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Quelle est la nature du mouvement Tea Party et des groupes qui le composent ? Pour appréhender ce phénomène inédit, il m’a semblé cohérent de commencer par identifier le statut de ce qu’il est possible d’apparenter à des cellules, étant donné la structure sans leader (leaderless) qui caractérise ce mouvement. Cette étude portant en priorité sur le fonctionnement des groupes, c’est bien leur statut qui détermine et conditionne leur marge de manœuvre.

Le nombre des groupes est tel qu’un état des lieux à l’échelle nationale demanderait des moyens colossaux. De fait, même une organisation nationale comme Tea Party Patriots, qui chapeaute d’autres groupes, ne possède pas ce genre d’information. Elle pourrait l’obtenir en effectuant une enquête, mais cette statistique n’ayant pas d’incidence sur son fonctionnement, une telle étude n’est pas à l’ordre du jour comme l’indiquait Diana, du groupe Philadelphia Tea Party Patriots-Landsdale lors d’un entretien le 26 juin 2014.

Pour cette analyse, il convient de distinguer les groupes locaux de mon terrain, à savoir Delaware County Patriots, Philadelphia Tea Party Patriots-Landsdale, Philadelphia Tea Party Patriots-Lower Bucks, Philadelphia Tea Party Patriots-Central Montgomery en Pennsylvanie, Greater Boston Tea Party et Worcester Tea Party dans le Massachusetts, et les groupes de plus grande envergure comme le groupe tri-étatique Independence Hall Foundation (Pennsylvanie-New Jersey-Delaware), ou Tea Party Patriots, qui travaille à l’échelle nationale. Ces groupes de grande envergure peuvent également être désignés par le terme « organisation ». J’étudierai certains groupes locaux de façon plus poussée, mais il est

également nécessaire de connaître le statut des grandes organisations, pour comprendre comment les uns se placent par rapport aux autres107, et les relations qu’ils peuvent par conséquent entretenir.

Étant donné que ce sont les différents statuts au niveau juridique et fiscal qui définissent ce que les groupes sont autorisés à faire en termes de militantisme, une étude de la réglementation des organisations s’impose. Il faut savoir qu’aux États-Unis, de nombreuses organisations bénéficient d’une exonération fiscale selon les conditions définies par le code fédéral des impôts (Internal Revenue Code ou IRC), mais cette exemption est assortie de conditions en ce qui concerne les actions législatives et politiques. Les textes permettent donc de comprendre où les groupes se positionnent, notamment en fonction de leur taille et de leurs moyens, et la réglementation est fondamentale pour saisir les enjeux inhérents au mouvement. Sans la connaître, l’on risque de ne pas saisir ce qui constitue l’essence même des groupes. D’autre part, les questions fiscales sont au cœur des revendications du mouvement Tea Party, qui s’inscrit dans la lignée des organisations antifiscales comme on le verra plus loin en détail.

La question du statut des organisations m’est apparue d’autant plus cruciale que lors de mon voyage en 2013, une controverse avec l’IRS venait d’éclater108. Les services fiscaux ont alors été accusés de cibler délibérément des organisations conservatrices, en majorité des groupes Tea Party, dans les procédures d’attribution d’exonération fiscale. Alors que par le passé, l’administration fiscale s’était vue reprocher son manque de rigueur, certaines organisations faisaient cette fois l’objet de contrôles excessifs, en fonction de critères comme leur nom ou leurs objectifs. Ceci rendait encore plus difficile une procédure de candidature déjà très complexe, et coûteuse. De plus, les délais de réponse de l’administration fiscale étaient très longs, certaines organisations devant attendre plus de deux ans. Étant donné que le statut des organisations détermine ce qu’elles sont autorisées à faire en termes d’activité politique, il s’avère crucial dans le contexte américain. Et compte tenu de la réglementation sur le financement des campagnes électorales, qui permet à certaines organisations de fonctionner comme de véritables « machines de financement » pour les candidats, l’IRS cherchait à repérer celles qui pourraient se révéler de cette nature, et contribuer au financement de

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J’utiliserai dans ce chapitre indifféremment les termes « organisation », « groupe » et « association ».

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Internal Revenue Service (IRS) – En français le « fisc », c’est-à-dire les services fiscaux chargés de mettre en application le code des impôts. – J’utiliserai l’abréviation IRS, « administration fiscale » ou « services fiscaux » pour y faire référence par la suite.

candidats—conservateurs en l’occurrence, en opposition au gouvernement démocrate de Barack Obama. Je reviens plus loin sur cet épisode, car il illustre bien les spécificités de la réglementation, et offre un réel éclairage sur le fonctionnement même des groupes au travers des questions soulevées. C’est cette controverse qui m’a incitée à me pencher sur la typologie juridique et fiscale des associations, et m’a permis de prendre la mesure de l’hétérogénéité du mouvement. Les groupes de grande envergure se sont assez rapidement constitués en PAC ou en Super PAC109, afin d’intervenir directement dans les campagnes électorales ou d’exercer une influence sur la législation110. En revanche, la typologie des groupes locaux s’avère beaucoup plus complexe. En raison de leur taille limitée, j’ai d’emblée été tentée de les assimiler à des associations à but non lucratif, statut qui existe en France comme aux États- Unis et qui permet l’exonération fiscale dans les deux pays. Pourtant, il n’en est pas tout à fait ainsi. D’abord les groupes n’ont pas tous opté pour ce statut, et ce pour des raisons qui sont précisées plus loin. Et quand ils l’ont choisi, en tant qu’associations à but non lucratif, ils peuvent exercer une influence considérable (par rapport à la France), comme les polémiques sur le financement des campagnes électorales l’ont démontré depuis 2012.

Il s’agira donc de comprendre où chaque groupe s’est positionné, en raison de la réglementation, mais aussi à cause du coût et de la complexité des procédures administratives, et enfin en lien avec les événements liés à la controverse de l’IRS en 2013. J’étudie ici les statuts de type 501(c)3 et 501(c)4, et les statuts de type 527, PAC et Super PAC, qui permettent tous une exonération fiscale. Certains groupes de mon terrain relèvent de l’un de ces statuts, alors que d’autres ont choisi de fonctionner sans statut. Ceci constitue un point particulièrement intéressant en termes de marge de manœuvre, comme je l’explique dans le chapitre sur les groupes locaux.

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Un PAC (Political Action Committee) est un comité d’action politique, créé dans le but de récolter des fonds qu’il investit spécifiquement pour l’élection ou la défaite de candidats, ou pour soutenir ou s’opposer à l’adoption de certaines lois. J’utiliserai l’abréviation PAC pour y faire référence par la suite.

Selon la loi sur les campagnes électorales fédérales (Federal Election Campaign Act), une organisation reçoit le statut de « comité politique » si elle reçoit des dons ou si elle effectue des dépenses au-delà de 1000 dollars, et ceci dans le but d'influencer une élection fédérale.

En mars 2010, un arrêt de la Cour Suprême des États-Unis (Citizens United v. FEC) a aboli le plafond des contributions pour les comités d'action politique réputés indépendants des partis politiques et des candidats aux élections. Ces comités, appelés des Super PAC, sont critiqués car ils permettent de financer des campagnes de dénigrement à très grande échelle, indépendamment des candidats et avec des fonds quasi-illimités. J’y reviens plus loin.

110 L’organisation Tea Party Patriots a ainsi créé le Super PAC Tea Party Patriots Citizens Fund en février

1. Typologie des associations bénéficiant d’une exonération fiscale

Comme je viens de le souligner, l’idée d’un groupement de personnes en nombre limité évoque de prime abord le statut de l’association de loi 1901 à but non lucratif, en France. Je rappelle ici de façon succincte les caractéristiques juridiques et fiscales de l’association, afin de voir dans quelle mesure les deux systèmes supportent la comparaison.

En France, l’association peut être constituée au minimum de deux personnes, qui mettent en commun leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que celui de dégager des bénéfices. La Loi de 1901 définissant très peu d’éléments, elle laisse aux créateurs et membres d’association de nombreuses libertés, dont celle de choisir le but de l’association, c’est-à-dire quasiment tous les domaines d'activité et de la vie sociale à condition qu'ils soient licites. Ils ont le choix entre différents moyens de financement, comme les cotisations des membres, les subventions de l'État ou des collectivités territoriales, les dons manuels, les aides provenant du partenariat ou du mécénat. Enfin, il s’agit d’un contrat de droit privé.Par ailleurs, une association peut être non déclarée, et il s’agit alors d’une association de fait, sans personnalité morale ni capacité juridique. Elle résulte d'une convention passée entre membres d'un groupe formé de deux personnes ou plus qui décident d'associer leurs efforts, sans pour autant choisir de se déclarer selon les statuts réglementaires propres à chaque pays. Les associations de fait sont parfaitement légales mais jouissent selon les pays de droits et possibilités juridiques souvent moindres que les associations déclarées selon un régime légal111. Ce statut, rapporté au cadre du système américain, est donc pertinent pour l’étude des groupes de mon terrain qui l’ont choisi. Le régime fiscal des associations est un régime non lucratif entraînant l'exonération des impôts commerciaux (TVA, impôt sur les sociétés, Contribution économique territoriale), dès lors que l’association ne concurrence pas le secteur commercial et que sa gestion est désintéressée112.

111

Voir la définition selon l’Article premier de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Legifrance.

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=B4425F087C10D255C2B8C2BE8020D72D.tpdjo04v_

3?cidTexte=LEGITEXT000006069570&dateTexte=&categorieLien=cid. Consulté le 14 août 2014.

112Selon le Code Général des Impôts en France, stipulant les dispositions diverses pour les « Collectivités autres

que les sociétés et les Organismes sans but lucratif »

Voir Direction générale des impôts. IS. TP. TVA. Dispositions diverses. Collectivités autres que les sociétés.

Organismes sans but lucratif. 4 H-5-06, N° 208 du 18 décembre 2006.

Si la définition d’une association aux États-Unis est assez proche de celle de la définition française, puisqu’il s’agit d’un groupe d’au moins deux personnes qui s’associent dans un but précis, excluant tout intérêt privé, et avec l’obligation de présenter un document écrit démontrant sa création113, les restrictions sont beaucoup plus spécifiques pour l’exonération fiscale. Pour les associations américaines (dont la définition peut varier d’un État à l’autre), cette exonération s’effectue sur des critères visant moins la concurrence commerciale et davantage l’activité politique. Et c’est bien en cela que le statut fiscal des associations est fondamental pour mon sujet.

Les statuts de type 501(c), à but non-lucratif, et de type 527, permettent tous deux une exonération fiscale. Mais si les organisations 501(c) doivent démontrer leur caractère non- partisan pour prétendre à l’exonération, les organisations 527 sont créées principalement dans le but d’influencer la sélection, la nomination, l’élection ou la désignation de candidats à des postes publics au niveau local, d’état ou fédéral.

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