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Loi dEngel

Section 2. Apprentissage et socialisation : des limites

1. Les différents apprentissages

La définition de l’apprentissage proposée par Dussart est intéressante car elle insiste surtout sur les conséquences de ce phénomène : « ensemble des changements qui affectent la tendance des réponses d’un consommateur à différents stimuli et qui sont dus à l’expérience. Le processus d’apprentissage agit sur les attitudes, les émotions, les critères d’évaluation, la personnalité, en un mot sur la quasi-totalité des variables et mécanismes qui composent le comportement du consommateur » (Dussart, 1983, p. 158). Si l’apprentissage, résultant de l’expérience du consommateur, ne peut être connu ou du moins observé, il peut être appréhendé par ses conséquences et en particulier par les variables individuelles précitées.

A partir d’une définition classique de l’apprentissage deux courants théoriques sont habituellement retenus : l’approche béhavioriste et l’approche cognitiviste ; ces deux écoles de pensée sont inégalement prises en compte en matière alimentaire. Leur seul point commun est l’étude des relations entre stimuli et réponses.

1.1L’approche béhavioriste de l’apprentissage

Cette approche considère l’apprentissage comme un processus passif qui s’apparente à un conditionnement. Il est important de préciser que les travaux et théories en ce domaine ont été d’abord initiés sur des animaux comme le chien (Pavlov, 1927) ou le pigeon (Skinner, 1938) avant d’être transférés à l’homme. Ceci explique sans doute pourquoi les processus cognitifs sont peu étudiés et que les mêmes stimuli conduisent théoriquement aux mêmes réponses, aucune variable intervenante n’étant prise en compte. Cette école de pensée a produit deux théories de l’apprentissage : le conditionnement classique et le conditionnement instrumental.

Le conditionnement classique

l’effet d’un stimulus conditionné ou conditionnel (SC) associé à un autre stimulus appelé non conditionné ou non conditionnel (SNC) et qui déclenche une réponse réflexe obligatoire appelée réponse non conditionnée (RNC). Après apprentissage, c’est-à-dire répétitions suffisantes de la séquence stimuli-réponses, une réponse conditionnée (RC) apparaît grâce aux mécanismes d’association et de transfert (figure 2-1). On appelle extinction le phénomène de disparition progressive de la réponse conditionnée lorsque le stimulus conditionné n’est plus associé au stimulus non conditionné.

Figure 2-1 : Processus de conditionnement classique dans l'expérience princeps de Pavlov

Dans l’expérience classique de Pavlov, un morceau de viande (SNC) déclenche la salivation (RNC). L’association d’un tintement de clochette (SC) à la présentation de l’aliment finit par conduire après plusieurs répétitions à un transfert : ce stimulus entraîne la salivation sans présentation de viande (RC).

En matière alimentaire, les caractéristiques sensorielles d’un aliment forment un SC complexe associé à certaines réponses digestives. Dans le cas d’une aversion gustative

conditionnée (Garcia et al., 1966), les éléments toxiques intégrés à un aliment, ou

expérimentalement une injection de chlorure de lithium ou une irradiation, représentent le SNC qui conduit à des conséquences physiologiques (nausées, vomissement, malaise gastro-intestinal). La RNC est une aversion. Le malaise est alors associé au goût de l’aliment pour lequel on obtient une aversion conditionnée (Bellisle, 1992). A l’inverse, chez un individu carencé expérimentalement en vitamine par exemple, on peut créer un appétit spécifique en associant le goût d’un aliment à la présence de la vitamine concernée. De plus, le goût pour ces caractéristiques sensorielles associées persistera bien après la disparition de la carence

Stimulus non conditionné

Morceau de viande

Stimulus conditionné

Sonnerie

Réponse non conditionnée

Salivation

Réponse conditionnée

Salivation conditionnée

induite (Booth, 1989) (figure 2-2). De même, un individu affamé préférera les aliments les plus caloriques, et apprendra à associer goût et effet rassasiant. Si on aromatise expérimentalement un aliment à faible densité calorique avec le goût habituellement associé à un autre aliment énergétique, on observe alors que la plupart des individus affamés préfèrent

et consomment l’aliment peu calorique au goût truqué (Booth et al., 1982).

Figure 2-2 : Conditionnement classique alimentaire

L’apprentissage est d’autant plus efficace et rapide que les stimuli conditionnés et non

conditionnés sont nouveaux pour l’individu et intenses42. Les capacités d’apprentissage

gustatif et l’aptitude à réguler en conséquence la prise alimentaire de manière qualitative (e.g.

besoin particulier en nutriment) et quantitative varient fortement selon les individus, sans que tous les facteurs en soient connus (Bellisle, 1992). On sait cependant que :

- Les enfants présentent de meilleures capacités d’adaptation que les adultes,

- Les enfants gros ont de moindres capacités que les enfants normo-pondéraux,

- Les garçons sont plus efficaces que les filles,

- Les enfants de parents prodiguant une éducation alimentaire très autoritaire sont

les moins compétents de tous,

42 La compréhension des mécanismes de l’aversion conditionnée a permis récemment d’éviter la perte d’appétit

observée chez les patients en chimiothérapie ou radiothérapie. En leur faisant consommer à volonté un aliment inhabituel avant la séance, on obtient une association entre les caractéristiques sensorielles de cet aliment et les nausées souvent consécutives au traitement. L’aversion gustative résultante concerne spécifiquement l’aliment

S tim ulus non conditionné

C hlorur e de lithium / carenc e nutritionnelle

S tim ulus conditionné

C aracté ristiques sens orielles de l ’alim ent

R éponse non conditionné e

A version / A ppétit

R éponse conditionné e

A version conditionnée / A ppétit spéc ifique

- Les personnes qui s’astreignent à des régimes restrictifs chroniques présentent une capacité d’adaptation particulièrement faible (Herman et Polivy, 1980).

Pour une aversion, l’apprentissage est efficace si le malaise intervient moins de douze heures après l’ingestion, et le résultat optimal s’observe pour un délai compris entre quelques secondes et six heures (Smith et Roll, 1967). L’aversion est puissante et durable : dans une étude portant sur 110 individus, il apparaît que la plupart d’entre eux sont sujets à une

aversion résultant d’un malaise gastro-intestinal43, et dans 21% des cas, les répondants savent

pourtant que le malaise n’a pas été causé par l’aliment. Ceci semble relativiser sérieusement le rôle des croyances dans ce cas particulier de conditionnement classique (Rozin, 1986).

D’un point de vue pratique, force est de reconnaître que les situations de carence ne représentent pas le cas général dans les sociétés dites développées même si elles existent effectivement. De même, l’aversion gustative conditionnée est désormais considérée comme

un cas extrême44 de conditionnement pavlovien (Domian et Burckhard, 1982).

En conséquence, l’importance réelle de ce mécanisme d’apprentissage dans la formation des goûts mérite d’être nuancée : contrairement au cas de l’aversion, « il n’existe pas de preuve indiquant que l’expérience précoce puisse produire un attachement durable et irréversible à une nourriture ou une saveur donnée » (Beauchamp et Maller, 1977). Ces auteurs soulignent en outre qu’une telle « addiction » serait incompatible avec le statut d’omnivore et la tendance à la recherche de variété qu’il implique.

D’une manière générale et indépendamment du champ alimentaire, « les situations dans lesquelles le conditionnement classique produit un effet maximum sont rares, ne serait-ce que parserait-ce que l’activité cognitive du sujet en limite l’impact, et que serait-cette activité cognitive se manifeste beaucoup plus souvent que ne le pensaient les premiers chercheurs qui ont développé le modèle de conditionnement classique » (Filser, 1994, p. 75).

43 Il n’est pas étonnant qu’une seule exposition au stimulus suffise : l’acquisition qui est la première exposition

est celle qui présente le plus d’influence, chaque nouveau contact n’ayant qu’un poids marginal décroissant dans l’apprentissage classique (McSweeney et Bierley, 1984).

44 Il présente ainsi au moins trois spécifités : une seule séquence stimuli-réponse suffit généralement ; l’écart de

temps entre SC et SNC peut être long (jusque 12 heures) ; le phénomène d’extinction n’est pas toujours observé et l’aversion peut durer plusieurs décennies, voire toute une vie.

Le conditionnement instrumental

La seconde théorie béhavioriste de l’apprentissage concerne le conditionnement instrumental ou opérant dont les prémisses sont à chercher dans la « loi de l’effet » énoncée par Thorndike (1898) : « Si une réponse faite en présence d’un stimulus est suivie d’un événement satisfaisant, l’association entre le stimulus et la réponse est renforcée. Si la réponse est suivie par un événement insatisfaisant, l’association est affaiblie ». La théorie de l’apprentissage instrumental a été proposée par Bekhterev (1913) puis développée par Skinner (1938). L’apprentissage est instrumental car les réponses (comportements) sont un instrument pour obtenir certaines conséquences (satisfaction, récompense). L’individu apprend à produire une réponse (comportement opérant) à un stimulus conditionné qui l’informe sur l’existence d’une récompense ou d’un renforçateur. Dans cette théorie, l’individu est confronté à plusieurs choix (classiquement deux, mais en réalité jusque quatre) dont il apprend par essai et erreur les conséquences. Ces conséquences influencent la probabilité de choix (renforcement positif ou négatif) lors d’une future exposition au stimulus (figure 2-3). Il est important de préciser que l’on parle de renforcement positif quand l’apprentissage crée une dépendance positive entre le choix et sa conséquence. Ainsi dans la figure 2-3 l’effet de punition est une

forme de renforcement positif puisque le lien entre choix B et aversion est positif45 (l’aliment

du choix B est toujours aversif). Le renforcement est négatif quand le comportement élimine

ou empêche une conséquence du stimulus (choix C et D ; e.g. : en laboratoire, un rat en phase

d’apprentissage instrumental placé dans une « boîte de Skinner » appuie sur un levier pour éliminer une stimulation électrique ; Bellisle, 1992).

45 La plupart des manuels francophones de comportement du consommateur (à l’exception de Dussart, 1983, p.

St

im

ul

us

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A

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B

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C

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