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1. Un sentiment d’accélération, et une impression d’urgence

Étant donné le contexte de crise économique dans lequel le mouvement a vu le jour, le fait que les réactions aient été exacerbées est au fond peu surprenant. Ces réactions n’ont d’ailleurs pas été limitées aux acteurs du Tea Party, comme en a témoigné, deux ans plus tard, la genèse du mouvement Occupy Wall Street situé de l’autre côté du spectre politique397. Outre une volonté d’insister sur le caractère viscéral et émotionnel de leur démarche, les militants soulignent un sens d’urgence, et la nécessité de réagir immédiatement aux événements. Ceci contribue à expliquer le caractère spontané des rassemblements au début de

393Zernike, Kate. Boiling Mad : Inside Tea Party America. New York : Times Books, 2010. p. 27. 394Entretien Drummey, Peter. Massachusetts Historical Society. July 6, 2014.

395 Voir la théorie de William B. Warner dans son article, « The Invention of a Public Machine for Revolutionary

Sentiment - The Boston Committee of Correspondence » The Eighteenth Century. Summer/Fall 2009. vol. 50, n° 2-3. pp. 145-164.

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Voir extrait vidéo de l’ouverture de la réunion Delaware County Patriots, 18 novembre 2015.

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l’année 2009, aspect sur lequel les militants insistaient d’ailleurs, par opposition à une démarche qui aurait été entreprise en amont, et développée sur le moyen ou le long terme398. Le déclenchement de la mobilisation a donc été favorisé par la combinaison du sentiment d’accumulation (des différents facteurs déclencheurs évoqués au précédent chapitre) et d’une impression d’accélération, les événements se déroulant sur un laps de temps court. Diana, du groupe Philadelphia Tea Party Patriots-Landsdale explique comment son banquier lui avait annoncé, très laconiquement, que la valeur de sa maison n’avait baissé « que de 10 000 dollars ». Elle et son mari avaient alors pris conscience de la perte financière, qu’ils auraient évitée en vendant leur maison un an plus tôt. Au même moment, le gouvernement décidait de renflouer les banques, décision incompréhensible pour de nombreux Américains399. Comme l’explique Pamela, du groupe Philadelphia Tea Party Patriots-Central

Montgomery, d’abord il y avait eu l’administration Bush, avec le plan TARP (voir le chapitre précédent) puis les prêts aux banques, et elle se rappelait très clairement que la première mesure prise par le Président Obama, au début de son mandat, avait été de dire aux banques qu’elles pouvaient garder l’argent, qu’elles n’auraient pas à s’inquiéter de rembourser. Elle avait trouvé ça incroyable, et profondément injuste car les contribuables, eux, devaient payer, et l’État distribuait ainsi les impôts (l’argent du peuple) pour financer des sociétés privées (banques, automobiles, etc.). Puis il y avait eu le Stimulus package, le plan de renflouement de l’économie qui avait coûté un milliard de dollars et enfin, la réforme sur le système de santé. C’était une chose après l’autre, d’où le sentiment d’accumulation.

It was just hard to believe. And then they did the Stimulus which was another trillion dollars, almost trillion dollars, and then I got really concerned about the healthcare law. So it’s just one thing after another400.

Comme l’expliquait Johanne, du groupe Delaware County Patriots, la situation économique s’était dégradée de façon progressive avec les gouvernements précédents. Mais avec le Président Obama, les choses s’étaient accélérées—l’administration était tout bonnement en

398La théorie du comportement collectif identifie les mobilisations protestataires comme des actions spontanées.

Par ailleurs, cette théorie pose le comportement irrationnel des acteurs. On peut considérer que les rassemblements Tea Party de 2009 comportaient un degré d’irrationalité, visible dans les propos et le

comportement de certains participants. Je pense en particulier aux panneaux représentant le Président Obama en dictateur, en l’occurrence Hitler, ou aux représentations racistes, péjoratives et insultantes, pour ne citer que quelques exemples. Ces éléments extrémistes ont fortement nui à l’image du mouvement, qui a dû s’en démarquer par la suite, par des déclarations répétées dans les médias. J’y reviendrai plus loin.

399

Voir entretien Diana, Philadelphia, July 2013.

400

train de « couper l’Arbre de la liberté » : « During previous administrations, there was a gradual chipping away at the Tree of Liberty but this administration is sawing it down – RAPIDLY ! 401» La référence au symbole révolutionnaire, le Tree of Liberty, confirme les raccourcis historiques auxquels se prêtent souvent les militants du mouvement. Cependant, c’est une imagerie qui se révèle efficace.

Le risque pesant alors sur l’économie américaine explique l’urgence du gouvernement à sauver les banques et les compagnies de la faillite, et de fait, le président Obama a réussi à éviter une dépression économique. Mais pour les citoyens déjà durement frappés par la crise, ces renflouements ont été vécus comme insupportables, justement parce qu’ils étaient injustes. De plus, les militants Tea Party reprochent à l’administration Obama de ne pas leur avoir laissé le choix :

First, we got very annoyed by the government, the out of control spending. There was Bush, with the TARP, then TARP 2402, then the bailout of the companies, of the banks, and they didn’t ask us if that was ok to do that with our money, they didn’t ask « Is that ok with you ? 403»

Les commentaires de ces trois militantes montrent bien l’effet d’accumulation, que les décisions de l’administration Obama viennent amplifier, ce qui confirme que le Président n’est pas l’unique cause de l’émergence du mouvement.

2. Un éveil (awakening)

Les militants se décrivent alors comme sortant d’un état d’apathie, et avec la ferme conviction qu’il faut agir. Catherine, du groupe Greater Boston Tea Party, évoque même un éveil (awakening)404, un terme particulièrement intéressant puisqu’il renvoie aux grands réveils religieux (Great Awakening) de l’histoire américaine. Vagues d’enthousiasme

401

Voir « Notes from a Talk at a Tax Day Rally for the West Chester Tea Party », April 17, 2010, dans le dossier de Johanne en Annexe. Le texte est souligné dans l’original.

402

Pour rappel, le plan TARP (Trouble Asset Relief Program) est l’une des mesures prises pour s’attaquer à la crise des subprimes, et renforcer le secteur financier américain, par le renflouement (bail out) des institutions financières mises en danger par la crise. Pendant l’exécution du plan, les sommes devaient être octroyées en plusieurs étapes : 250 milliards de dollars seraient immédiatement accordés au Trésor, suivis de 100 milliards, si nécessaire, à la demande du président des États-Unis, puis 350 milliards sujets à un nouveau vote du Congrès américain.

403

Voir Entretien avec Diana, Philadelphia Tea Party Patriots-Lansdale, Philadelphie, 4 novembre 2012.

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renouvelé pour la religion protestante, ces mouvements sont à chaque fois menés par des pasteurs Protestants évangéliques405. Ils sont caractérisés par un intérêt accru pour la religion, un sens profond de conviction et de rédemption, l’augmentation du nombre de fidèles dans les églises de confession évangélique, et la formation de nouveaux mouvements religieux et de nouvelles congrégations. Catherine fait ici un parallèle avec l’expansion du mouvement Tea Party, et la multiplication des groupes locaux. Néanmoins, la dimension religieuse est importante, et j’y reviens plus loin.

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