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Seconde partie Partie « empirique »

Section 3. Phase intensive : Stratégie d’accès au terrain et analyse qualitative des données

4.3.1. Stratégie d’accès au terrain

4.3.1.1. Choix méthodologiques préalables

L’élaboration de la méthodologie suppose le choix d’outils permettant de rendre compte d’une représentation du monde extérieur (Dachler, 1997). Blanchet et Gotman (2007, p. 42) distinguent quatre grands types de méthodes pour accéder au terrain : l’entretien, l’observation, le questionnaire et la recherche documentaire. Nous avons fait le choix de retenir les entretiens comme mode principal de collecte des données. Cette technique, considérée par Kahn et Cannell (1957, p. 149) et par Dexter (1970, p. 136) comme une « conversation avec un objectif »151, présente en effet différents avantages.

Tout d’abord, Eisenhardt et Graebner (2007, p. 28) soulignent que les « interviews

sont un moyen très efficient de réunir des données empiriques riches »152. Ainsi, les entretiens, que Menu (2008, p. 108) qualifie de « moments privilégiés de la recherche

151 « A conversation with a purpose »

par leur authenticité et leur intensité » permettent d’accéder en profondeur au vécu

subjectif des acteurs (Boutigny, 2005) et donc d’appréhender la réalité organisationnelle de leur point de vue (Demers, 2003). Or notre objectif est précisément de saisir, de façon la plus complète possible, la représentation que se font les acteurs de la performance et de son évaluation (et ce, en cohérence avec nos postulats ontologiques et épistémologiques). Cette technique de recueil de données s’avère aussi particulièrement pertinente dans le cadre de l’étude de processus et de phénomènes complexes (Gavard-Perret, Gotteland, Haon, et al., 2008, p. 88 et 90). Or notre revue de la littérature a souligné la polysémie et la complexité de la notion de performance et de son évaluation, surtout dans le cadre de réseaux locaux d’organisations. Cette technique nous permet donc de réunir des données précises et détaillées, nécessaires à la compréhension des comportements propres à chaque directeur de pôle.

Par ailleurs, cette technique permet de construire une véritable relation de confiance avec les personnes interviewées, qui se confient alors plus librement. L’entretien permet en effet « d’amener les sujets à vaincre ou à oublier les mécanismes de

défense qu’ils mettent en place vis-à-vis du regard extérieur sur leur comportement ou leur pensée » (Baumard, et al., 2007, p. 241). L’investigation du chercheur peut en

effet être perçue comme une menace (Baumard, et al., 2007, p. 259) à la fois parce que, comme le souligne Lee (1993, p. 6), « elle induit la possibilité que des activités

déviantes soient révélées », mais également parce que les acteurs peuvent craindre

que cette exploration ait des conséquences sur les relations de l’organisation avec son environnement (Baumard, et al., 2008, p. 259) et notamment avec ses parties prenantes.

Ainsi, certaines des personnes que nous avons interrogées, pourtant conscientes que leurs propos pourraient ne pas être bien perçus par d’autres acteurs (comme la DGCIS par exemple), se sont confiés à nous de façon très sincère (« je ne devrais pas le dire

mais… » (entretien 25), « voyez, je m’adresse à vous sans langue de bois… »

(entretien 4), etc.). Cela nous conforte dans l’intérêt d’utiliser l’entretien comme méthode principale de recueil des données, et ce, d’autant plus que la performance et son évaluation sont des domaines considérés comme éminemment stratégiques et confidentiels par les pôles de compétitivité et les différents acteurs impliqués

n’accepteraient pas d’en parler sans une certaine forme de mise en confiance, qu’un recueil par entretiens favorise153. Enfin, cette mise en confiance peut limiter certains comportements néfastes pour la qualité des données récoltées, comme la transformation des réponses visant à « bien répondre » (biais de stimulation) ou à éviter le jugement supposé de l’interviewer (biais d’anxiété154) (Gavard-Perret, Gotteland, Haon, et al., 2008).

La méthodologie retenue, basée sur les entretiens, se révèle ainsi particulièrement appropriée à l’étude des déterminants et des caractéristiques de la performance des pôles de compétitivité et aux objectifs à la fois « descriptif » et « compréhensif » que poursuit ce travail. Toutefois, la réalisation d’entretiens recèle également quelques limites. En effet, les entretiens comprennent un biais dû à la relation qui s’instaure entre l’interviewé et l’interviewer155.

Une autre limite importante tient au fait que l’entretien est réalisé a posteriori. En effet, même si Marmoz (, p.47) souligne que l’entretien permet de susciter une information qui ne lui préexistait pas clairement, « la narration a posteriori fait appel

à des niveaux de traitements de l’information et à des mécanismes cognitifs différents de ceux qui sont mobilisés à l’occasion de l’activité elle-même » (Boutigny, 2005, p.

62). Cette temporalité différée favorise également une rationalisation a posteriori des actions effectuées par les acteurs (Eisenhardt et Graebner, 2007, p. 28). Pour s’affranchir de ces limites, il faudrait réaliser concomitamment une observation sur le terrain. Toutefois, la difficulté d’accès au terrain (en termes de disponibilité des acteurs, mais également en termes de possibilités d’observation en tant que telles) nous a conduit à renoncer à cette méthode d’investigation. De plus, ainsi que l’exprime si justement Patton (2001, pp. 340-341) à propos des limites de l’observation :

« Nous interviewons les personnes pour faire émerger toutes ces

choses qu’on ne peut directement observer… Nous ne pouvons pas observer les sentiments, les pensées, et les intentions. Nous ne pouvons observer des comportements qui se déroulés

153 Nous présenterons par la suite comment nous avons, en pratique, tissé ces relations de confiance (proposition

d’engagement de confidentialité, etc.).

154 ou « evaluation apprehension » (Rosenberg, 1969)

précédemment… […] Nous devons poser des questions à propos de ces choses. L’objet des interviews est, alors, de nous permettre d’entrer dans la perspective [le point de vue] d’une autre personne »156

Afin d’intégrer les intentions et les représentations des acteurs, nous avons donc fait le choix de réaliser des entretiens, et ce, bien entendu, dans le plus grand respect de la parole des acteurs.

Quatre formes d’entretiens sont décrites dans la littérature, à savoir les entretiens directifs, semi-directifs, non-directifs et de groupe (Wacheux, 1996). Différentes considérations nous ont conduits à retenir les entretiens semi-directifs comme méthode principale de recueil des données.

- En effet, nous avons tout d’abord exclu les entretiens de groupes. Mener ce type d’entretiens entre directeurs de pôles par exemple aurait, certes, pu constituer une méthode d’approche intéressante de ce terrain, en favorisant l’étude des influences réciproques notamment, mais elle n’est pas envisageable en pratique, au vu de la très faible disponibilité des acteurs.

- Nous avons également écarté les entretiens directifs (ou standardisés), qui se caractérisent par une structuration très forte, car ils ne permettent pas de saisir en profondeur les représentations des acteurs. Demers (2003) affirme ainsi que ce type d’entretien correspond en réalité davantage à un questionnaire157 qu’à un entretien. Evrard et al. (2009, p. 95) et Baumard et al. (2008, p. 241) différencient d’ailleurs les guides d’entretien (pour la réalisation d’entretiens semi-directifs) des questionnaires (pour la réalisation d’entretiens directifs). Si ces derniers présentent des possibilités intéressantes, notamment en termes de quantification, ils ne permettent pas une exploration en profondeur des représentations individuelles des acteurs et ne nous apparaissent donc pas adaptés à l’objectif que nous poursuivons.

156 « We interview people to find out from them those things we cannot directly observe… We cannot observe feelings, thoughts, and intentions. We cannot observe behaviors that took place at some previous point in time… […] We have to ask people questions about those things. The purpose of interviewing, then, is to allow us to enter into the other person’s perspective »

- Les entretiens non-directifs, quant à eux, reposent sur le principe d’une conversation libre et ouverte, certes guidée par une thématique définie au préalable, mais sans aucune structure. L’absence de guide d’entretien158 permet de recueillir des données plus riches et variées et surtout « qu’aucune

logique extérieure ne vient a priori structurer par des questions directes ou standardisées » (Evrard, et al., 2009, p. 92). Cependant, les données issues

d’entretiens non-directifs sont le plus souvent foisonnantes et très difficiles à exploiter, à la fois parce qu’elles restent partielles et surtout peu comparables d’un entretien à l’autre. Un des objectifs de ce travail étant notamment de réaliser une analyse comparative et cumulative entre les différents répondants, cette méthode a également été écartée.

Mener des entretiens semi-directifs nous apparait donc comme le meilleur compromis entre la rigidité des entretiens directifs et le manque de structure des entretiens non- directifs. Ils offrent une certaine structure (tous les thèmes du guide d’entretien étant abordés) tout en permettant d’explorer les représentations individuelles des acteurs en profondeur159.

4.3.1.2. Accès au terrain, construction du guide d’entretien et recueil

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