• Aucun résultat trouvé

Choquant En phase

Section 2. Les hypothèses spécifiques aux relations stimuli-réponses

2. Les stimuli et les réactions internes : la hiérarchie des effets

Au delà du problème de l’identification des réactions aux stimuli, il paraît important d’un point de vue théorique et managérial d’identifier l’ordre d’apparition de ces réactions, et les conséquences qui en découlent pour le processus stimuli-réponses.

La théorie de l’apprentissage passif (Krugman, 1965), qui postule un effet direct des réponses cognitives sur les réponses comportementales semble d’emblée inadaptée en matière alimentaire : la tonalité hédonique de la sensation gustative est considérée comme une spécificité fonctionnelle de la gustation. Partant de ce constat, d’autres travaux en physiologie ont mis en évidence le rôle moteur du plaisir dans les conduites alimentaires (Cabanac, 1985, 1992). Ainsi, dans l’approche stimuli-réponse, les résultats obtenus tant en science des aliments qu’en physiologie suggèrent que les stimuli de la dégustation conduisent directement à une réponse émotionnelle de plaisir, laissant éventuellement peu de place aux réponses cognitives. A l’appui de cette thèse, on peut rappeler l’inefficacité des modèles cognitifs traditionnels pour expliquer l’appréciation du piment rouge par les enfants mexicains (Zajonc et Markus, 1982) à partir des caractéristiques de cet aliment.

caractéristiques organoleptiques aux appréciations hédoniques. En effet, le consommateur peine à dissocier les dimensions sensorielles et hédoniques, et ne parvient pas à justifier son jugement (Sirieix, 1999). Ainsi, il est parfois difficile de relier la réponse hédonique aux stimuli (caractéristiques sensorielles de l’aliment) (Issanchou et Hossenlopp, 1992).

Ceci semble devoir conduire à privilégier la théorie de la primauté de l’affect (Zajonc et Markus, 1982) et la formation des préférences par exposition : la séquence des étapes du processus de décision serait alors du type conatif-affectif, puis éventuellement cognitif, de manière à justifier a posteriori les préférences. Cette approche qui relativise le rôle des facteurs cognitifs paraît tout à fait compatible avec le modèle expérientiel de Holbrook et Hirschman (1982), et adaptée au cas de la consommation alimentaire contemporaine, plus influencée par la recherche de sensation et d’expérience que par la recherche du meilleur

rapport qualité-prix (cf. chapitre 1).

Toutefois, et comme il a été précisé précédemment, il semble bien que tous les stimuli, qu’ils soient exclusivement sensoriels, exclusivement épistémiques, ou qu’ils forment un ensemble de nature sensorielle et épistémique, ont pour conséquences des réactions à la fois affectives et cognitives. Or, depuis les travaux de Le Magnen (1951) établissant qu’un affect positif (le plaisir) est une condition nécessaire, voire le moteur de l’ingestion, il est très généralement considéré comme acquis que les stimuli sensoriels renvoient à des réactions affectives et, qu’en corollaire, les stimuli épistémiques renvoient à des réactions cognitives : « Alimentation et affect entretiennent une relation privilégiée. D’une part peu de catégories d’objets font naître des réactions nettes et immédiates de plaisir ou déplaisir comme les aliments le font de manière aussi caractéristique chez les humains. D’autre part, les réactions de plaisir-déplaisir représentent l’un des déterminants majeurs (des différences individuelles

en matière) d’acceptation ou de rejet alimentaire » (Baeyens et al., 1990, pp. 434-435).

De même Zajonc (1980) considère que les stimuli sensoriels non transformés ne sont pas de nature cognitive et peuvent donc conduire directement à des réactions affectives. Ce

point de vue est encore soutenu par Millar et Millar (1990) ou Edwards (1990)70. Dans le domaine alimentaire, la nature des stimuli sensoriels est également considérée comme

affective (Letarte et al, 1997). Ce point de vue est clairement illustré par Compeau et al.,

(1998) : « si une personne affirme aimer le goût des fraises, fonde-t-elle son appréciation sur la croyance que les fraises présentent un intérêt nutritionnel, un avantage pour la santé, ou encore réduisent le cholestérol ? Certainement pas puisque les saveurs en elles-mêmes ne possèdent pas de telles propriétés. Peut-être aime-t-elle la flaveur des crèmes glacées aux fraises pour leur fraîcheur ou leur goût sucré ? Les glaces à la pêche sont également fraîches et sucrées, et pourtant cette personne ne les apprécie peut-être pas. Quand elle dit aimer les fraises, elle aime en fait le goût indescriptible des fraises. Les sensations associées au goût des fraises sont positives pour elle ; il s’agit avant tout d’une réponse affective » (p.299).

Garber et al. (2003) proposent une position plus nuancée et considèrent qu’il convient

de distinguer et mesurer les effets affectifs et cognitifs des stimuli de dégustation si l’on veut mieux prédire les préférences et choix des consommateurs : « il y a une nature duale de la perception sensorielle : l’effet direct de l’expérience sensorielle sur les sens, et sa signification sous-jacente, qui se réfère à la composante cognitive de l’expérience sensorielle » (p. 9). Pour ces chercheurs, une telle assertion est argumentée par plusieurs travaux sur la couleur, qui

établissent des réactions cognitives aux stimuli sensoriels (e.g. Hine, 1996 ; Garber et al.,

2000 ; Marr, 1982). Ils élargissent ensuite le champ d’application de leur proposition à l’ensemble des stimuli sensoriels en s’appuyant sur l’existence d’interactions fortes entre les différents sens.

Ce point de vue a été conforté récemment dans le domaine du marketing (Shiv et Nowlis, 2004) : les recherches sur la douleur avaient mis en évidence le fait qu’il s’agissait d’une expérience somato-sensorielle à deux composantes, affective principalement, mais aussi

70 Reprenant la classification de Zajonc (1980), Edwards précise toutefois dans une note de bas de page que le

caractère affectif ou cognitif est spécifié comme une possibilité d’un point de vue théorique, mais que des validations empiriques restent nécessaires (Edwards, 1990, p. 204). Il va même plus loin dans sa conclusion, en suggérant qu’il paraît peu réaliste de dichotomiser aussi nettement les bases affectives ou cognitives des réactions et attitudes, et il propose l’existence d’un continuum affectif-cognitif. A un extrême figureraient les bases affectives primaires et dominantes comme « certaines préférences ou aversions alimentaires », tandis que les facteurs cognitifs comme les « stimuli objectifs et les informations factuelles » figureraient de l’autre côté du continuum (p.213). Cette proposition semble connaître de réelles limites, susceptibles finalement de remettre en causes le caractère affectif du sensoriel : le goût sucré par exemple peut parfaitement correspondre à un « stimulus objectif » puisque chacun pourra le reconnaître et catégoriser les aliments comme salés ou sucrés, indépendamment de l’appréciation individuelle qui en résulte ; sur cette base, il paraît même légitime de considérer le sensoriel comme cognitif, puisque la reconnaissance et la catégorisation sont bien des activités

cognitive. Ces deux auteurs ont montré que ce modèle était généralisable à une autre expérience somato-sensorielle, la dégustation d’un aliment.

La position retenue ici se distingue de celle habituellement observée en sciences des aliments, et considère que les réponses affectives et cognitives coexistent probablement. Les neurosciences théorisent cette problématique au travers de deux modèles concurrents, illustrant ainsi combien la controverse sur la primauté de l’affect transcende les champs disciplinaires. Il est également intéressant d’observer que ces deux modèles s’accordent sur l’existence des deux types de réaction, et ne s’oppose que sur leur ordre d’apparition. Le

modèle Top down récemment proposé suggère que « les émotions sont un peu esclaves des

raisonnements cognitifs que nous faisons » (Camille et al., 2004) et s’oppose à la théorie de

Damasio (1995) qui propose un modèle Bottom up selon lequel les émotions précèdent et

donnent forme à la connaissance rationnelle. Damasio considère que les deux approches ne

sont pas contradictoires mais complémentaires, et que le modèle Bottom up prévaudrait pour

les décisions rapides et automatiques : dans le cas de produits alimentaires à consommation fréquente, il semble que l’on puisse s’attendre à un processus « Bottom up ».

Un tel processus pourrait expliquer de nombreux comportements alimentaires révélant une primauté absolue de l’affect : les croyances nutritionnelles contemporaines, de nature

cognitive, conduisent à des degrés divers à la lipophobie et à la saccharopobie (e.g . : Fischler,

1990). Mais les réponses affectives fortement positives pour ces goûts (le sucre est apprécié de façon innée ; les corps gras permettent de développer l’intensité aromatique) incitent à une consommation croissante de tels produits en l’absence de réelles contraintes économiques (disponibilité, prix). Le cognitif aurait toutefois un effet psychologique permanent (la culpabilisation) et un effet comportemental ponctuel lors des phases dites de « régime ».

Les modèles relevant du paradigme SOR les plus aboutis, proposés en marketing des services (Bitner, 1992) ou en marketing sensoriel (Rieunier, 2000 ; Daucé et Rieunier, 2002) n’abordent pas la question épineuse de l’ordre des effets et de l’importance relative des différentes réactions internes sur les réponses comportementales.

Il semble donc délicat de trancher en faveur d’une stricte hiérarchie expérientielle des effets dans le cadre de la consommation alimentaire : de manière plus réaliste, la coexistence même de réactions cognitives et affectives conduit à envisager des hiérarchies différenciées selon les produits, et selon les stimuli de la dégustation (sensoriels seuls, ou sensoriels et épistémiques). La discussion qui vient d’être menée conduit à proposer l’hypothèse suivante :

H1. La hiérarchie des effets varie selon : H1.1. les produits

H1.2. les stimuli (sensoriels seuls, ou complets).

Si cette hypothèse est effectivement validée, il convient alors de s’interroger sur les conséquences au niveau des réactions et réponses : celles-ci diffèrent-elles selon qu’on observe une hiérarchie expérientielle (primauté de l’affect) ou classique (primauté du cognitif) ?

En particulier, si la hiérarchie expérientielle est observée, les stimuli entraînent des réactions affectives en premier lieu : on peut s’attendre à ce que ces réactions qui n’ont pas été

médiatisées par un traitement cognitif (e.g. : inférence, comparaison à un standard interne,

etc.) soient particulièrement intenses. D’où la seconde hypothèse :

H2. Les évaluations hédoniques en cas de réaction affective préalable sont supérieures aux évaluations hédoniques en cas de réaction cognitive préalable.

Le même phénomène doit être attendu pour les réactions cognitives. Ces réactions définies précédemment concernent les attributs de la qualité perçus par le consommateur : par exemple, le caractère sucré, la texture, le craquant, ou la couleur de l’aliment peuvent se révéler plus ou moins saillants selon la hiérarchie des effets. Il ne paraît cependant guère possible de préciser à ce niveau quelle sera la nature dominante de la réaction cognitive en cas de hiérarchie expérientielle ou en cas de hiérarchie classique.

H3. La nature des réactions cognitives diffère selon le type de hiérarchie des effets.

L’ordre des réactions internes peut enfin influencer les réponses conatives. Pour rester cohérent avec le principe de plaisir indispensable à la consommation alimentaire, une réaction initiale affective devrait renforcer l’intention de consommer le produit.

H4.Les réponses conatives en cas de réaction affective préalable sont plus favorables que les réponses conatives en cas de réaction cognitive préalable.

Après avoir envisagé l’ordre des réactions internes et ses principales conséquences sur le processus de choix, la définition du modèle de recherche suppose maintenant de préciser les interactions entre les réactions internes. Le cas des réactions affectives est d’abord étudié.