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Choquant En phase

Section 4. Le goût et les processus perceptuels

2. Marketing sensoriel et modèles stimuli-réponses (ou « SOR »)

La plupart des travaux de recherche en marketing sensoriel prennent pour base de

modélisation le paradigme stimulus-organisme-réponse (SOR) (e.g. : Daucé, 2000 ; Maille,

2001 ; Rieunier, 2000). Il s’agit d’un paradigme de portée très générale dont une forme élémentaire peut être trouvée dans le modèle PAD (Pleasure/Arousal/Dominance) de Mehrabian et Russel (1974). Des stimuli de l’environnement (S) sont perçus et donnent naissance à des réactions internes de l’individu (O), lesquelles constituent des médiateurs des réponses comportementales d’approche ou de fuite (R). La prise en compte de facteurs d’environnement et de variables individuelles permet d’intégrer les paradigmes POS et SOR dans un cadre conceptuel global.

Selon l’approche dominante en comportement alimentaire, les facteurs sociaux jouent un rôle majeur dans le processus d’apprentissage. Puis, lors de chaque prise alimentaire, l’individu confronte les stimuli sensoriels avec ses expériences antérieures pour constituer une réponse ou un ensemble de réponses cohérentes. L’idée centrale développée dans cette thèse est qu’à partir de l’âge adulte, les caractéristiques individuelles jouent un rôle de plus en plus

important par rapport aux facteurs sociaux, en tant que modérateurs61 du processus

stimuli-réponse. Des variables situationnelles sont également à prendre en compte (figure 2-12).

Facteurs sociaux

Expériences antérieures

STIMULI Réactions internes REPONSES

Facteurs Facteurs de

individuels situation

Figure 2-12 : Un modèle de base pour l'approche stimuli-réponses

61 Gallen (2005) propose que « les variables inter et intra individuelles ont un rôle médiateur entre la perception

et la préférence et l’acceptabilité du sujet envers le produit alimentaire dissonant (Proposition 6, p. 12). En réalité les variables–traits semblent par nature peu ou pas influençables par les stimuli et devraient donc avoir le statut de modérateur. En revanche, les variables-état (e.g. humeur, anxiété), assimilables à des réponses internes, peuvent avoir le rôle de médiateurs, influencés par les stimuli et déterminant ensuite les réponses de préférence ou d’acceptation.

Cette approche occupe une place centrale en psychologie environnementale. Le modèle le plus élaboré à ce jour semble être celui proposé par Daucé et Rieunier (2002) (figure 2-13) dont une première version a été testée dans la recherche doctorale menée par Rieunier (2000). Ce modèle est dérivé de celui proposé par Bitner (1992). Ce dernier s’inspire lui-même du modèle de base (Mehrabian et Russel, 1974) en l’enrichissant notablement puisque les réponses prises en compte ne sont pas seulement émotionnelles, mais aussi cognitives et comportementales. Il est important de préciser que ces modèles sont spécifiques à des champs d’application, comme le marketing des services pour Bitner, ou le marketing sensoriel du point de vente pour Daucé et Rieunier. Toutefois, il paraît légitime de généraliser le modèle Stimuli-Organisme-Réponses au cas des produits et des aliments en particulier dès lors que les stimuli liés au produit appartiennent bien à l’environnement du consommateur.

Figure 2-13 : Cadre conceptuel de l'approche stimuli-réponse en marketing sensoriel (Daucé et Rieunier, 2002)

La sophistication croissante de ces modèles concerne d’une part l’identification d’un nombre toujours plus important de réactions internes et de réponses comportementales, et d’autre part la prise en compte de certaines variables individuelles et de situation, potentiellement modératrices des réactions et réponses. Le modèle de Daucé et Rieunier

(2002) suggère ainsi que les stimuli sensoriels du point de vente conduisent à une première série de réactions internes. Les réponses internes cognitives correspondent globalement aux étapes du processus perceptuel présenté précédemment, tandis que les réactions émotionnelles

correspondent aux deux premières dimensions62 identifiées par Mehrabian et Russel (1974).

Ces réactions internes ont le statut de variables médiatrices et influences les réactions

comportementales et pré-comportementales63.

Les tests de dégustation en aveugle utilisent implicitement comme cadre conceptuel le paradigme SOR puisqu’ils tentent de relier des stimuli à des réponses affectives, cognitives ou comportementales : différentes formulations d’un produit constituent les stimuli et sont en général présentés à la dégustation. Puis les réponses hédoniques sont enregistrées. Il est également possible de s’intéresser aux réactions cognitives (Rogeaux et Ziegelbaum, 1996), voire comportementales ou pré-comportementales grâce à des protocoles expérimentaux de

plus en plus sophistiqués (e.g. : Lévy et Köster, 1999, Lange, 2000).

L’étude du rôle du goût et de son importance dans le cadre d’un modèle stimuli-réponses élaboré paraît pertinente à plus d’un titre :

- elle ancre l’étude du comportement du consommateur dans le champ du marketing

sensoriel en généralisant à des produits son cadre conceptuel dominant ;

- elle permet d’évaluer le rôle respectif des stimuli sensoriels de la dégustation et

d’autres stimuli de nature plus épistémique comme le prix, le conditionnement ou l’image de marque ;

- elle permet de préciser les types de réponses susceptibles d’être plus

particulièrement influencées par le goût ;

- Elle fournit un statut de variables modératrices aux caractéristiques individuelles et

permet d’observer leurs effets sur le processus stimuli-réponses.

D’un point de vue méthodologique, l’approche classique en marketing sensoriel consiste à mettre en place un plan d’expérience dans lequel le chercheur fait varier les

caractéristiques du stimulus (e.g. : tempo, style, volume de la musique ; caractère plaisant ou

stimulant d’un parfum) et observe les réponses résultantes. La démarche envisagée ici

implique au contraire de contrôler au mieux les stimuli afin de comprendre dans quelle

62 Une méta-analyse portant sur 40 études empiriques utilisant le PAD fait apparaître que la dimension Plaisir,

explique 60% de la variance des réponses affectives, et la dimension stimulation 36%. Ceci peut justifier l’abandon progressif de la dimension pouvoir ou domination, jugée trop marginale (Stamps, 2000).

63 La nature des réactions internes et comportementales, ainsi que l’identification des variables modératrices

mesure les différences dans les réponses observées à un même stimulus peuvent s’expliquer par le rôle modérateur des variables individuelles, et éventuellement situationnelles. Le problème posé n’est pas de savoir quelle est la variété des réponses produites par des stimuli, mais pourquoi un stimulus donné peut générer une variété de réponses selon les individus.

Une particularité importante dans le champ de la consommation alimentaire concerne la prise en compte du goût qui intervient à un niveau spécifique dans le processus global. Les stimuli de la dégustation surviennent au moment de la consommation, c’est-à-dire après l’achat : les attributs sensoriels ne sont guère accessibles dans leur totalité durant le processus de choix du produit. Certains peuvent toutefois intervenir lors de l’achat de produits alimentaires non transformés (la vue pour apprécier la fraîcheur d’un poisson, l’odorat pour la maturité d’un melon, ou encore le toucher pour l’affinage d’un fromage), ou parfois dans le cas de produits transformés (la vue pour les produits frais en rayon traiteur comme les pizzas sous film transparent, magret de canard sous vide, etc.). On peut admettre que dans la plupart des situations de choix de produit en magasin, les attributs sensoriels ne sont pas utilisables dans leur totalité, et le client recourt alors largement à des attributs extrinsèques (marque, label, packaging, prix, etc.) pour tenter d’inférer le goût (Dandouau et Bourgeon, 1996 ; Bourgeon et Dandouau, 1997).

Au moment de la consommation, les appréciations sensorielles permettent de compléter le processus d’évaluation, et contribuent sans doute fortement à déterminer la satisfaction et le ré-achat.

Une approche prometteuse consisterait donc à intégrer au sein d’une même recherche des études sur les processus d’achat et de consommation afin de mieux comprendre le rôle du goût. De tels exemples de recherche sont rares (Grunert, 2003) sans doute en raison de la difficulté de leur mise en œuvre.

Plus modestement, cette recherche se présente comme une contribution à la connaissance du processus global de consommation alimentaire, dont l’objectif théorique consiste à mieux comprendre le rôle des variables intervenant dans le mécanisme stimuli-réponse lié à l’expérience gustative du produit.

Enfin, l’étude de la perception du goût serait également incomplète sans la présentation des récents apports des neurosciences concernant le rôle des émotions et les mécanismes d’apprentissage.