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Loi dEngel

Section 4. Vers un cadre théorique pour la consommation alimentaire

2. Définir la nature de l’expérience de consommation alimentaire

La fréquence élevée des consommations alimentaires impose de préciser les contours de l’expérience. Le développement du marketing expérientiel s’est initialement construit sur l’idée que le consommateur recherchait des expériences intenses, extrêmes, et extraordinaires pour compenser la banalité, voire la médiocrité de sa vie quotidienne…

Cette vue idéologique « risque de se transformer en impasse idéologique » (Carù et Cova, 2002). L’impasse managériale est également envisageable lorsque le marketing

expérientiel néglige les réalités de l’offre. Kozinets et al. (2002) montrent ainsi que les

résultats commerciaux des magasins américains à thèmes qui ont poussé à l’extrême la mise en scène sont plutôt décevants. En France, les enseignes de grande distribution qui testent de

36 Conformément au positionnement de cette thèse, le caractère expérientiel de l’alimentation concerne ici l’acte

de consommation proprement dit, et non l’achat : ce dernier peut aussi relever du cadre expérientiel, mais C o n te n u e x p é rie n tie l fa ib le C o n te n u e x p é rie n tie l fo rt P ro d u its à c o n te n u fo n c tio n n e l P ro d u its à c o n te n u e x p é rie n tie l P ro d u its à

« h a b illa g e e x p é rie n tie l » D é c o r In trig u e A c tio n s

nouvelles atmosphères en magasins basés sur les univers de consommation et tentent de

proposer une offre globale par catégorie (e.g. : univers du petit déjeuner) observent également

que les résultats (hausse du panier moyen) ne sont pas toujours en rapport avec les investissements consentis. Carù et Cova (2002) proposent d’élargir le concept d’expérience en marketing à tous les niveaux d’intensité d’expérience et citent le philosophe italien Agamben (1989) : « c’est le quotidien, précisément, et non pas l’extraordinaire, qui constituait jadis la matière première de l’expérience ».

Le caractère extraordinaire de l’expérience de consommation semble de prime abord incompatible avec la fréquence des prises alimentaires. L’expérience alimentaire s’apparente davantage à « la première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules » (Delerm, 1997). Dans son dernier opus, l’auteur valorise encore la nostalgie proustienne de l’expérience alimentaire au travers du tintement mat de la cuillère contre la paroi en verre des yaourts à l’ancienne, du petit pain taillé sur mesure pour accueillir la tablette Milka Suchard, … (Dickens, barbe à papa : Et autres nourritures délectables, Delerm, 2005).

En accord avec Herpin (2001), la fréquence de consommation alimentaire ne conduit pas nécessairement à la lassitude, à la désimplication et à l’achat routinier : «… ces produits correspondent à des besoins corporels. La faim et la soif renaissent naturellement à un rythme rapide et créent ainsi les conditions du plaisir physique » (p. 103). Il existerait donc un degré de stimulation souvent, et naturellement élevé dans la consommation alimentaire, qui fournit un indice supplémentaire de sa nature expérientielle : il s’agit à la fois d’une consommation

de nécessité (atteindre la satiété) et d’une consommation autotélique 37 (consommer par plaisir

ou par recherche de sensations ou d’émotions). Wilkström (2000) propose une grille d’analyse de la consommation à partir des dimensions nécessité et stimulation qui permet de distinguer quatre situations (figure 1-23) :

- La consommation basique, indispensable, répondant à des besoins primaires.

L’alimentation ordinaire premier prix achetée en grande surface ou maxi discompte en est un exemple.

- La consommation raffinée correspond à un centre d’intérêt de l’individu, qui lui

procure de la stimulation. L’alimentation gastronomique, les repas de gourmet, ou même les achats de produits de marque s’inscrivent dans cette catégorie.

- La consommation de routine est la plus rare selon l’auteur : qui consommerait quelque chose d’inutile et non stimulant ? Le cas d’un petit déjeuner rapide pris sans réel appétit peut illustrer ce cas de figure.

- La consommation expérientielle est celle qui, au-delà de la satiété, procure de la

stimulation et de la satisfaction personnelle : l’achat d’un produit nouveau, la visite d’un restaurant inconnu, l’expérimentation d’une nouvelle recette caractérisent cette consommation.

Figure 1-23 : Une nouvelle typologie des consommations (Wilkström, 2000, p. 63)

En réalité, la distinction entre consommation raffinée et consommation expérientielle paraît relever de la simple nuance en matière alimentaire, et en économie de satiété où le degré de nécessité peut souvent être considéré comme très relatif : le repas de gourmet est ainsi davantage motivé par le plaisir que par la nécessité de se nourrir. La consommation alimentaire revêt donc fréquemment un caractère expérientiel en économie de satiété : au-delà des exemples proposés pour illustrer la typologie de Wilkström, le simple choix d’un produit de marque plutôt qu’un produit basique peut révéler un comportement de consommation expérientielle si l’image associée à la marque véhicule surtout des bénéfices symboliques ou hédoniques.

L’analyse de la nature expérientielle de la consommation alimentaire peut encore s’enrichir notablement en intégrant l’approche très prometteuse proposée par la proxémie. Hetzel (2002) suggère de prendre en compte les travaux de Hall (1966) consacrés à la relation entre les cinq sens et la perception de l’espace pour enrichir le vécu expérientiel du

Consommation basique Consommation de routine Consommation d’expérience Consommation raffinée Degré de stimulation D egré d e ce ss ité

consommateur. Hall considère une progression sensorielle allant de l’éloignement, de la distance, à la proximité, l’intimité (figure 1-24).

Figure 1-24 : Correspondance entre les sphères des relations interpersonnelles et les cinq sens (Hetzel, 2002, p. 98)

Le goût nécessite l’incorporation qui lui confère son caractère intime, et correspond à l’absence complète de distance. Travailler sur les cinq sens permet un rapprochement entre la marque et le consommateur : « les sensations deviennent alors un processus physiologique capable de réduire les distances psychologiques » (Hetzel, 2002 ; p.98). Ce chercheur considère en outre que « l’opposition proximité/éloignement peut aussi être superposée à la dichotomie passion/raison ». Le sens du goût, sens de proximité par excellence, génère ainsi davantage de réponses affectives, voire passionnées, que le sens de la vue. « En somme, nous avons affaire ici à un mécanisme très comparable à ce qu’on qualifie souvent de « Madeleine de Proust », c’est-à-dire que le consommateur peut associer une marque, un produit, à un vécu expérientiel agréable. Ainsi, il aura tendance à être fidèle à cette marque car elle lui permettra de « maintenir la flamme mémorielle » et émotionnelle de cet état antérieur agréable » (p. 99). Ainsi, la consommation alimentaire semble devoir être appréhendée selon l’approche expérientielle, laquelle ne se limite pas aux consommations exceptionnelles : le besoin alimentaire se renouvelle fréquemment en générant un haut degré de stimulation, et le rôle central du goût justifie la prise en compte affective de cette consommation. Sur cette base, il convient maintenant de préciser le cadre d’analyse.

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