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Choquant En phase

Section 4. Les variables individuelles modératrices

3. Les propositions relatives à l’OSL et aux tendances exploratoires

La revue de littérature menée dans le premier chapitre laisse apparaître que le modèle expérientiel de Hollbrook et Hirschman (1982) fournit un cadre particulièrement adapté pour cette recherche. Or le modèle expérientiel accorde une place centrale à certaines variables psychologiques, susceptibles de justifier des différences interindividuelles, notamment au niveau de la perception des stimuli. Les auteurs mettent ainsi en avant le rôle tout particulier des comportements exploratoires et de la recherche de sensation sur le système de réponse du consommateur. En particulier, le rôle du niveau optimal de stimulation est étudié de manière

quasi-systématique en marketing sensoriel (e.g. : Maille, 2001, 2003 ; Rieunier, 2000) depuis

qu’une adaptation française en a été proposée (Giannelloni, 1997). Cette sous-section présentera successivement le rôle de l’OSL et des comportements exploratoires en général avant de s’attacher à trois d’entre eux : la prise de risque, l’innovativité, et la tendance à la recherche de variété dont l’intérêt pour l’étude de l’omnivore a déjà été souligné.

Les théories sur le concept d’OSL se sont édifiées sur la base des travaux en psychologie de Hebb (1955) et Leuba (1955), qui suggèrent l’existence et le besoin d’un niveau optimal de stimulation physiologique. Ces théories laissent également supposer que la cause des comportements de recherche de variété serait le besoin interne de stimulation.

L’idée d’un niveau préféré (optimal) de stimulation et de différences selon les

individus pour cette préférence a engendré de nombreuses recherches (e.g. : Dember et Earl,

1957 ; Berlyne, 1960 ; Fiske et Maddi, 1961 ; Driver et Streufert, 1964 ; Kish, 1966). Des différences existent entre ces théories, mais leur point commun est que lorsque le degré de stimulation descend sous son niveau idéal, l’individu s’ennuie, et s’engage en conséquence dans des comportements stimulants comme par exemple la recherche de nouveauté. Lorsqu’à l’inverse le degré de stimulation dépasse le point idéal, l’individu tente de réduire ou de simplifier sa perception des stimuli. Ainsi, tout écart entre le niveau de stimulation à un instant t et le niveau optimal de stimulation d’un individu donné génère une pulsion qui le conduit à s’engager dans des comportements exploratoires ou de repli.

Il existerait donc un niveau de stimulation particulier que l’individu cherche à maintenir afin d’obtenir sa meilleure efficacité. Fiske et Maddi (1961) avancent que l’OSL n’est pas stationnaire, mais varie selon les phases du cycle éveil-sommeil de l’organisme. Toutefois, alors que ces variations sont homogènes pour un individu donné, Zuckerman (1979) considère que l’OSL diffère assez fortement selon les individus.

Au-delà de l’intérêt déjà souligné du marketing sensoriel pour cette variable78, on peut

faire l’hypothèse que les individus présentant un niveau optimal de stimulation élevé auront des réactions internes et des réponses plus positives que les autres aux stimuli sensoriels nouveaux ou surprenants, ou aux infirmations des attentes. En revanche, ces individus à OSL

fort présentent aussi une certaine anhédonie79 (Bourgeois, 2002) : ils risquent de former des

réactions affectives négatives face à des stimuli plus classiques comme des aliments au goût peu marqué.

Comme le remarquait Faison (1977), si nous suivons la théorie classique de l’apprentissage « instrumental » à l’extrême, nous devrions conclure que plus nous mangeons souvent du steak, plus nous l’apprécierons et le souhaiterons pour le prochain repas. En fait

78 Plusieurs auteurs ont examiné le lien existant entre le niveau optimal de stimulation (OSL) ou la recherche de

sensations, et l’effet de stimuli sensoriels sur les comportements ou les préférences. Les résultats se révèlent contrastés. On observe par exemple que des individus à OSL fort ont une intention d’achat plus forte en présence d’une musique à tempo rapide (versus lent) (Rieunier, 2000). Concernant le théâtre (considéré comme un stimuli sensoriel), les spectateurs présentant une forte recherche de sensation ont une appréciation plutôt négative (Bourgeon, 1994 ; Bourgeon et Filser, 1995). Enfin, la relation entre niveau de recherche de sensation élevé et appréciation supérieure pour un shampooing parfumé (versus inodore) n’est pas validée (Maille, 2002).

nous nous lasserions et désirerions changer pour un autre plat. Ce désir pour un changement

de rythme (« change of pace », p. 173) engage l’individu dans un processus exploratoire dont

le changement constitue un but en soi. Ces comportements ne consistent donc pas à résoudre des problèmes, dans le but d’atteindre des objectifs (Bettman, 1979) et ne s’inscrivent pas dans le paradigme du traitement cognitif de l’information.

Le paradigme dominant pour expliquer ces comportements exploratoires s’appuie sur les travaux en psychologie de Berlyne (1960, 1963) et prend en compte des stimuli de l’environnement, une variable individuelle (le niveau optimal de stimulation), et un mécanisme d’ajustement.

Les stimuli de l’environnement ont des propriétés particulières, comme l’ambiguïté, l’incongruité, l’incomplétude, le manque de clarté, la surprise ou la complexité. Berlyne (1960) parle de propriétés « collatives » des stimuli pour exprimer le fait que ce n’est pas le

seul stimulus ou ses propriétés qui font naître un comportement exploratoire, mais la collation

ou comparaison du stimulus avec l’environnement, la situation, l’expérience passée du sujet, etc. Les propriétés « collatives » de ces stimuli ont pour effet d’accroître le niveau d’excitation de l’individu et de l’engager dans des comportements adaptatifs exploratoires.

Ces comportements surviennent lorsqu’il existe un écart entre le niveau d’excitation généré par les propriétés « collatives » des stimuli et le niveau optimal de stimulation (OSL) propre à l’individu. Ainsi les comportements exploratoires sont l’expression d’un besoin d’ajustement et n’ont pas d’autres buts que de réduire ou annuler cet écart, répondant en cela au principe général d’homéostasie.

D’autres approches conceptuelles ont été proposées (voir Raju et Venkatesan, 1980, pour une revue) comme le concept d’activation (Fiske et Maddi, 1961), le concept d’incongruité de Hunt (1963), ou l’hypothèse d’un niveau d’adaptation général à l’incongruité (Driver et Steufert, 1965). Tous ces travaux ont en commun de se référer au niveau de stimulation optimum, variable selon les individus, et que chacun cherche à maintenir ou retrouver en engageant des comportements exploratoires. Cependant, d’autres traits de

personnalité contribueraient à déterminer les tendances exploratoires, comme le locus de

contrôle et le caractère social (Joachimsthaler et Lastovicka, 1984).

Un autre courant de recherche plus récent propose de remplacer l’état de stimulation par l’état d’incertitude subjective, qui résulte également des propriétés « collatives » des stimuli environnementaux (Urien, 2001). Cette approche présente l’intérêt d’expliquer certains comportements exploratoires par le rapport au temps de l’individu consommateur. Elle débouche sur des préconisations managériales au niveau des stratégies marketing de

diffusion des nouveaux produits, complémentaires de l’approche classique centrée sur l’OSL dont l’intérêt managérial majeur concernerait la gestion des éléments du mix (Falcy, 1997).

Quelle que soit l’approche retenue, les comportements exploratoires résultants sont identiques, et les chercheurs se sont attachés dans un second temps à les recenser, les définir et les regrouper. Initialement, Raju (1980) distingue sept types de comportements exploratoires :

• Prise de risque (préférence pour prendre des risques ou être aventureux)

• Innovativité (empressement à acheter ou apprendre à propos de nouveaux produits

ou services)

• Changement de marque (i.e. : « alternance de marques principalement dans un but

de changement ou variété », Raju, 1980, p279).

• Prédisposition aux comportements répétitifs (tendance à maintenir le même type

de réponse comportementale au fil du temps)

• Recherche d’information (intérêt à apprendre à propos de différents produits ou

marques, principalement par simple curiosité)

• Magasinage (visite de magasins en vue d’examiner les produits ou marques)

• Communications interpersonnelles (communiquer avec des amis à propos

d’achats)

Les facteurs de changement de marque et de prédisposition aux comportements répétitifs sont négativement et fortement corrélés, et correspondent à la recherche de variété. Aussi six facteurs seront conservés par la suite.

Sur la base des niveaux de corrélations observés entre l’OSL et les comportements exploratoires (Raju, 1977), Raju et Venkatesan (1980) en proposent une structure tri-factorielle :

• La prise de risque (prise de risque stricto sensu et innovativité) : corrélations les

plus fortes.

• La recherche de variété (changement de marque et tendance aux comportements

répétitifs) : corrélations intermédiaires.

• La curiosité (communications interpersonnelles, recherche d’information, intérêt

Pourtant, et en utilisant les mêmes données, l’analyse factorielle des sept types de comportement faisait émerger deux facteurs présentant une valeur propre supérieure à 1 : le premier facteur inclut la prise de risque, l’innovativité, la recherche de variété (changement de marque) et la tendance aux comportements répétitifs, tandis que le second facteur concerne la recherche d’information, l’exploration par le magasinage et la communication interpersonnelle. Le fait que l’innovativité et la recherche de variété saturent sur le même facteur représente en soi un indice de leur proximité conceptuelle.

Peu à peu, les chercheurs proposent des structures bi-factorielles, remarquablement comparables. Price et Rigdway (1982) distinguent les comportements exploratoires vicariants (recherche d’information, communication interpersonnelle, magasinage) des comportements

d’achat exploratoires (innovativité réalisée (actualized) et recherche de variété). De manière

proche, Joachimstahler et Lastovicka (1984) retiennent la recherche d’information et

« l’innovativité ». Venkatraman et McInnis (1985) proposent de différencier les

comportements exploratoires « épistémiques », sous-tendus par un besoin de savoir, ou besoin de connaissance, des comportements exploratoires sensoriels, sous-tendus par un besoin de sensation. Dans cette catégorisation originale, un même comportement exploratoire peut appartenir à l’un ou l’autre des deux groupes, selon les motivations sous-jacentes du consommateur, ou son orientation cognitive ou sensorielle. Enfin, Baumgartner et Steenkamp (1996) distinguent l’acquisition exploratoire de produit et la recherche exploratoire d’information, correspondant respectivement à la recherche de stimulation sensorielle (nouveauté, risque, variété) et à la recherche de stimulation cognitive (curiosité pour les informations liées à la consommation).

L’ensemble des travaux évoqués fait apparaître une relative proximité des comportements exploratoires étudiés dans cette recherche à savoir la recherche de variété, l’innovativité et la prise de risque : de manière quasi-systématique ils appartiennent au même groupe et la motivation sous-jacente qui les détermine semble correspondre à un besoin de stimulation sensorielle. Ces trois comportements exploratoires vont maintenant être présentés, et leur intégration au modèle de recherche sera justifiée.

Le concept de recherche de variété fait l’objet d’un vif intérêt de la part des chercheurs en marketing depuis plus d’une vingtaine d’années (voir par exemple McAlister et Pessemier,

1982 ; Givon, 1984 ; Lattin et McAlister, 1985, Kahn et al., 1986 ; Van Trijp, 1995).

Pendant longtemps, l’étude du concept a souffert de confusion dans la terminologie utilisée. Or il paraît essentiel de distinguer les comportements de recherche de variété des motivations qui les déterminent. Les variations de comportement peuvent résulter de très nombreux facteurs, dérivés ou directs (figure 3-11) :

Comportement de variété

Inexplicable Explicable

Dérivé Direct

Besoins Changement du Motifs intra Motifs inter

multiples problème de choix personnels personnels

Utilisateurs Contextes Utilisations Affiliation Distinction

multiples multiples multiples

Variation du Variation Variation

choix des des goûts des

possibles contraintes

Désir du Alternance dans Recherche

non familier le familier d’information

Figure 3-11 : Taxonomie des théories du comportement de recherche de variété (Laurent, 1978, in Aurier, 1991, p.87)

Les facteurs dérivés expliquent les comportements variés liés à des variations dans l’environnement, la situation, ou le contexte d’achat ou de consommation. Le consommateur peut également diversifier ses choix pour obéir à des motivations individuelles (lassitude résultant d’une trop grande régularité des comportements) ou sociales (valeur sociale du choix d’une marque ou d’un produit). Il s’agit dans ce cas de facteurs directs, déterminant la tendance à la recherche de variété : la variété est recherchée pour elle-même, et non plus de manière instrumentale dans le but de s’adapter à l’environnement. McAlister et Pessemier