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1. Scott Brown remporte le Massachusetts

Le mouvement remporte sa première victoire importante en janvier 2010, dans le Massachusetts, un État pourtant très libéral. Une élection spéciale est organisée suite au décès du Sénateur Ted Kennedy, qui a laissé un siège vacant. Dans ce fief des Kennedy justement, le succès de la candidate démocrate Martha Coakley semble assuré ; or, c’est le Républicain Scott Brown, soutenu par le Tea Party, qui remporte l’élection. Même s’il prend ses distances par rapport au mouvement pendant la campagne, le Tea Party le reconnaît comme l’un des siens car il s’est positionné en outsider, s’engageant à voter contre la réforme du système d’assurance-santé. Cette élection démontre l’influence du Tea Party, et convainc les leaders du mouvement qu’il est possible de prendre n’importe quel siège, avec suffisamment d’organisation et de détermination.

2. Sarah Palin, égérie du mouvement à la Convention Nationale du Tea Party

Le 6 février 2010, la première Convention Nationale du Tea Party se tient à Nashville, dans le Tennessee. À l’origine de cette convention, le Tea Party Nation, groupe créé en avril 2009 par Judson Phillips, adjoint du Procureur général du Tennessee. C’est Sarah Palin qui prononce le discours inaugural. Elle rend un hommage vibrant au Tea Party comme mouvement réellement grassroots, un mouvement qui concerne « les gens, qui comptent plus que n’importe quel Roi ou n’importe quelle Reine d’une “tea party”» (about the people (…) bigger than any one king or queen of a tea party). Devant le millier de personnes venues l’écouter, elle évoque une Amérique prête pour une Seconde Révolution (America is ready for another Revolution), exploitant tout le symbolisme cher au mouvement345.

Cependant, certains membres du Tea Party accusent Tea Party Nation, le groupe organisateur, d’essayer de tirer profit de l’événement. Les 600 personnes venues assister à l’intégralité de la convention, ont en effet payé leur billet d’entrée 549 dollars, et sont hébergées dans un hôtel de luxe. Entrepreneurs, agents immobiliers ou riches retraités, ces participants

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Les éléments de ce sous-chapitre s’appuient principalement sur l’ouvrage d’Aurélie Godet, Le Tea Party :

Portrait d’une Amérique désorientée. pp. 17-29.

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Voir la vidéo « Sarah Palin Keynote Speech at National Tea Party Convention » ajoutée sur la chaîne

YouTube par C-SPAN, le 6 février 2010. https://www.youtube.com/watch?v=E7gVp3diPbI. Consulté le 20 juin 2017.

viennent assister aux séminaires conduits par des coordinateurs régionaux du mouvement, dans lesquels ils apprennent par exemple « comment organiser une Tea Party ». En outre, Sarah Palin aurait facturé son intervention 100 000 dollars, avec l’intention d’investir cette somme dans le soutien de la cause. Ces éléments viennent contredire le profil socio-économique dont se réclament la plupart des militants, celui de citoyens appartenant à un mouvement grassroots organisé « from the bottom-up », dans des petits groupes unis autour d’une même idéologie346. Par ailleurs, bien que souvent considérée comme chef de file du mouvement, Sarah Palin en est alors plutôt la figure de proue. Le mouvement ne revendique en effet ni leader, ni chef de file national.

La convention s’articule autour de deux questions : faut-il créer une organisation Tea Party à l’échelle nationale ? Faut-il intervenir directement dans la campagne législative de 2010 ? On l’a vu, les groupes qui souhaitent soutenir directement des candidats dans les élections doivent créer des comités d’action politique. Il faudrait donc envisager la création d’un PAC pour faciliter la récolte de fonds en vue du soutien de candidats favorables aux idées du Tea Party. Ainsi, en 2010, le mouvement s’interroge déjà sur les stratégies à mettre en œuvre pour influencer la ligne politique du Parti républicain.

3. Le Contract from America

En février 2010, le Tea Party publie le programme Contract from America347, élaboré à partir des propositions en ligne des internautes selon un format participatif, le wiki348. La référence au programme républicain proposé par Newt Gingrich en 1994, Contract with America, est évidente349. À l’époque, il s’agissait d’un contrat des jeunes élus Républicains avec leurs électeurs,

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Godet, Le Tea Party : Portrait d’une Amérique désorientée. p.19.

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Le manifeste Contract from America est consultable à l’adresse http://contractfromamerica.org/. Les onze grandes priorités du contrat sont : 1. Protéger la Constitution. 2. Lutter contre la limitation des

émissions de dioxyde de carbone (cap-and-trade). 3. Exiger l’équilibre budgétaire. 4. Lancer une grande réforme du système fiscal. 5. Restaurer la responsabilité fiscale et limiter l’intervention de l’État dans l’économie. 6. Mettre un terme aux dépenses galopantes de l’État fédéral. 7. Supprimer les financements nécessaires à la réforme du système de santé, puis abolir et remplacer celle-ci. 8. Adopter une politique énergétique qui utilise toutes les ressources disponibles (all-of-the above energy policy). 9. Supprimer les dépenses publiques à visée électoraliste (pork barrel). 10. Protéger la vie privée des Américains. 11. Lutter contre les actions

anticonstitutionnelles du pouvoir exécutif.

Voir Godet, Aurélie. Le Tea Party : Portrait d’une Amérique désorientée. p. 18.

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J’expliquerai l’importance du format participatif dans le chapitre sur les groupes locaux.

349Newton Leroy « Newt » Gingrich a été représentant Républicain du 6ème district de Géorgie au Congrès des

États-Unis, de 1979 jusqu’à sa démission en 1999. Président de la Chambre des Représentants de 1995 à 1999, il a servi comme Chef de la minorité parlementaire (Whip) de 1989 à 1995. Il a également été candidat aux primaires Républicaines pour l’élection présidentielle de 2012. Co-auteur et architecte du Contract with

concernant les actions législatives que la nouvelle majorité allait prendre dans les cent premiers jours de son mandat, alors que le Contract from America du Tea Party énumère les principales attentes des électeurs, dans une sorte de « mandat délivré par le peuple » (mandate from the people). L’un des architectes du contrat explique en avoir eu l’idée lors des élections de novembre 2008, constatant la « perte de légitimité » des élus, pourtant des conservateurs fiscaux et défenseurs du gouvernement limité, et ce surtout chez les Républicains350. Il cherche alors un moyen de garantir la responsabilité, et la représentativité politique (accountability) des élus351. L’argument de la représentativité politique, pour rappel l’une des revendications des colons américains pendant la période prérévolutionnaire, est avancé par le mouvement Tea Party contemporain pour justifier ses doléances.

4. Des résultats spectaculaire aux primaires

En mars, un rassemblement Tea Party est organisé à Searchlight, Nevada, pour exprimer l’opposition du mouvement au Sénateur Harry Reid, chef de la majorité parlementaire Démocrate (Senate Majority Leader), lors d’une campagne serrée pour sa réélection au Sénat. Dans le Kentucky, le Tea Party reproche à Trey Grayson, le candidat républicain, de soutenir le plan de sauvetage des banques. Son opposant Rand Paul, novice en politique, est cependant « fils de », et il est financé par les organisations Tea Party. Le 18 mai, il remporte la primaire sénatoriale avec presque 24 points d’avance. Son commentaire, suite à cette victoire, mérite d’être mentionné : « Le mouvement du Tea Party est énorme… ce que nous allons faire maintenant peut transformer l’Amérique ». Ceci peut sembler paradoxal, alors même que la promesse du président Obama de transformer l’Amérique a été très mal accueillie par les Tea Partiers. La volonté, à la fois de préserver « et » de transformer, véritable oxymore, est un exemple des résurgences conservatrices à l’œuvre avec le mouvement Tea Party.

Alors qu’il était Président de la Chambre, le Congrès a entériné, en 1998, le premier budget équilibré depuis 1969.

Il démissionne de la Présidence de la Chambre suite aux résultats décevants des Républicains aux élections de 1998. Depuis, Newt Gingrich est resté actif dans les débats de politique publique, et travaille comme consultant politique. Il a fondé et présidé plusieurs think tanks.

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Ryan Hecker, militant Tea Party dans la région de Houston, est avocat à plein temps.

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Crandall,Daniel P. « Contract FROM America: Giving the People a Voice in Congress ». AmericanThinker, March 14, 2010.

http://www.americanthinker.com/articles/2010/03/contract_from_america_giving_t.html#ixzz3dtRUgIz9.

En Floride, Marco Rubio, Président de l’Assemblée législative de l’État, est soutenu par le Tea Party. Il contraint le Gouverneur sortant Charles Christ, accusé de soutenir le plan de relance du gouvernement, à faire campagne comme indépendant. Le scénario se répète en septembre dans le Delaware, État à l’orientation fortement démocratique où Joseph Biden, devenu vice-président sous Obama, a été réélu sénateur durant plus de trente ans. Les Républicains espèrent récupérer les votes de l’électorat indépendant, en soutenant Delaware Michael Castle, vétéran Républicain, représentant de l’État à la Chambre et conservateur plutôt modéré, contre la candidate Tea Party Christine O’Donnell. Or, cette dernière le bat avec 53% des voix contre 47%, alors qu’elle n’a aucune expérience en politique, hormis le fait de s’être présentée une fois en 2008 pour reprendre le siège de Biden. Cette femme est surtout connue pour ses positions morales extrêmes, notamment sur l’abstinence avant le mariage, et une opposition stricte à la masturbation. Elle a d’ailleurs fondé en 1996 l’association ultraconservatrice Savior’s Alliance for Lifting the Truth (Alliance du Sauveur pour la révélation de la vérité).

En tout, sur 37 primaires sénatoriales républicaines, les candidats soutenus par le Tea Party obtiennent l’investiture dans 11 États : Colorado, Delaware, Floride, Kansas, Kentucky, Nevada, Oklahoma, Pennsylvanie, Utah, Wisconsin et Alaska. Les médias, conservateurs comme libéraux, soulignent le rejet de l’Establishment par les électeurs des primaires, comme l’illustre le titre du Huffington Post, site libéral pourtant très à gauche : « Révolte des électeurs ! ». Le sentiment de lassitude trouve ici toute son expression.

Enfin, en juillet 2010, la représentante républicaine du Minnesota Michele Bachmann obtient le feu vert du Président de la Chambre pour constituer un groupe parlementaire Tea Party, le Tea Party Caucus. Vingt-huit Républicains rejoignent ce groupe, ce qui constitue un petit nombre étant donné que les élus restent réticents pour leur majorité. Symboliquement en revanche, c’est important puisqu’il s’agit du premier groupe parlementaire Tea Party.

5. Des alliances se nouent avec les Républicains

Afin de capter cet électorat qui se reconnaît dans le Tea Party, le Parti républicain annonce son programme officiel pour les élections de mi-mandat 2010 : The Pledge to America (le Pacte avec l’Amérique). Ce document renvoie de façon implicite au Contract with America de Newt Gingrich. Le manifeste fait aussi référence, de façon évidente, au Contract from America du Tea Party, et adopte la rhétorique populiste du mouvement, en invoquant le droit du peuple à instaurer

un nouveau programme politique, lorsque le gouvernement menace la liberté et l’autonomie. Le « gouvernement arrogant et déconnecté, composé d’élites autonomes », qui vote des lois sans accepter ni demander l’avis « du plus grand nombre », y est vivement critiqué352. Mais le Pacte des Républicains ne propose pas de réel choix politique, et semble davantage un prolongement de la politique menée depuis les gouvernements Bush : réduction des impôts, défense des intérêts des plus fortunés, dérégulation. David Frum, ancien conseiller de George W. Bush, souligne une volonté de compromis politique qui montre que le Parti républicain s’attend à une victoire : pas question pour le GOP de compromettre ses chances de succès avec des mesures radicales et impopulaires. Le manifeste rejette l’idée fondamentale du Tea Party, c’est-à-dire des électeurs radicaux qui demandent un gouvernement limité. Et c’est pourquoi, à la veille du scrutin de novembre 2010, l’alliance entre le Parti républicain et le mouvement Tea Party n’est encore qu’une « chimère »353.

Inversement, l’absence de volonté de compromis du Tea Party doit être soulignée ici, car c’est une caractéristique récurrente qui va se révéler à la fois une force et une faiblesse. Ainsi, si la colère des Tea Partiers s’exprime généralement à l’endroit des Démocrates, les Républicains ne sont pas épargnés. Un an plus tôt, en novembre 2009, dans l’État de New York, lors d’une élection spéciale pour un siège de représentant laissé vacant par John McHugh, le Tea Party avait soutenu le candidat indépendant Doug Hoffman. Le mouvement l’avait préféré à la candidate Dede Scozzafava, Républicaine modérée défendant le droit à l’avortement et le mariage homosexuel. Mais c’était un mauvais calcul pour le Tea Party, car Scozzafava s’était retirée de la course, et c’est finalement le Démocrate Bill Owens qui avait gagné l’élection, bien qu’avec un résultat serré.

6. Le GOP l’emporte au Congrès

Aux élections de mi-mandat, les États-Unis basculent dans le camp conservateur. Les Républicains obtiennent des résultats significatifs à la Chambre des représentants : ils gagnent 62 sièges, et prennent ainsi le contrôle du Congrès avec 240 sièges, contre 192 pour le Parti démocrate. Ils obtiennent en outre neuf postes de gouverneur, dans des États détenus depuis peu par des Démocrates. Cette victoire du GOP a été favorisée par le contexte d’intense frustration, alimentée par une reprise économique trop lente : les électeurs se sont peu mobilisés pour cette élection de mi- mandat, échéance qui mobilise de toute façon moins que l’élection présidentielle. Seulement deux

352

Je reviens sur l’idéologie populiste dans le chapitre sur le populisme.

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électeurs sur cinq sont allés voter, parmi lesquels une majorité de Blancs, âgés et conservateurs, alors que les jeunes, les minorités et les Libéraux se sont très peu déplacés.

Les Démocrates conservent le Sénat, et le pays se retrouve alors dans une situation de blocage (gridlock). Rand Paul dans le Kentucky, et Marco Rubio en Floride, ont obtenu un siège de sénateur. Cependant, les électeurs ont rejeté certains candidats Tea Party, perçus comme « tapageurs »354. Christine O’Donnell, la candidate controversée qui avait inquiété Mike Castle, perd l’élection contre le Démocrate Christopher Coons. Dans le Nevada, Harry Reid, malgré avoir perdu 14 des 17 contés de l’État, l’emporte contre la candidate Sharron Angle, Républicaine affiliée Tea Party. Cependant, le jour de l’élection, les sondages d’opinion à la sortie des urnes montrent que quatre électeurs sur dix avaient une opinion favorable du mouvement, que le Tea Party a été un facteur de mobilisation pour eux, et qu’ils se sentent proches des préoccupations du mouvement. Il devient alors difficile de nier l’impact du Tea Party sur le paysage politique.

De façon générale, ces élections de novembre 2010 sont un vote sanction contre le Président Obama, en raison des mauvaises prestations économiques de son administration, et ce malgré le plan de relance qui sauve trois millions d’emplois. À cause des plans de sauvetage des banques, les électeurs de la classe moyenne, frappés de plein fouet par la crise, ont tendance à associer le président Obama à Wall Street, par opposition à Main Street. Blâmant les Démocrates pour la situation désastreuse dans laquelle se trouvent les États-Unis, 71% des électeurs « décisifs » (ceux qui peuvent faire basculer l’élection) se sont tournés vers les Républicains : il s’agit du plus grand vote décisif exprimé par un groupe démographique à la sortie des urnes depuis vingt-cinq ans. En outre, le Président n’a pas bénéficié du soutien attendu de ses électeurs « traditionnels », les minorités Afro-Américaines, les femmes et les jeunes. Le Tea Party a par ailleurs suscité beaucoup d’enthousiasme au sein de l’électorat républicain, et dans les élections de mi-mandat où l’on vote peu, le parti qui bénéficie du soutien populaire arrive souvent en tête, comme le démontre ce taux formidable d’électeurs populistes qui ont changé de camp (populist swing voters)355.

7. Des résultats électoraux à nuancer, malgré une victoire remarquable

Pour autant, il n’est pas certain que la victoire du Parti républicain doive être lue comme une consécration du Tea Party au niveau national. Le mouvement a décroché ses premiers sièges au

354 Ibid. p.26.

355Lux, Mike. « Revolt of the Populist Swing Voters ». The Huffington Post. Nov. 8, 2010.

Sénat : Marco Rubio en Floride, Pat Toomey en Pennsylvanie, Mike Lee dans l’Utah, Rand Paul dans le Kentucky, Jerry Moran dans le Kansas, et Ron Johnson dans le Wisconsin. Trente-neuf hommes et femmes ont été élus à la Chambre des représentants grâce au soutien de groupes Tea Party locaux, d’organisations comme FreedomWorks, ou encore de personnalités comme Sarah Palin. Cependant les figures de proue, comme Christine O’Donnell ou Sharron Angle ont été battues à plate couture, respectivement dans le Delaware et le Nevada. Sur 138 candidats engagés sous l’étiquette Tea Party, le taux de réussite se situe aux alentours de 30%. C’est un résultat non négligeable, surtout qu’il s’agissait en général de novices en politique, et que certains candidats ont été élus dans des États à moyenne ou forte orientation démocrate. Cela ne représente pas, toutefois, un taux exceptionnel. Inversement, il n’est pas certain que le Tea Party ait vraiment aidé le Parti républicain, car lorsqu’un candidat a gagné, c’était en général un siège déjà républicain, à l’exception du Wisconsin. Et les candidats qui ne se sont pas montrés à la hauteur ont coûté aux Républicains en moyenne 17% des voix, ce qui représente un pourcentage très important. Au Sénat, il semble que le Tea Party ait fait du tort aux Républicains, en les privant de sièges considérés comme acquis (Delaware, Nevada, Colorado), et donc d’une possible majorité.

Pourtant, le Tea Party a atteint son objectif, car en dénonçant le plan de relance économique et la réforme de l’assurance-santé, il a réorienté le débat politique. La rhétorique anti-État s’est retrouvée au cœur des discussions, et ce grâce aux militants d’un mouvement qui existait à peine un an et demi plus tôt356. Désormais, c’est l’État fédéral que les Américains désignent comme principal responsable. Certes, ceci s’explique aussi par le fait que le gouvernement constitue un adversaire facilement identifiable. Dans un contexte où les citoyens se sentent coupés de Washington, et confrontés à des mécanismes de pouvoir qui leur semblent opaques, ils se tournent vers l’État, « premier guichet accessible »357, qui devient alors la cible de leurs protestations.

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