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Section 2. La littérature sur l’évaluation de la performance des RTO, une littérature complexe à la confluence de nombreuses

2.2.3. L’évaluation de la performance territoriale des RTO

L’analyse de la littérature menée au Chapitre 1, a fait ressortir l’importance de la prise en compte de la dimension territoriale dans l’analyse des RTO et de leur fonctionnement. Cela s’illustre dans la littérature sur l’évaluation de la performance de ces réseaux par l’intérêt fort porté à l’évaluation de la performance dite « communautaire » (Provan et Milward, 2001) ou « territoriale » (Bocquet et Mothe, 2009a ; Chalaye et Massard, 2009) des RTO. Celle-ci désigne l’ensemble des mesures et évaluations permettant d’apprécier l’impact du RTO sur le territoire dans lequel il évolue. Les critères de mesure utilisés sont principalement relatifs à la création

d’emplois ou à la préservation des emplois existants (Bocquet et Mothe, 2009 ; Chalaye et Massard, 2009 ; Porter, 2000). Cette littérature concerne ainsi la pérennité des entreprises du territoire, dont Baum et Oliver (1992b), Ingram et Inman,(1996) et Ingram et Baum (1997) ont souligné l’importance dès les années 1990, mettant en exergue le lien existant entre l’appartenance à un RTO et la pérennité des entreprises. Plus largement, c’est l’ensemble des aspects relatifs au développement économique du territoire qui est pris en considération, que celui-ci soit effectif (avec des indicateurs comme la balance commerciale du réseau (Bocquet et Mothe, 2009)) ou potentiel. Dans ce second cas, des indicateurs relatifs à l’attractivité du territoire sont utilisés (Allix-Desfautaux et Renaud, 2010), et ce, dans un double but, à savoir la mesure de l’attractivité du territoire en elle-même et l’estimation grossière de son développement futur (ex : évolution de la qualification de la main-d’œuvre locale (Porter, 2000), degré d’ancrage des membres (Suire, 2005)).

L’ensemble de ces indicateurs, et notamment l’utilisation de ceux relatifs à l’emploi, pourraient faire penser à une volonté d’apprécier la performance globale des RTO, et plus particulièrement la performance sociétale ou « citoyenne » du RTO (Frédouet et Le Mestre, 2005). Selon nous, la raison de cet intérêt, que porte la littérature pour les indicateurs relatifs aux intérêts de la société ou de la communauté, est à rapprocher de la place qu’occupent les pouvoirs publics au sein des réseaux. Nous avons souligné précédemment (cf. Chapitre 1) le fait que même des RTO apparus spontanément, bénéficient souvent de politiques publiques de soutien, qui se traduisent par l’octroi de subventions ou le développement d’infrastructures, par exemple. Or, les pouvoirs publics, qu’ils soient nationaux, supranationaux ou locaux, font face à une obligation d’évaluation, liée à un besoin de connaissance (nécessaire au pilotage de la politique), de justification (Duran, 1999) et de légitimation de la politique publique (Muller, 1990 ; Rangeon, 1993)66. À ce titre, les pouvoirs publics s’érigent en commanditaires incontournables de l’évaluation des RTO et des politiques publiques qui s’y rattachent. Et concomitamment leurs intérêts et questionnements occupent une place centrale dans la littérature réticulaire. Certains auteurs ont d’ailleurs dédié leurs travaux à l’évaluation de la performance des RTO « publics », c’est le cas notamment

66 Muller (1990, p. 122) rappelle en effet que « La demande d'évaluation croît en même temps que les doutes sur la légitimité des politiques publiques. »

pour Provan et Milward (2001) ou Kenis et Provan (2009). La prise en compte de ces caractéristiques ne vient donc pas, selon nous, d’un intérêt particulier de la littérature pour l’aspect global de la performance des pôles mais elle semble liée à prise en compte implicite des objectifs liés aux politiques publiques et aux enjeux liés au développement du territoire, et ce, même si certains aspects de l’évaluation des politiques publiques sont omis, comme l’évaluation de la cohérence du dispositif, voir même de sa pertinence.

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En conclusion, la littérature relative à la mesure et l’évaluation de la performance des RTO permet de distinguer trois niveaux d’analyse de la performance, à savoir un niveau individuel, un niveau collectif et un niveau territorial (cf. Figure 13).

Figure 13 : La performance des RTO : essai de hiérarchisation de ses composantes (Source : auteur)

Cette littérature s’est constituée sur la base riche mais hétérogène des travaux issus des littératures relatives à l’évaluation de la performance des entreprises, des relations inter-organisationnelles et, dans une moindre mesure, des politiques publiques, adoptant, adaptant ou combinant certains de leurs modèles et outils. Ceci explique, selon nous, pourquoi cette littérature, encore émergente, s’avère déjà éminemment riche, complexe et dispersée, aucune véritable école de pensée n’ayant encore émergé à ce jour. Cette littérature s’accorde cependant très largement sur un

point essentiel, à savoir la nécessité, pour réaliser une évaluation pertinente des RTO, de prendre en compte leurs caractéristiques structurelles ainsi que les facteurs de contingence. Cette approche s’inscrit dans une réflexion remontant à 1983, date à laquelle Cameron et Whetten avaient montré – ce qui apparaît d’ailleurs aujourd’hui comme une évidence – l’importance, dès la création d’une organisation, de définir et surtout d’adapter les critères devant servir à son évaluation. Aussi, les apports de la littérature réticulaire se sont essentiellement structurés autour de la définition des caractéristiques structurelles et de facteurs de contingence à considérer.

À cet égard, on peut noter que cette littérature mobilise principalement des caractéristiques structurelles essentiellement liées au type de réseau concerné. En effet, la grande variété de RTO existants (clusters, technopôles, keiretsu, pôles de compétitivité, districts industriels, etc.), suppose la prise en considération, pour chacun, de leurs objectifs, du type d’acteurs qui les constituent ainsi que de leurs modes de coordination (Provan et Kenis, 2008 ; Kenis et Provan, 2009). Partant du constat de la diversité existant au sein même d’un type de réseau, en l’occurrence des pôles de compétitivité (Hussler et Muller, 2010), Bocquet et Mothe (2009) proposent de ne pas se limiter au seul classement des RTO selon leur dénomination usuelle (cluster, district, pôle de compétitivité), mais prônent une analyse plus fine, consistant à repérer, au sein de chaque réseau étudié, un ensemble de caractéristiques (diversité des membres, barrières à l’entrée et à la sortie et mode de coordination) permettant de déduire leur positionnement par rapport à deux idéaux-types de RTO ayant chacun leur propre définition de la performance, à savoir des versions « pures » du cluster « Portérien » ou celle du district industriel « à la Becattini ».

De plus et même si la référence à la théorie de la contingence n’est pas toujours explicite, la littérature réticulaire mobilise également des facteurs de contingence. Alberti (2001), par exemple, distingue des facteurs internes et externes de contingence des RTO. Déterministe et fonctionnaliste, la théorie de la contingence a été fondée par Burns et Stalker (1961), Lawrence et Lorsch (1967) ainsi que par Thompson (1967) et a rapidement pris une place importance dans la littérature (Dent, 1990, p. 9 ; Sponem, 2010). Elle postule que la performance organisationnelle dépend de l’adéquation entre la structure et son contexte (Drazin et Van de Ven, 1985, p. 515) et retient à ce titre, traditionnellement, des facteurs de contingence comme la

localisation géographique (Maskell, 1989 Neely ; 1992), le secteur d’activité et ses caractéristiques (Gulati, et al., 2002) la taille de l’organisation (Donaldson, 1996 ; Chapman, 1997), l’environnement compétitif ou encore de l’incertitude perçue de l’environnement de l’organisation (Cauvin et Bescos, 2005 ; Eisingerich, et al., 2010). Dans la littérature réticulaire, un intérêt particulier est porté au secteur d’appartenance du RTO, à sa taille (Nicolini, 2001) ou encore à son histoire (Carpinetti, et al., 2008 ; Boquet, et al., 2009 ; Mérindol, et al., 2010 ; Spencer, et al., 2010). Ce dernier point est particulièrement mis en lumière par Fen Chong (2009), qui mobilise la notion de caractéristiques « héritées » des RTO. Ceux-ci peuvent en effet « hériter » de caractéristiques préexistant à leur création ou présentes au sein de stades précédents d’évolution du réseau67. Les conditions même de la création du réseau (par exemple son caractère autopoïétique ou non) impactent également les RTO (Kenis et Provan, 2009).

Enfin, l’importance de la prise en compte des caractéristiques structurelles des RTO lors de l’évaluation de leur performance, ne se limite pas à l’étape de la mesure de la performance mais se révèle également critique pour la formation du jugement évaluatif. En effet, à l’instar de la comptabilité dans les entreprises, (Otley, 1980), la mesure est interprétée en fonction de caractéristiques susceptibles d’influencer le jugement porté sur la performance du réseau, comme sa composition (Häussler et Zademach, 2007), les ressources dont il dispose (dont notamment les ressources financières et humaines affectées à la production de connaissance, Chalaye et Massard, 2009), son positionnement sectoriel, son degré de spécialisation sectorielle ou technologique ou encore le potentiel estimé du ou des marchés visés (Chalaye et Massard, 2009).

La littérature souligne ainsi, très largement, l’importance de la prise en compte des caractéristiques structurelles (type de RTO, âge, taille …) et des facteurs de contingence (évolutivité du secteur économique, de la technologie …) des RTO pour l’évaluation de leur performance. Toutefois, à notre connaissance, aucune recherche à ce jour n’a considéré l’impact de possibles pressions institutionnelles sur l’évaluation

67 Fen Chong (2009) donne ainsi l’exemple des pôles de compétitivité, qui pour certains sont issus de systèmes productifs

de la performance des RTO. La littérature sur l’évaluation des RTO néglige ainsi les apports de la théorie néo-institutionnelle, et ce, alors même qu’Owen-Smith et Powell (2008, p. 596) soulignent, avec force, l’intérêt de recherches mêlant réseaux et néo- institutionnalisme. C’est donc à partir de ce constat – étonnant – de l’existence d’une lacune dans la littérature relative à l’évaluation de la performance des réseaux territorialisés d’organisations, que nous construisons notre réflexion doctorale.

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