• Aucun résultat trouvé

Choquant En phase

Section 1. Les éléments de base du modèle : stimuli, réactions internes, réponses

2. Les réactions internes

On distingue habituellement les réactions internes, non directement observables par nature, des réponses comportementales ou pré-comportementales. En psychologie environnementale, trois types de réactions internes sont distingués : les réactions cognitives, affectives, et physiologiques. Cette classification présente essentiellement l’avantage de clarifier l’exposé, mais demeure quelque peu artificielle dans la mesure où comme on va le voir, il paraît douteux qu’une réaction soit de nature strictement cognitive ou strictement affective. Par ailleurs, les réactions affectives et physiologiques sont largement interdépendantes.

2.1Les réactions cognitives

Bitner (1992) distingue trois types de réponses internes cognitives : les croyances, catégorisations et significations symboliques, tandis que Daucé et Rieunier (2002) en retiennent deux : l’inférence et l’évocation, plus adaptés selon eux aux facteurs d’atmosphère en magasin.

Au delà des différences terminologiques, il semble que les croyances et significations symboliques renvoient au même type de réponse cognitive que l’inférence : bien que les auteurs n’en fournissent pas de définition, ils se réfèrent aux mêmes sources (Zeithaml, 1988). Cette réponse cognitive consiste pour l’individu soumis à un stimulus à inférer à partir de ce seul stimulus un ensemble d’autres attributs, une qualité particulière au produit ou service auquel il est confronté. Dans une étude exploratoire, les consommateurs infèrent par exemple la qualité d’un jus de fruit à partir de l’attribut pureté matérialisé par des stimuli épistémiques

comme « 100% pur jus », ou « sans sucre ajouté » (Zeithaml, 1988). Le processus d’inférence conduit donc à former des croyances et attribuer des significations symboliques au produit. La réponse cognitive d’inférence a été souvent mise en évidence lors de tests de dégustation : les

stimuli sensoriels, une fois perçus, informent sur le produit (e.g: la couleur d’un cola conduit

le consommateur à lui associer un certain niveau calorique). Il est à noter qu’ainsi définie, l’inférence renvoie au principe d’élaboration des stimuli, à l’œuvre dans l’une des étapes du processus perceptuel (Mc Guire, 1976), l’étape de compréhension.

La catégorisation des stimuli à laquelle se réfère encore Bitner (1992) correspond exactement à un autre principe de cette même étape de compréhension. Il en va de même pour la réponse cognitive appelée évocation par Daucé et Rieunier (2002) et qui renvoie au fait qu’un stimulus ou plutôt un ensemble de stimuli évoque une catégorie. Par exemple, dans un lieu de restauration, les stimuli de l’environnement permettent d’affecter ce lieu à la catégorie « fast food » ou à la catégorie « restaurant haut de gamme » (Ward, Bitner et Barnes, 1992).

On observera enfin qu’aucun des auteurs cités ici ne retient le troisième principe en œuvre dans l’étape cognitive (la compréhension), à savoir l’organisation ou intégration des stimuli. Ce principe consiste en la mise en forme du produit à partir du ou des stimuli, en les simplifiant, de manière à en permettre ensuite la mémorisation.

D’une manière générale, tous les stimuli, qu’ils soient épistémiques au moment de l’achat, sensoriels lors d’une dégustation en aveugle, ou à la fois épistémiques et sensoriels lors de la consommation, peuvent conduire à la formation de réactions cognitives. Le modèle proposé dans cette recherche cherche à répondre à une problématique centrée sur le goût : les réactions cognitives qui présentent le plus d’intérêt sont donc celles issues de la dégustation, qu’elle soit en aveugle (stimuli sensoriels seuls) ou en information complète (stimuli sensoriels et épistémiques). Quant aux réactions cognitives issues des stimuli épistémiques seuls, leur existence n’est pas remise en cause : elle se traduit en particulier par un processus

d’inférence du goût, en plus du processus d’inférence du plaisir (i.e. : formation des attentes

hédoniques, qui sont quant à elles des réactions affectives). Mais « il semble plus facile de mesurer l’inférence du plaisir que celle du goût. En effet, la représentation mentale du goût, contrairement aux représentations visuelles et auditives, semble beaucoup plus complexe à cerner » (Dandouau et Bourgeon, 1996, p. 386). De manière intuitive, on peut admettre par ailleurs qu’un consommateur examinant un aliment présenté en magasin (stimuli épistémiques) aura plus fréquemment une réaction d’inférence comme « Cela doit être bon » (réaction affective) que « Cela doit être sucré » ou « Cela doit avoir un arrière-goût de

(e.g. : « c’est cher, c’est une marque réputée »), elles relèvent surtout du constat : le consommateur prend simplement conscience du stimulus épistémique. Ces réactions cognitives aux stimuli épistémiques pourraient ainsi se révéler particulièrement intéressantes, mais dans le cadre d’autres problématiques concernant par exemple la validité des

heuristiques utilisées par le consommateur (e.g. : « un aliment cher a bon goût », ou « avec un

aliment de marque on est sûr de se faire plaisir »)67.

Au delà des types de réactions cognitives présentés ci-dessus (catégorisation, inférence, évocation), il est possible de prendre en compte ces réactions plus en amont dans le processus perceptuel, avant toute étape de compréhension ou d’intégration : ces réactions cognitives brutes intègrent alors peu d’évaluation ou de jugement implicite, et se distinguent ainsi plus nettement des réactions affectives : c’est à ce niveau le plus objectif qu’elles seront prises en compte dans le modèle de cette recherche. Elles représentent alors la simple description de la qualité perçue après exposition aux stimuli de la dégustation

2.2Les réactions affectives

Une réponse affective est définie comme un sentiment, une impression qui résulte d’un stimulus spécifique ; elle est basée sur des sensations mais implique potentiellement un

effort cognitif e.g. : Cohen et Areni, 1991).

A la suite des travaux de Mehrabian et Russel (1974), les réponses affectives aux stimuli sont généralement considérées comme bi-dimensionnelles : le plaisir et la stimulation sont les deux composantes habituellement retenues dans les recherches en marketing

sensoriel.68 La réaction de domination initialement proposée a été progressivement occultée

en raison de sa faible capacité explicative (cf. chapitre 2).

Le caractère stimulant d’un aliment résulterait donc de ses propriétés

physico-chimiques (e.g. : caféine, théine, térébenthine pour le chocolat) et serait modéré par des

variables biologiques propres à l’individu (capacité à métaboliser ces substances) et par des variables psychologiques et situationnelles (besoin de stimulation à un instant t). La réponse

67 Des typologies de réactions cognitives aux stimuli épistémiques ont également été proposées dans le domaine

alimentaire. A titre d’exemple, Letarte et al. (1997) retiennent trois sortes de réactions cognitives : les conséquences physiologiques de la consommation, comme la valeur nutritionnelle, la capacité à créer la satiété, les propriétés pour la santé ; les aspects fonctionnels comme la variété, la nouveauté, le prix, la facilité de préparation ou de conservation ; et les aspects symboliques comme les croyances à propos du pays d’origine et de la qualité, l’impact sur la nature ou l’environnement. Ces réactions cognitives semblent présenter une orientation externe ou interne et leur importance relative est probablement très variable dans le processus de choix.

68 La revue de littérature proposée par Daucé et Rieunier (2002) recense les réponses affectives suivantes aux

affective correspondante (perception du caractère stimulant) semble surtout pertinente pour les produits alimentaires possédant de telles propriétés stimulantes. L’acceptation du terme stimulation peut éventuellement être plus large : n’importe quel aliment peut stimuler l’appareil senso-récepteur, et donc l’individu, en raison de la présence intense d’un attribut organoleptique (forte sucrosité, salinité, amertume, astringence, etc.). Tous les aliments non fades peuvent dès lors conduire à une réponse de stimulation. L’existence même d’une mesure de la réponse affective de stimulation poserait toutefois problème puisqu’elle s’oppose à l’exclusivité de la réponse de plaisir pour les spécialistes en sciences des aliments.

Le plaisir est par définition l’objet même des mesures développées en évaluation hédonique. La nécessité d’une prise en compte des émotions moins holistes que le seul plaisir est cependant soulignée (Falcy, 1993, Lichtlé et Plichon, 2004). Richins (1997) estime que l’intensité et le contenu des émotions sont spécifiques à chaque contexte et qu’il convient de mettre en place un instrument spécifique au comportement de consommation étudié. La réponse émotionnelle aux stimuli peut d’ailleurs mieux prédire le comportement que l’attitude (Allen, Machleit et Schultz Kleine, 1992). Cette prise en compte plus analytique de la réponse affective est explicitement préconisée dans l’approche expérientielle (Holbrook et Hirschman, 1992, p.137) dont est issue le courant du marketing sensoriel.

Dans cette perspective, il se peut donc que l’évaluation hédonique ne soit pas

assimilable à la réponse affective aux stimuli de la dégustation, comme le soutient l’approche physiologique69 . Bien que la mesure habituelle soit du type like-dislike et semble correspondre à la mesure affective du plaisir dans l’échelle PAD, il paraît également possible de soutenir que ce volet hédonique ne représente que l’une des dimensions des réactions affectives aux stimuli alimentaires. A titre d’exemple, la peur, la surprise ou le dégoût semblent d’autres réactions affectives envisageables. Pour cette raison, le modèle de recherche intègre deux types de réactions affectives aux stimuli de la dégustation : l’évaluation hédonique classique, et les émotions issues de la dégustation.

Les réactions affectives peuvent résulter, de la même manière que les réactions

cognitives, tant des stimuli épistémiques (i.e. : le consommateur peut avoir des attentes

69 Un autre argument est fourni par les recherches récentes en neurosciences : elles établissent désormais « des

différences objectivables entre la conscience du plaisir (qui prend racine au niveau de l’hypothalamus) et celle de l’émotion, correspondant à une activité temporaire du cerveau touchant à une forme de paroxysme neuronal au sein du cortex interhémisphérique ». In : « les neurosciences découvrent les sources du plaisir sensoriel » Nau J.-Y., Le Monde du 31 décembre 2003, p.17. A propos des travaux récents de P. Mac Leod, président de l’institut

hédoniques), que des stimuli sensoriels (i.e. : évaluation hédonique ; émotions), ou encore de

l’ensemble des stimuli à la fois sensoriels et épistémiques (i.e. : évaluation hédonique

globale ; émotions). Les émotions de la dégustation ne constituent pas une réaction affective aux stimuli épistémiques puisqu’il n’y a pas de dégustation pour ces stimuli.

2.3Les réactions physiologiques

En psychologie environnementale, les stimuli comme le bruit, la luminosité, la température ou la qualité de l’air peuvent entraîner des réactions de souffrance physique, qui influencent les réactions affectives et cognitives. En matière alimentaire, ces réactions concernent principalement les différentes formes de malaise post-ingestifs. Un aliment qui provoque une réaction physiologique négative pourra être considéré comme périmé ou pas frais (réaction cognitive) et susciter le dégoût (réaction affective).

D’autres réactions physiologiques comme les comportements expressifs (e.g. :

réactions neuro-musculaires posturales, faciales ; mouvements oculaires) sont également observables en réponse à des stimuli, notamment alimentaires : ces réactions sont en fait une forme de réponse affective, car l’émotion correspond à un état fonctionnel de l’organisme (Bloch, 1985). Elles sont fréquemment prises en compte dans les études portant sur la compréhension du goût chez les nourrissons. Elles présentent l’avantage d’éviter toute verbalisation des réactions affectives, mais nécessite des moyens d’enregistrement spécifiques, puis une procédure de codage qui laisse nécessairement place à d’éventuels risques d’interprétation. Pour ces raisons, il n’a pas été possible de les prendre en compte dans le cadre de cette recherche.