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Choquant En phase

Section 1. Les éléments de base du modèle : stimuli, réactions internes, réponses

1. Stimuli et attentes

Un stimulus correspond à toute donnée sensorielle (e.g. : les attributs du produit

comme l’arôme, la forme, la couleur, la texture, ou des éléments d’informations tels le prix ou la marque) qui stimule un organe sensoriel de l’individu (Parducci, 1984).

Les inputs du modèle sont les stimuli, qu’il est possible de distinguer selon leur nature

« sensorielle » ou « épistémique » en référence à la terminologie utilisée par Venkatraman et McInnis (1985) : ces auteurs distinguaient les comportements exploratoires sensoriels, tendus par un besoin de sensation, des comportements exploratoires épistémiques, sous-tendus par un besoin de savoir.

Dans cette perspective, les stimuli sensoriels sont perçus par les cinq sens (e.g. :

apparence, couleur, taille, forme, texture, odeur, arôme, goût, température) tandis que les

stimuli épistémiques englobent les stimuli dit « informationnels » (e.g. : prix, marque,

ingrédients, label, allégations nutritionnelles ; Steenkamp, 1989) et les stimuli qui contribuent à façonner les connaissances et croyances à propos du produit, mais qui n’émanent pas

directement du produit lui-même (e.g. : campagne de presse, voire rumeur). Les stimuli

épistémiques sont perçus par le consommateur antérieurement à la consommation du produit proprement dit. Une telle classification peut être rapprochée de celle proposée par Oude Ophuis et Van Trijp (1995) dans la mesure où les stimuli sensoriels correspondent globalement aux indicateurs de qualité intrinsèques et aux attributs de qualité expérimentables, tandis que les stimuli épistémiques renvoient aux indicateurs de qualité

extrinsèques64 et aux croyances de qualité non expérimentables (Tableau 3-1).

Stimuli sensoriels Stimuli épistémiques

Indicateurs de qualité intrinsèque Indicateurs de qualité extrinsèque

Apparence, couleur Forme, taille Structure

Prix, marque, pays d’origine, point de vente Allégations nutritionnelles,

Informations sur le mode de production

Attributs de qualité expérimentables Attributs de croyance qualité

Goût Fraîcheur Praticité

Santé, naturalité

Respect des animaux, de l’environnement exclusivité

Tableau 3-1 : Indicateurs et attributs de qualité pour les aliments (d'après Oude Ophuis et Van Trijp, 1995)

Les stimuli épistémiques contribuent à la formation des attentes du consommateur ou qualité attendue. Puis, en contact avec le produit, le consommateur est soumis aux stimuli

sensoriels, préalables à la formation d’une qualité expérimentée. Le jugement de qualité

globale résulte alors d’une combinaison des qualités attendue et expérimentée. L’appréciation qualitative est naturellement subjective : elle résulte de l’influence des caractéristiques individuelles sur le processus perceptuel et en particulier de la confrontation des qualités attendue et expérimentée avec les motivations alimentaires au premier rang desquelles figure le plaisir gustatif.

Il est important d’observer que dans le cas d’un produit conditionné, seuls les stimuli épistémiques seront généralement perçus lors de l’acte d’achat. Dans certains cas, lorsque l’aliment n’est pas conditionné ou est conditionné sous film transparent ou en bocal de verre par exemple, des stimuli sensoriels correspondant aux indicateurs de qualité intrinsèque interviennent également. Enfin, la totalité des stimuli participent au processus perceptuel lors de la consommation, c’est-à-dire l’ingestion de l’aliment. Toutefois, il a été vu précédemment que l’expérience de consommation alimentaire est aisément rappelable en mémoire, et qu’en ce sens elle contribue à l’élaboration des croyances et donc des attentes futures. En effet, les attentes du consommateur à l’égard d’un produit alimentaire résultent nécessairement en partie de son expérience, qui a permis de former des croyances (de nature cognitive) et des

évaluations (de nature affective65) (e.g. : LaTour et Peat, 1979 ; Miller, 1977; Pieters et al.,

1995; Rust et al., 1997, Smith et Swinyard, 1983).

65 Ces réactions affectives antérieures au stimulus sont également appelées « étiquette affective » (affective tag »

et correspondent à une trace mnésique résultant d’expériences affectives préalables avec le produit (Cohen et Areni, 1991).

La prise en compte initiale des stimuli dans le processus de choix peut alors être résumée dans la figure 3-1 :

Stimuli épistémiques Stimuli sensoriels nécessitant une expérimentation Stimuli sensoriels accessibles sans expérimentation Qualité attendue (Attentes) Qualité globale (Evaluation globale) Qualité expérimentée (Evaluation hédonique) Croy ance s futu res

Figure 3-1: Nature des stimuli, formation des attentes et processus de choix

Après chaque consommation, les attentes peuvent ainsi être réactualisées dans la perspective d’une future occasion d’achat. Toutefois, la malléabilité des attentes dépend à la fois de la capacité des consommateurs à percevoir précisément la qualité du produit, de leurs croyances sur la régularité de la qualité, et des mécanismes de révision des attentes mis en œuvre (Goering, 1985).

Dans le cas des aliments, le jugement de qualité résultant de l’expérimentation (i.e. de

la dégustation) est particulièrement subjectif, et Goering suggère que la familiarité améliore la précision du jugement de qualité. De même, la nature biologique des aliments implique la variabilité du vivant et rend illusoire toute velléité de régularité de la qualité, en particulier pour les produits non transformés : un consommateur déçu une fois par le goût d’un melon

(e.g. : trop faible teneur en sucre) ne modifiera pas ses attentes à l’égard des melons en

général car il sait bien que sa prochaine expérience de consommation de ce fruit pourra se révéler bien plus positive. En règle générale, on peut donc s’attendre à ce que, dans le cas des aliments, les attentes soient relativement stables, ou en tous cas que les attentes influencent davantage l’évaluation globale que le jugement issu d’une dégustation unique.

Ainsi, l’imprécision du jugement de qualité expérimentée inhérente aux produits alimentaires suggère une influence des attentes sur le jugement de dégustation. En retour, les

jugements de dégustation peuvent modifier les attentes. Enfin, les attentes se combinent au jugement de dégustation pour construire le jugement de qualité globale (figure 3-1).

Les attentes sont par définition antérieures à la consommation du produit, tandis que la qualité expérimentée ou jugement de dégustation résulte uniquement de la consommation.

Les stimuli sensoriels et épistémiques n’interviennent donc pas au même niveau dans le processus global de consommation et ne conduisent pas aux mêmes conséquences : il paraît dès lors essentiel de les distinguer dans l’approche stimuli-réponses.

Dans une perspective d’analyse de l’achat, les attentes sont des réactions internes aux stimuli épistémiques. En revanche, si, comme à l’occasion de cette recherche, les

préoccupations se centrent davantage sur la consommation au sens strict (i.e. : la destruction

par ingestion de l’aliment), les attentes participent à la formation des réactions internes, au

même titre que les stimuli sensoriels66 (figure 3-2). Cet angle d’approche justifie leur prise en

compte au sein de cette sous-section.

Attentes

Stimuli épistémiques Attentes Evaluation

Stimuli sensoriels

Phase d’achat Phase de consommation

Figure 3-2 : Place relative des attentes selon le processus analysé

Si la notion d’attente est largement utilisée en marketing, en particulier depuis la proposition du paradigme de la disconfirmation des attentes (Oliver, 1977), il ne semble toujours pas exister de consensus en ce qui concerne sa définition. Sur la base d’une revue de littérature centrée sur la qualité de service et la satisfaction du consommateur, pas moins de 56 définitions du terme « attente » ont pu être relevées (Santos et Boote, 2003). Il paraît possible selon ces auteurs de les regrouper en neuf catégories hiérarchisées (figure 3-3) :

- L’attente d’un standard idéal est la plus élevée dans la hiérarchie : elle correspond à l’excellence, au produit parfait qui répondrait en tous points aux besoins du consommateur. Sa nature utopique conduit inévitablement à un effet négatif sur la satisfaction puisque la qualité expérimentée lors de la consommation se situe nécessairement en deçà.

66 Une troisième conceptualisation des attentes est proposée par Bitner (1992) qui considère bien les attentes

comme résultantes de l’expérience individuelle ou de stimuli épistémiques comme le bouche à oreille, mais leur assigne le statut de variables modératrices du lien entre perceptions et réponses internes (Proposition 14, p.65).

- L’attente normative correspond à ce que la qualité devrait être, et ce standard s’établit principalement à partir de la communication des marques et de la promesse délivrée pour leurs produits. La nature optimiste de la communication commerciale comporte là encore un risque de déception pour le consommateur lors de la consommation effective.

- L’attente désirée (desired expectation) correspond au niveau de performance que le consommateur veut ou souhaite (Santos et Boote, 2003). Elle est fonction des coûts (financier, temporel, etc.) supportés par le consommateur.

- L’attente prédite s’établit en fonction des expériences passées du consommateur avec la catégorie de produit ou service : ces expositions successives l’ont conduit à établir un standard moyen de performance. Cette attente sera d’autant plus certainement satisfaite qu’il existe peu de différences entre les produits de la catégorie et que les firmes en présence sont capables de produire une qualité régulière.

- L’attente adéquate, ou à un niveau en deçà l’attente minimale tolérable, correspondent au niveau de performance acceptable, ou le plus bas acceptable par le consommateur.

- L’attente méritée (deserved expectation) se définit comme une évaluation subjective par le consommateur de son propre investissement pour le produit. Elle ressemble donc beaucoup à l’attente prédite mais peut correspondre à l’une quelconque des attentes comprises entre le niveau d’attente normative et le niveau minimum tolérable selon Santos et Boote (2003). Son niveau dans la hiérarchie proposée n’est donc pas stable et cette définition renvoie à la théorie de la zone de

tolérance proposée par Zeithaml et al. (1993) ; cette zone s’étend quant à elle du

niveau idéal ou niveau adéquat (cf. figure 3-3).

- L’attente intolérable renvoie à des niveaux de performance communiqués par le bouche à oreille ou expérimentés par le consommateur lui-même. Elle est naturellement jugée inacceptable et conduit à une disconfirmation négative.

- La pire des attentes imaginables (worst imaginable level expectation) correspond au fait que le consommateur peut éventuellement s’attendre au pire en fonction d’informations véhiculées par les media. Dans le domaine alimentaire, ce type

d’attente renvoie à la létalité associée à certaines consommations (e.g. : maladies à

correspondre à des évaluations particulièrement élevées de l’importance du risque perçu.

Santos et Boote (2003) suggèrent que le consommateur ne développe pas une attente unique, mais plutôt un ensemble d’attentes correspondant aux différents niveaux hiérarchiques définis ci-dessus : l’attente prédite est considérée comme centrale tandis que les autres niveaux d’attente sont dits périphériques et seraient basés notamment sur l’état d’esprit et l’humeur du consommateur lors de l’occasion d’achat (Santos et Boote, 2003, p.146).

Attentes idéale normative désirée prédite adéquate Minimale tolérable intolérable La pire imaginable Attente méritée Zone de tolérance Disconfirmation positive confirmation simple Disconfirmation négative

Figure 3-3 : La hiérarchie des attentes (d'après Santos et Boote, 2003, p.144)

Dans le domaine alimentaire, la totalité des attentes définies ci-dessus peuvent a priori intervenir, et conduire à des situations de disconfirmations ou d’infirmations positives ou négatives, ou encore au cas de la confirmation simple. Il n’est toutefois possible de caractériser une attente dans la hiérarchie de Santos et Boote qu’après la consommation qui révèle la confirmation ou l’infirmation.

D’autres caractéristiques ou définitions des attentes ont été proposées par des auteurs plus particulièrement engagés dans le champ alimentaire.

Un individu peut ainsi avoir des attentes sensorielles et des attentes hédoniques, les

d’un produit (e.g : une crème dessert au chocolat), sa marque (e.g. : Danette) ou son prix

(e.g. : 1,49 euros le pack de 4 pots de 125g).

ƒ Les attentes sensorielles se réfèrent à la caractérisation attendue des sensations de la dégustation sur la base des seuls stimuli épistémiques (goût de chocolat, sucrosité, texture de crème, produit de qualité ou industriel, etc.). Certains auteurs

définissent ces attentes comme des croyances (e.g. ; Schifferstein, 2000). Les

attentes sensorielles sont des réactions cognitives aux stimuli épistémiques (elles

caractérisent a priori la perception gustative du produit).

ƒ Les attentes hédoniques se réfèrent à l’appréciation ou au plaisir lié à la consommation du produit. Par exemple tel individu s’attendra à apprécier davantage une crème dessert de marque nationale par rapport à un produit premier prix. Certains auteurs appellent ces attentes attitude (Schifferstein, 2000) ou les

qualifient d’attentes hédoniques (Schifferstein, 2000 ; Wilson et al., 1989). Elles

sont des réactions affectives aux stimuli épistémiques (elles anticipent le plaisir

associé à la dégustation du produit).

Steenkamp (1989) propose de distinguer les attentes descriptives, déductives, et

informationnelles. Les attentes descriptives résultent de stimuli épistémiques comme les

allégations nutritionnelles. Elles peuvent correspondre à des attentes sensorielles (e.g. : sans

sucre ajouté) et par suite à des attentes hédoniques. Les attentes déductives sont également basés sur des stimuli épistémiques (la réputation d’une marque, le prix d’un produit peuvent permettre de déduire une qualité sensorielle ou hédonique) mais peuvent aussi résulter de stimuli sensoriels accessibles sans expérimentation : la couleur marron foncée d’un dessert au chocolat laisse supposer une forte teneur en cacao (attente sensorielle) et par suite permet d’anticiper son appréciation (attente hédonique). Des attentes informationnelles résultent des

stimuli publicitaires ou informationnels d’une manière plus générale (e.g. : pages nutrition

dans la presse magasine).

Lange (2000) considère que la formation des attentes se réalise en deux étapes : des

attentes primaires correspondant d’une part aux attentes informationnelles et d’autre part aux expériences antérieures de consommation se constituent préalablement à tout contact avec le produit. Ces attentes résultent donc toutes de stimuli épistémiques. Puis une première

approche avec le produit en magasin permet la formation d’attentes secondaires

correspondant à des attentes dites descriptives et déductives dans la terminologie de Steenkamp (1989). Ces attentes secondaires résultent quant à elles à la fois de stimuli

épistémiques (prix, marque, label, allégations nutritionnelles) et sensoriels (aspect, couleur, forme du produit ou de son emballage).

La figure 3-4 tente une synthèse des différentes notions d’attente proposées dans la littérature évoquée ci-dessus.

Recherche interne d’information Expériences antérieures Recherche externe d’information Informations commerciales et non commerciales

Attentes primaires informationnelles

Stimuli au point de vente Stimuli sensoriels :

(Produit et/ou conditionnement) Aspect, taille, forme, couleur, (odeur) Stimuli épistémiques : Marque, prix, allégations nutritionnelles, informations produit

Attentes secondaires, informationnelles, descriptives et déductives

Stimuli épistémiques

Figure 3-4 : Correspondance entre attentes primaires et secondaires (Lange, 2000), descriptives, déductives et informationnelles (Steenkamp, 1989), et nature

sensorielle ou épistémique des stimuli.

Les attentes et les stimuli sensoriels issus de la dégustation jouent un rôle complémentaire dans l’évaluation ou appréciation globale du produit et dans la formation des préférences alimentaires. Toutes les attentes résultent de stimuli, et se forment avant l’achat (attentes primaires), pendant la visite au point de vente (attentes secondaires), et lors même de la consommation : la couleur, l’odeur, la texture sont des stimuli sensoriels qui sont perçus juste avant la mise en bouche et qui contribuent à la formation d’attentes qui pourraient être qualifiées de tertiaires. Dans certains cas, leur puissance est suffisante pour interrompre le

processus de consommation. Enfin, si le dégustateur poursuit, le stimuli gustatif stricto sensu

forme une ultime attente (e.g. : l’individu s’attend à ne pas être malade avec l’aliment) qui

attentes interagissent donc en permanence tout au long du processus alimentaire et justifient la nécessité de les prendre en compte à un même niveau de modélisation.

Dans la perspective de cette recherche centrée sur la compréhension du rôle du goût dans la consommation alimentaire, les attentes intégrées dans le modèle sont les attentes hédoniques et secondaires, résultant des stimuli épistémiques au point de vente (prix, marque, packaging, etc…). Elles sont influencées en amont par les attentes primaires qui peuvent être partiellement contrôlées (mesure de la récence et de la fréquence des expériences antérieures).

En ce qui concerne les stimuli sensoriels retenus, et en accord avec la définition globale du goût proposée précédemment, il n’est pas envisageable de dissocier les stimuli sensoriels de la dégustation compte tenu de leurs puissantes interactions. L’appareillage en laboratoire permet certes d’isoler le sens du goût : éclairage en lumière rouge, masque, voire absorption par pipette opaque dans le cas de boissons. Mais si l’on souhaite se rapprocher des conditions naturelles de consommation, de tels procédés ne paraissent pas pertinents ici : l’expérience de dégustation est de nature holistique et c’est l’ensemble des stimuli liés à l’ingestion de l’aliment qui conduit aux réponses du consommateur.

Pour répondre à la problématique de cette recherche centrée sur le rôle et les déterminants du goût, il convient de dissocier les stimuli sensoriels de la dégustation, les stimuli épistémiques (attentes antérieures à la consommation), et enfin la globalité des stimuli et attentes (figure 3-5).

Figure 3-5 : Les trois types de stimuli à la base du modèle de recherche

Stimuli complets (dégustation informée) Stimuli sensoriels (dégustation seule) Stimuli épistémiques (information seule) Qualité expérimentée Qualité globale Qualité attendue

Ces trois ensembles d’inputs du modèle conduisent à des réactions internes différenciées de nature affective et/ou cognitive (qualité expérimentée, attendue, et globale). Il est également envisageable que la nature et l’effet des modérateurs du processus stimuli-réponses diffèrent selon les stimuli considérés.

La formalisation du modèle nécessite de prendre en compte non seulement les stimuli sensoriels et les stimuli épistémiques, mais également les stimuli complets : ces derniers permettent de comprendre comment le goût et l’information liée au produit se combinent pour former les réactions et réponses du consommateur.

Au delà du concept générique de qualité, les réactions internes vont maintenant pouvoir être précisées.