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1. Un blason qui peut se révéler lourd à porter

L’or rhétorique des débuts du mouvement, en effet, a quelque peu terni. Les attaques de la presse libérale ont entamé la réputation du mouvement, qui bénéficie par ailleurs, aujourd’hui, d’un soutien nettement moins important auprès de la population américaine dans son ensemble264. Les accusations d’extrémisme et de racisme, notamment, lui ont porté préjudice. Le nom Tea Party est devenu pour certains synonyme de haine, de bigoterie, de fanatisme et de stupidité. Et il a perdu de sa capacité fédératrice, si l’on en juge par les résultats de l’élection présidentielle en 2012, et de mi-mandat en 2014, surtout en comparaison avec les résultats exceptionnels des débuts du mouvement en 2010.

Ce qui fait la marque de fabrique du mouvement peut donc se révéler un poids difficile à porter, expliquant le glissement qui s’opère progressivement, du nom, signe de reconnaissance de l’identité Tea Party, vers les idées, plus largement fédératrices. Ceci justifie aussi une attitude moins provocatrice, où le nom n’est plus forcément proclamé, en tous cas où les groupes savent se faire plus discrets pour préserver l’image du mouvement. Le fait que Lisa, du groupe Delaware County Patriots me demande en octobre 2015 de ne pas associer son nom au Tea Party est assez révélateur.

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En février 2015, à l’occasion de la convention annuelle de l’organisation South Carolina Tea Party Coalition, les militants faisaient d’ailleurs référence au « Liberty movement » plutôt qu’au « Tea Party »265. Ceci renvoie à des choix bien précis en termes de stratégie de communication. En tout état de cause, ces choix témoignent clairement de la transformation du mouvement Tea Party par rapport aux premières années.

2. Glissement du nom vers les idées - Concept fondateur (et symbolique) de la liberté

Comme l’explique l’historien David Hackett Fischer dans son ouvrage Liberty and Freedom: A Visual History of America’s Founding Ideas266, le concept de liberté est très particulier aux États-Unis. L’historien analyse les concepts de « liberty » et « freedom » (les deux termes signifiant en anglais « liberté ») en tant que croyances populaires, profondément ancrées dans la culture américaine. Il retrace les origines de nombreuses traditions relatives à ces deux concepts américains, en examinant les signes révolutionnaires ancrés dans les différentes communautés américaines de la période coloniale. Or, ces croyances, que Tocqueville appelait les « habitude du cœur », sont fondamentales pour comprendre la façon dont, depuis les origines, les Américains ont partagé des idéaux de liberté, mais avec des significations différentes selon les régions, et les époques.

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Burghart, Devin. « Inside the South Carolina Tea Party Coalition Convention ». IREHR. Feb. 5, 2015. http://www.irehr.org/issue-areas/tea-party-nationalism/tea-party-news-and-analysis/640-inside-the-south-

carolina-tea-party-coalition-convention. Consulté le 7 mars 2015.

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Hackett Fischer, Grant. Liberty and Freedom: A Visual History of America’s Founding Ideas, Oxford : Oxford University Press, 2004.

L’historien analyse les concepts de « liberty » et « freedom » en tant que croyances populaires, profondément ancrées dans la culture américaine. Il retrace les origines de nombreuses traditions relatives à ces deux concepts américains, en examinant les signes révolutionnaires ancrés dans les différentes communautés américaines de la période coloniale. Or, ces croyances, que Tocqueville appelait les « habitude du cœur », sont fondamentales pour comprendre la façon dont, depuis les origines, les Américains ont partagé des idéaux de liberté, mais avec des significations différentes selon les régions, et les époques.

Figure 6 : Message électronique reçu le 12 octobre 2015 de Lisa, du groupe Delaware County Patriots. Archives personnelles.

Le mot « liberté » résonne de façon particulière chez les Américains, et explique un recours assez systématique à ce terme, et aux symboles qu’il évoque. L’organisation tri-étatique Independence Hall Foundation a conservé le nom « Tea Party », en créant son Super PAC « Independence Hall Tea Party »267. De façon similaire, l’organisation nationale Tea Party Patriots a libellé son Super PAC « Tea Party Patriots Citizens Fund ». Ceci s’explique par la volonté de se poser en organisations fédératrices. Dans le premier cas, l’organisation revendique son rayonnement sur la Pennsylvanie, le New Jersey et le Delaware. Quand à l’organisation Tea Party Patriots, elle se pose comme l’organisation nationale principale qui chapeaute les groupes locaux à travers tout le pays. Elle se doit donc de garder cette identité immédiatement reconnaissable. Elle affiche pourtant de nouveaux concepts, et sa devise « responsabilité fiscale, gouvernement limité selon la Constitution et respect de la loi du marché » (fiscal responsibility, constitutionally limited government and free markets) est devenue en 2013 « liberté individuelle, liberté économique et un futur exempt (libre) de dettes » (personal freedom, economic freedom, and a debt free future)268.

De façon générale, les groupes font désormais davantage référence aux concepts de liberté, de patriotisme, d’économie saine, de citoyenneté et d’individualité, plutôt que de se présenter sous la bannière Tea Party. L’estampille Tea Party pouvant avoir une connotation négative, les groupes ne souhaitent plus y être cantonnés. Ainsi, lors d’un rassemblement anti- immigration clandestine à Boston en juillet 2014, aucune pancarte Tea Party n’était visible alors que les représentants de trois groupes Tea Party étaient pourtant bien présents269. Patrick, du groupe Greater Boston Tea Party, arborait simplement un tee-shirt avec une inscription concernant la lutte contre l’immigration clandestine. Ceci montre une volonté d’afficher des causes plus largement fédératrices comme la légalisation des immigrés clandestins, le système de couverture santé ou l’éducation.

3. Une nouvelle signification du terme, après 2009 ?

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La référence à la Révolution américaine reste entière, puisque Independence Hall à Philadelphie est le bâtiment où fut signée la Déclaration d’indépendance, et où se tinrent les débats sur la Constitution.

268On constate d’ailleurs que la référence à la Constitution a disparu, alors que les questions constitutionnelles

constituent l’un des principaux chevaux de bataille du mouvement Tea Party. J’y reviendrai.

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En tout état de cause, le terme « Tea Party » a pris une signification nouvelle depuis 2009. Ce phénomène a remis l’épisode révolutionnaire au cœur du débat politique. Le « Founders Chic » l’avait déjà installé dans les esprits au début des années 2000, en élevant les Pères fondateurs au rang de véritables héros, et dans un sens plus conservateur que celui qui avait présidé à la commémoration de 1973. Le mouvement a également eu pour conséquence de générer une représentation différente de la « tea party » d’origine dans l’imaginaire américain. Il serait intéressant d’analyser la façon dont le terme est perçu par les jeunes, qui vivent davantage dans le temps immédiat. De même que le 11 septembre n’évoque parfois rien aux collégiens de la nouvelle génération, en tous cas en France, il est fort possible que le Tea Party évoque aujourd’hui spontanément le mouvement actuel, plutôt que l’épisode révolutionnaire. Ceci dépend certainement, dans une large mesure, de la façon dont l’épisode est traité dans le cadre de l’enseignement scolaire, quand il l’est. Des mini-sondages menés auprès de mes étudiants de Français à University of Pennsylvania en 2015 et 2016 semblent confirmer que le terme « Tea Party » évoque davantage le mouvement contemporain. Certes, je les ai interrogés pendant la période des primaires pour l’élection présidentielle, mais ces étudiants m’ont confirmé que le terme « tea party » évoquait davantage le mouvement contemporain que celui d’origine pour les jeunes de leur génération. L’un de mes étudiants avait d’ailleurs co-organisé un groupe Tea Party dans son lycée en Floride. Une chose est sûre, le sens véhiculé par ce terme est désormais, et irrévocablement, pluriel.

Les experts ont assez rapidement désigné le Tea Party comme un mouvement. La notion de mouvement social, qui couvre un spectre de définitions et de références assez large, s’applique bien au Tea Party puisqu’il s’agit d’une mobilisation protestataire et d’une action collective en vue de défendre une cause. En outre, il faut retenir la notion d’hybridité proposée par Parker et Barreto, car elle renvoie à une caractéristique distinctive du Tea Party : l’action militante du mouvement s’exerce autour des périodes électorales, mais également entre les élections, par conséquent sa participation politique est permanente. Enfin, compte tenu de son évolution, et de son articulation à l’activité politique, il convient également de parler de mouvement politique. Quand Diana parle d’un mouvement « comme les autres », elle veut dire que le recours à la protestation est assez systématique aujourd’hui—du moins

dans les sociétés démocratiques où les actions de protestation sont tolérées. Par ailleurs, cela signifie que le mouvement cherche à s’institutionnaliser.

Quant aux appellations utilisées par les Tea Partiers eux-mêmes, on a vu que le libellé « Tea Party » contient une dimension symbolique forte. Même si l’emprunt n’est pas justifié, ce terme véhicule des notions de patriotisme et de liberté qui résonnent fortement chez de nombreux militants. Certes, l’image du mouvement a progressivement terni, ce qui explique que certains groupes aient envisagé de changer de nom, ou aient recouru à différentes stratégies. La devise adoptée en 2013 par l’organisation nationale Tea Party Patriots montre de façon évidente la volonté de remettre en avant la dimension libertarienne, et l’idée fondatrice de liberté. Par ailleurs, le mouvement s’inscrit dans une longue tradition de révolte fiscale, et plus récemment, dans la lignée des protestataires anti-impôts qui manifestaient en 1973 à l’occasion du bicentenaire de la Boston Tea Party. D’autres éléments sont cependant à prendre en compte pour expliquer les spécificités de ce mouvement plus conservateur, et par ailleurs plus populaire et plus durable.

Qu’en est-il précisément ? Sur quel terreau s’est développé le Tea Party ? Quel contexte a permis à ce mouvement de voir le jour ? Quels sont les éléments déclencheurs et accélérateurs de ce phénomène ? Pour le comprendre, il faut revenir sur les origines du mouvement et sur sa genèse, ce que je me propose de faire dans le chapitre suivant.

CHAPITRE III

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