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iii 2012 – Des résultats décevants, et le repositionnement du mouvement

Par comparaison avec le succès retentissant, même s’il est à relativiser, des élections de mi- mandat de 2010, l’élection présidentielle de 2012 est un échec cinglant. Les ténors du Parti républicain au Congrès, bien que toujours opposés à Obama, envisagent par exemple

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Godet, Le Tea Party : Portrait d’un Amérique désorientée. p. 29.

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l’augmentation des taxes lors des débats budgétaires, désavouant ainsi l’un des principes fondamentaux du Tea Party. Avec la réélection du Président Obama, il semble désormais impossible d’annuler la réforme sur le système d’assurance-santé ; l’objectif consiste alors à convaincre les États d’ignorer cette loi, ou de l’« invalider » (nullify)358. Certains Tea Partiers qualifient Obamacare de loi « tyrannique », mais cet argument n’est pas forcément partagé, même par des Républicains très conservateurs. Réagissant aux propos de militants Tea Party préconisant l’« invalidation », lors d’une réunion du Sénat de l’État de Floride, Mr. Gaetz, président du Sénat et pourtant Républicain conservateur, qualifie cette idée de loufoque. Les États-Unis ne sont pas une « république bananière », et il est dangereux pour la fondation de la république de choisir les lois auxquelles on accepte ou non d’obéir359.

1. De nouveaux équilibres se créent

À la différence des thèmes plus larges et rassembleurs, comme le système d’assurance-santé justement, ou le gouvernement fédéral, qui avaient donné son impulsion au mouvement, avec les thèmes nouvellement abordés, le Tea Party devient plus susceptible de prêter le flanc aux attaques. D’autant plus que les adversaires du mouvement lui reprochent de détourner le Parti républicain des problèmes réels, comme le chômage, l’éducation ou le climat.

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La « nullification » est une théorie juridique selon laquelle un État a le droit de nullifier, c’est-à-dire invalider, toute loi fédérale qu’il considère comme inconstitutionnelle. Cette théorie n’a jamais été validée juridiquement par les juridictions fédérales. Elle se fonde sur une conception selon laquelle les États américains ont formé les États-Unis par un pacte (« compact ») entre les États, et qu’en tant que créateurs du gouvernement fédéral, ces États disposent de l’autorité ultime pour déterminer les limites du pouvoir de ce gouvernement. Ils peuvent par conséquent rejeter, ou nullifier, les lois fédérales dont ils estiment qu’elles dépassent les pouvoirs constitutionnels de ce gouvernement fédéral.

Les juridictions de niveau fédéré et fédéral, dont la Cour Suprême américaine, ont rejeté à maintes reprises la théorie de la nullification, décidant que la loi fédérale est supérieure aux lois des États fédérés en vertu de la clause de suprématie de la Constitution. De plus, l’article III de la Constitution stipule que ce sont les institutions judiciaires fédérales qui disposent du pouvoir ultime d’interprétation de la Constitution. Entre 1798 et le début de la Guerre de Sécession en 1861, plusieurs États ont menacé ou tenté de nullifier diverses lois fédérales. L’épisode le plus connu est la crise de la nullification, qui a duré de 1832 à 1837, sous la présidence d’Andrew Jackson. La « Nullification Crisis » concernait la confrontation entre le gouvernement fédéral et la Caroline du Sud, après que cet État ait déclaré les droits de douane de 1828 et 1832 anticonstitutionnels et par conséquents nuls et non avenus à l’intérieur des limites souveraines de l’État. (Ces droits avaient été établis pour protéger l’industrie des États du Nord, mais ses détracteurs leur reprochaient d’affecter l’économie du Sud ; 92 pourcent de tous les biens importés étaient taxés à 62 pourcent).

Dans les années 1950, les États du Sud ont tenté d’utiliser la nullification pour faire obstacle à la déségrégation de leurs écoles, imposée par l’arrêt Brown v. Board of Education. Ces tentatives se sont soldées par un échec quand la Cour Suprême a une nouvelle fois rejeté la nullification, de façon explicite, avec la décision historique

Cooper v. Aaron qui instaura la déségrégation graduelle de facto des écoles publiques.

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Trip, Gabriel. « Clout Diminished, Tea Party Turns to Narrower Issues ». The New York Times, Dec. 25 2012. http://www.nytimes.com/2012/12/26/us/politics/tea-party-its-clout-diminished-turns-to-fringe-

Pourtant en 2012, il n’est pas question de parler d’une disparition du mouvement, et de fait la plupart des Républicains ont toujours davantage à craindre de leurs adversaires plus radicaux, que des Démocrates. Des décisions budgétaires impopulaires pourraient tout à fait relancer la machine Tea Party, comme l’indique Grover Norquist, le célèbre pourfendeur des impôts. Mais les sondages effectués auprès des électeurs à la sortie des urnes, en novembre, montrent un taux de sympathie en chute libre par rapport à 2010360. Les représentants élus avec le soutien du Tea Party en 2010 ont cependant imposé leurs objectifs dans l’agenda national, à savoir la réduction drastique des dépenses, et la modification des prestations de l’État fédéral. Ceci est notamment visible dans le projet budgétaire du représentant du Wisconsin Paul D. Ryan, colistier de Mitt Romney pour l’élection présidentielle de 2012. Certains représentants mènent même une révolte en décembre, et obligent John Boehner, le président de la Chambre, à annuler le vote d’une mesure qui visait à éviter une crise fiscale, grâce à l’augmentation des impôts pour les ménages au revenu supérieur à un million de dollars.

2. « Juste une autre faction politique, pas un mouvement d’envergure » (just another political faction, not a broad movement)

S’il est incontestable que le Tea Party revitalise le Parti républicain, ses leaders sont accusés de manquer de discernement politique. Blâmer John Boehner quand il propose d’augmenter les impôts lors de discussions sur le budget relève de l’irréalisme. Tom Cole, représentant Républicain d’Oklahoma, les taxe d’immaturité politique et leur reproche de vouloir gagner trop vite, sans faire les concessions forcément nécessaires en politique. Certains Républicains déplorent cette immaturité qui a causé la perte de sièges a priori acquis. Selon de nombreux poids lourds du Parti républicain, le Tea Party menace alors de devenir une faction politique de plus, mais il n’accédera pas au statut de mouvement (just another political faction, not a broad movement). Le Tea Party continuera de rallier les puristes, les radicaux, mais en éloignant les réalistes et les centristes. Or, c’est bien le contraire qui va se produire, justement car le mouvement parvient à se transformer : il se débarrasse des éléments trop extrémistes, qui nuisent à son image, et devient un mouvement social et politique à part entière. Le Tea Party n’en demeure pas moins un outil à double- tranchant pour le Parti républicain : il lui coûte des sièges au Congrès et dans les législatures d’État, mais il l’aide aussi à remporter des élections361.

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Ibid.

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Du côté des grandes organisations conservatrices, les résultats ne sont pas non plus à la hauteur des attentes. FreedomWorks, par exemple, dépense presque 40 millions de dollars dans ces élections de 2012, mais soutient des candidats au Sénat qui se révèlent médiocres, comme en Floride, dans l’Ohio et l’Indiana. Certains trublions du Tea Party perdent leur siège à la Chambre, comme Allen B. West en Floride et Joe Walsh dans l’Illinois. La victoire remarquable du Tea Party, c’est le siège remporté au Sénat du Texas par Ted Cruz, qui va se révéler un allié très important, et ce dès l’année suivante362.

À cause des myriades de groupes qui composent le Tea Party, il est impossible de déterminer de façon exacte les pertes au sein du mouvement, comptabilisées en nombres de militants. Greg Cummings, leader du groupe We the People Tea Party, dans le comté rural de Decatur, dans l’Iowa, déclare douze nouvelles recrues après les élections de novembre 2012, sur un total de cinquante membres. Ces nouveaux militants ont refusé de se laisser décourager. À l’inverse, Everett Wilkinson, président du groupe Florida Tea Party dans le comté de Palm Beach, déclare que le nombre de groupes actifs au niveau de l’État a diminué de façon significative au cours de l’année, particulièrement au cours des derniers mois, pour atteindre seulement un tiers du nombre initial. Il invoque le sentiment de déception, et de frustration intense chez des militants qui se sont entièrement voués au combat contre Obama. Surtout, un sentiment de perplexité domine, certains groupes ne sachant plus vraiment comment procéder.

3. Le creux de la vague

On peut affirmer que la période post-électorale de 2012-2013 constitue justement un moment décisif dans l’évolution du mouvement, quand les militants constatent qu’il ne suffit pas de s’investir dans une campagne électorale pour obtenir des résultats. Décision est prise, désormais, d’intervenir également entre les périodes électorales. Les spécialistes Parker et Barreto ont souligné le caractère « hybride » du mouvement Tea Party, dans le sens où il s’investit au moment des élections, mais aussi entre les périodes électorales. Une véritable transformation du Tea Party survient alors, et le mouvement réajuste ses objectifs : réorientation vers des thèmes moins larges, systématisation de l’action militante, et implantation en insistant sur le niveau local – tout en gardant, bien sûr, Washington dans la ligne de mire. Par définition plus accessibles, les postes à un niveau local autorisent davantage d’influence, même si cela signifie opérer à plus petite échelle.

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Pour certains militants, c’est un véritable tournant dans la mesure où ils vont entrer en politique, en faisant eux-mêmes campagne afin de s’insérer dans le tissu local363.

Autre élément décisif, c’est dans ce contexte que la controverse IRS éclate. Véritable frein à la formalisation du mouvement dans un premier temps, puisque la procédure de nombreux groupes Tea Party demandant un statut d’exonération fiscale se trouvent bloqués, cet épisode va paradoxalement redonner de l’impulsion au mouvement.

iv. 2013 – L’effet « boomerang » de la controverse IRS sur la dynamique du

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