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iv 2013 – L’effet « boomerang » de la controverse IRS sur la dynamique du mouvement

Comme on l’a vu, la « controverse » IRS a eu des conséquences importantes, dans la mesure où de nombreux groupes locaux ont renoncé à se constituer en organisation 501c4, autorisée à exercer une certaine quantité d’activité politique. Certains ne peuvent faire face aux frais à engager, et tous sont dans l’obligation de faire appel à des avocats et des comptables pour répondre aux questionnaires complexes de l’IRS. Des membres de groupes de petite envergure, mais aussi des responsables de groupes, finissent tout simplement par abandonner. Mais ces événements ont également des répercussions sur la dynamique du mouvement, qui se trouve alors au creux de la vague, provoquant paradoxalement un rebond salutaire pour le Tea Party.

1. « Projet Phoenix : Il est temps de rebondir » (Project Phoenix: It's time to rise again), ou la remontée en haut de vague

Le mouvement est sur le déclin après l’élection de 2012, et de nombreux candidats au Sénat soutenus par le Tea Party ont échoué. Michele Bachmann, la présidente du groupe parlementaire Tea Party Caucus, a conservé son siège de justesse. La déception est grande, et une certaine lassitude s’est installée. À tel point qu’au début de l’année 2013, lorsque Jenny Beth Martin, co- fondatrice de l’organisation nationale Tea Party Patriots, et qui s’est imposée comme son chef de file (et non comme le chef de file du mouvement Tea Party364) fait le tour des groupes locaux en Californie, les leaders disent vouloir supprimer « tea party » de leur nom, l’image du mouvement

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Voir le chapitre sur les Stratégies et modes opératoires.

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étant désormais ternie. Elle préside un comité national dont les bureaux sont vides, intervient devant des bénévoles qui dodelinent de la tête, les contributions s’essoufflent… une période qu’elle décrit comme effrayante et décourageante365. Mais au mois de mai, tout change quand l’IRS reconnaît avoir ciblé les groupes conservateurs, en particulier ceux dont le nom comportait « tea party » et « patriots ». À partir de ce moment, elle explique que le Tea Party revient en force, avec un intérêt accru de la part des médias, particulièrement de la presse conservatrice, mais aussi libérale, de la classe politique et de la base du mouvement. Le week-end suivant l’annonce de l’IRS, on voit Jenny Beth Martin sur quatre chaînes de télévision. Profitant de ce regain d’intérêt, elle envoie un message électronique d’appel aux contributions : « Project Phoenix: It's time to rise again ».

Jenny Beth Martin décide de capitaliser sur la polémique engendrée par les événements. Elle dénonce le « harcèlement » par les services fiscaux, qui visait à affaiblir le mouvement en vue de l’élection de 2012. Elle décrit un sentiment au-delà de la colère et de la frustration, car l’organisation Tea Party Patriots a une nouvelle fois reçu un courrier de l’IRS, demandant des informations supplémentaires sur les activités du groupe : copies de tous les messages électroniques de sollicitation, scripts des opérations de marketing à distance antérieures à l’élection 2012, et intégralité des supports publicitaires utilisés en 2013.

Or, suite à l’annonce de l’IRS, le mouvement connaît un véritable rebond. Freinés dans un premier temps par les services fiscaux, qui leur refusaient de se constituer en organisation autorisée à mener une activité politique, les groupes bénéficient alors de cette situation par effet boomerang. Les dons mensuels à l’organisation Tea Party Patriots triplent, et les effectifs de son personnel doublent. Les sondages montrent d’ailleurs que la controverse a permis de redorer le blason du mouvement : selon une enquête menée conjointement par le Wall Street Journal et la chaîne NBC News, au 15 juin 2013, 51 pourcent des Républicains ont une image positive du mouvement, contre 42 pourcent en janvier. C’est toujours en deçà des 63 pourcent de décembre 2010, néanmoins c’est une tendance à la hausse. Sur l’ensemble de la population adulte, le chiffre atteint 26 pourcent, contre 23 pourcent en janvier.

Exploitant cette position avantageuse, Jenny Beth Martin organise le 19 juin 2013 une manifestation « Audit the IRS » au Capitole, avec des conservateurs grand-teint comme le Sénateur Ted Cruz, la Représentante du Minnesota Michele Bachmann, et Rand Paul, Sénateur du Kentucky.

365Langley, Monica. « Anger at IRS Powers Tea-Party Comeback ». The Wall Street Journal, Aug. 28 2013.

Certaines personnalités politiques qui souhaitaient s’exprimer se voient même refoulées : elles ne sont pas inscrites à l’ordre du jour déjà très rempli. Les Tea Partiers se sont déplacés en nombre : une foule d’environ 10 000 personnes se presse pour écouter les intervenants, et l’événement est retransmis en direct sur Internet. C’est l’occasion pour une dizaine de législateurs d’expliquer comment ils comptent mener à bien les changements nécessaires. Matt Salmon, représentant de l’Arizona, décrit ses efforts pour garantir qu’Eric Holder, le Ministre de la Justice (Attorney General) ne soit pas en charge de l’enquête sur l’IRS. Quant à Michele Bachmann, elle propose tout bonnement l’abolition de l’agence fiscale. Selon Richard Hudson, représentant de Caroline du Nord, le problème dépasse l’IRS : l’administration Obama a accumulé les scandales, entre sa réponse à l’attaque sur Benghazi366, l’opération surnommée Fast and Furious367, et la saisie par le

département de la justice de relevés téléphoniques de journalistes de l’agence Associated Press. La réforme du système de santé, pourtant entérinée par la Cour Suprême, est également dans le collimateur, ainsi que la réforme du système d’immigration. Jenny Beth Martin résume la situation : le gouvernement Obama est hors de contrôle, et ses membres se comportent comme s’ils étaient au- dessus des lois. Les personnes rassemblées sous l’égide du Tea Party en ce jour, sont là pour en faire la démonstration368.

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À partir du 11 septembre 2012 (date coïncidant avec le onzième anniversaire des célèbres attentats de 2001), plusieurs représentations diplomatiques, dont l’ambassade des États-Unis en Égypte, au Caire et le consulat des États-Unis à Benghazi en Lybie, sont la cible d’attaques. Ces attaques sont présentées comme des réactions à la diffusion sur YouTube, depuis le 2 juillet 2012, de la bande-annonce d’un film intitulé « L’Innocence des musulmans », considéré comme blasphématoire envers le Prophète Mahomet. L’ambassadeur des États-Unis en Libye meurt dans l’attaque, ainsi que deux Marines américains, et un agent des services d’information, et le Président Obama condamne fermement ces attaques. Néanmoins, Mitt Romney, alors candidat à la

présidentielle, critique l’administration du président, et l’accuse de faire preuve de « sympathie envers les assaillants ».

Un fonctionnaire de l’administration Obama aurait déclaré à la chaîne de télévision américaine ABC que le communiqué de l’ambassade des États-Unis au Caire condamnant « les efforts continus déployés par des individus malveillants visant à blesser les sentiments religieux des musulmans – comme nous condamnons les offenses aux croyants de toutes les religions » n’avait pas été officialisé, et ne reflétait pas les vues du gouvernement des États-Unis. https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifestations_et_attentats_anti-

américains_de_septembre_2012. Consulté le 19 juin 2015.

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L’opération Fast and Furious, du nom du film de 2001, est une opération d’infiltration menée entre 2009 et 2010, en Arizona et au Mexique, par le Département des boissons alcoolisées, du tabac, des armes à feu et des explosifs (Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, ATF). Elle visait à capturer les principaux responsables d’un trafic d’armes entre les États-Unis et le Mexique. L’opération est révélée au public fin janvier 2011 (le Mexique apprenant son existence du même coup), lorsque le procureur général de l’Arizona annonce que 20 personnes sont accusées de trafic d’armes inter-frontalier, portant sur des centaines d’armes, de

septembre 2009 à décembre 20101. Cette opération fait cependant l’objet d’une enquête parlementaire, l’agence ATF étant accusée d’avoir toléré le trafic, ce qui coûte son poste au procureur ainsi qu’au dirigeant de l’ATF. Selon le porte-parole de la Maison Blanche toutefois, le Président Obama n’avait pas connaissance de cette opération. https://fr.wikipedia.org/wiki/Opération_Fast_and_Furious. Consulté le 19 juin 2015.

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Flocker, Elizabeth. « Tea Party “Audit the IRS” Rally About a Lot More Than the Tax Man ». U.S. News, June 19 2013. http://www.usnews.com/news/blogs/washington-whispers/2013/06/19/tea-party-audit-the-irs-

2. Affûtage pour les élections de mi-mandat 2014

La co-fondatrice de l’organisation Tea Party Patriots compte également exploiter ce regain d’énergie pour faire entendre les voix du Tea Party pendant les vacances parlementaires (summer recess) au mois d’août. Rappelant aux militants les « débats passionnés » lors des assemblées de 2009, elle envoie à ses légions de followers sur Facebook et Twitter le mot d’ordre : « Remember the heated townhalls of 2009 ». De chaque côté du spectre politique, les experts reconnaissent que ces événements ont en effet redynamisé le mouvement. D’ailleurs, de nombreuses organisations conservatrices demandent à nouveau à s’affilier au Tea Party, afin de se démarquer de l’Establishment.

Une situation de crise économique, dans laquelle des dépenses considérables sont engagées, de façon récurrente et avec des échéances de plus en plus rapprochées ; un président Démocrate, Noir de surcroît ; des citoyens qui se sentent éloignés du gouvernement à Washington, qui reprochent aux élus leur manque de représentativité, et ceci alors que les tentatives citoyennes se multiplient pour retrouver de l’influence ; la question raciale exacerbée par les flux d’immigration ; enfin, la menace d’une transformation de leur pays, qui encourage des comportements réactionnaires : c’est la conjugaison de tous ces facteurs qui alimente le sentiment de rejet, de colère et de crainte, principalement chez les conservateurs, et qui constitue le terreau sur lequel le Tea Party va se développer.

Après une entrée remarquée en 2009, le Tea Party évolue rapidement et démontre une volonté d’institutionnalisation. Dès 2010, le mouvement obtient des résultats, spectaculaires même s’ils doivent être remis en perspective. Le Tea Party se révèle vite un acteur à part entière dans le paysage politique, notamment en exploitant les élections primaires—c’est-à- dire suivant la même stratégie que la droite religieuse avant lui, j’y reviendrai. La question en 2013, année de recalibrage du mouvement, est de savoir si le Tea Party pourra tenir la cadence jusqu’aux élections de mi-mandat de 2014. La « dernière bataille contre Obamacare » (pour l’année 2013, car il y en aura d’autres par la suite) menée par le Tea Party a entraîné la fermeture du gouvernement fédéral (government shutdown) pendant dix-sept jours, menaçant

l’économie américaine de faillite. Toutefois, le mouvement n’est pas parvenu à faire abroger l’Affordable Care Act. L’administration a repris son service, et le Congrès a voté pour relever le plafond de la dette. Ayant mené la charge, le Tea Party a été pointé du doigt comme principal responsable de cette défaite cuisante, d’autant que c’était la deuxième fois que le mouvement était à l’origine d’une crise sur le relèvement du plafond de la dette, une situation similaire s’étant déjà présentée en 2011. Cette fois, le Tea Party l’a payé cher, et son image auprès de l’opinion publique s’en est trouvée ternie. Néanmoins, le Tea Party a agi comme un grain de sable dans les rouages de la machine politique, et c’est un acteur (partenaire ou adversaire) avec lequel le Parti républicain doit désormais compter. On s’interroge alors sur les jeux d’alliance, et leur impact sur le Grand Old Party qui souffre de divisions internes, entre l’Establishment et sa frange plus radicale. C’est le point d’équilibre à trouver, et sur lequel reposent tous les enjeux de ces alliances. Après avoir passé en revue les facteurs déclencheurs et catalyseurs du mouvement Tea Party, il convient maintenant de comprendre pourquoi les individus allaient le rejoindre. Je propose donc d’étudier dans le chapitre suivant les motivations des Tea Partiers, ainsi que les courants idéologiques dont ils se revendiquent.

CHAPITRE IV

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