprise), procédurale (évaluation des techniques et procédures mises en œuvre) ou structurale (évaluation des structures de l’organisation).

• La légitimité cognitive, enfin, se réfère à des organisations « considérées comme des éléments habituels et fonctionnels de l’environnement social » (Jepperson, 1991, p. p. 147), c’est-à-dire que leur existence « va de soi » (« taken-for-granted », (Zucker, 1977).

Ainsi, la notion de légitimité est essentielle à considérer et (Scott, et al., 2000) recommandent de la prendre davantage en compte au sein des recherches académiques, en tentant notamment de répondre aux questions suivantes : qui confère, quelle légitimité, à qui (ou à quoi) ?

(b) Selon Meyer et Rowan (1977), on entend par mythes rationalisés l’ensemble des prescriptions impersonnelles, qui spécifient les moyens considérés socialement comme étant « rationnels », pour atteindre des objectifs déterminés. Paraître agir de façon rationnelle permet d’asseoir la légitimité, elle-même nécessaire à l’obtention du soutien de l’environnement71. Toutes les organisations d’un même champ organisationnel se doivent ainsi d’adopter les techniques, pratiques, procédures, politiques, voire même les idéologies institutionnalisées en un mythe, et ce sans considération de la valeur intrinsèque de celles-ci ou de leur pertinence dans le cadre de la situation spécifique de l’organisation (Meyer, J. W. et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983). Les organisations n’adoptent donc pas toujours les pratiques les plus appropriées à l’environnement économique, mais leur préfèrent celles qui sont acceptées socialement (Huault, 2009). Ces règles ont en effet un caractère « doxique » (Powell et DiMaggio, 1997) très bien illustré par Rojot (1997b). Cet auteur propose, en effet, l’exemple d’un mythe en particulier, selon lequel avoir recours à des économistes permet à l’entreprise d’adopter de meilleures stratégies :

« Par exemple, une organisation embauche des économistes, et bien que nul ne comprenne, croie ou même ne se donne la peine de lire les analyses économétriques qu’ils produiront, la stratégie de l’organisation sera légitimée aux yeux des clients, des investisseurs et des salariés. En cas d’échec patent ou même de faillite, les secours viendront beaucoup plus facilement et les dirigeants seront exonérés, car ils peuvent démontrer qu’ils ont agi de façon prudente, avisée et rationnelle. » Rojot (1997b, p.

3364)

L’adoption de ces pratiques (ou « isomorphisme », Meyer et Rowan, 1977), répond donc à la volonté de paraître « convenable », c’est-à-dire pour reprendre la définition usuelle de ce terme proposée par le CNRLT72, « conforme aux normes sociales, aux

règles, aux mœurs acceptées dans un groupe social ». Et cette volonté s’avère

71

L’objectif n’est donc pas d’améliorer l’efficacité ou l’efficience de l’organisation (Meyer et Rowan, 1977), même si, cela peut indirectement y participer. En effet, (Pfeffer et Salancik, 1978) soulignent que l’adoption des mythes rationalisés favorise l’implication des acteurs internes et externes, donc in fine l’efficacité.

d’autant plus forte et impérative que l’activité de l’organisation est abstraite, avec des résultats lointains ou difficilement mesurables en pratique (ce qui nécessite une plus grande légitimité, celle-ci ne pouvant provenir de l’évidence de bons résultats) (DiMaggio et Powell, 1997).

Ces mythes rationalisés se diffusent au travers des réseaux relationnels. Selon (DiMaggio et Powell, 1983), les réseaux constituent, en la matière, à la fois les antécédents et les véhicules de transmission des mythes rationnalisés. Celle-ci est également facilitée par les activités de certains acteurs, tels que les agences gouvernementales (Baron, et al., 1986) les consultants (Goshal, 1988) ou encore par la mobilité de salariés expérimentés (Harrison, J. R., 1987).

(c) L’adoption de certaines pratiques institutionnalisées peut aller à l’encontre de l’efficacité opérationnelle des organisations (Meyer, J. W. et Rowan, 1977, 1983 ; Zucker, 1987). Ainsi, par exemple, l’adoption de procédures inutilement complexes de gestion des stocks (en raison de la petite taille de l’organisation par exemple) peut entraîner un retard dans la production ou dans les ventes. L’adoption de certaines pratiques peut donc se révéler nuisible, ou, pour reprendre les termes de (Kitchener, 2002), qui étudie les centres hospitaliers universitaires américains, « plus malignes

que bénignes ». De plus, le champ organisationnel comprend potentiellement une

multitude de mythes rationalisés incompatibles, non stabilisés ou incomplets, ce qui laisse, certes, aux organisations une marge de manœuvre notamment pour l’interprétation qu’ils en font en pratique (Meyer, J. W. et Rowan, 1977, 1983 ; Scott et Meyer, 1983 ; Scott, 1991), mais cette attitude rend également impossible une conformité parfaite à tous ces mythes.

Dès leurs premiers travaux néo-institutionnalistes, Meyer et Rowan (1977) ont alors souligné la possibilité pour les organisations d’adopter une conformité judicieuse (« sagacious conformity ») ou de procéder à un découplage. Cette dernière idée a été largement approfondie par l’école néo-institutionnelle scandinave, et notamment par Brunsson (1985, 1989). Par découpler, ils entendent dissocier les pratiques symboliques des pratiques réellement mises en œuvre. Les premières correspondent à une adoption « cérémonielle » des mythes rationalisés, et donc à un « isomorphisme de surface » (« surface isomorphism », (Zucker, 1987, p. 672). Westphal et Zajac

(1994) montrent ainsi comment des outils de gestion peuvent être adoptés, sans pour autant être mis en œuvre ou utilisés en pratique, et il l’illustre par le cas de l’adoption, par certaines organisations, de structures de contrôles externes, destinées à rassurer les actionnaires, sans toutefois les mettre réellement en œuvre ! En feignant volontairement comportements ou opinions, les organisations font ainsi preuve « d’hypocrisie organisationnelle » (Brunsson, 1989).

Cette première sous-section nous a permis de présenter les fondements et les grands principes de la théorie néo-institutionnelle et d’en définir les principales notions. La sous-section suivante a pour but de souligner l’intérêt de ce cadre théorique pour l’étude des RTO, et de présenter la problématique qui encadre l’ensemble de ce travail doctoral.

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