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iii Les accélérateurs : l’administration Bush, la crise des subprimes, et les plans de sauvetage de l’industrie automobile et du système bancaire

1. Le contexte immédiat

S’il est évident qu’en 2008, l’arrivée de Barack Obama, premier Président Afro- Américain, a agi comme « déclencheur », ou « amplificateur », (je tiens à proposer ce terme, utilisé par l’un de mes contacts, et qui me semble très approprié)296, il faut tenir compte du contexte particulier dans lequel cette élection a eu lieu, aux niveaux économique, politique et social. C’est la conjugaison de plusieurs facteurs qui a conduit à la situation explosive dans laquelle le Tea Party a émergé : un contexte de crise économique aigüe, puisque le pays fait face à la plus grave récession depuis le krach de 1929 ; un contexte de crise politique, où l’électorat affiche une lassitude par rapport aux partis et aux élites à Washington, et dans lequel les électeurs, des deux côtés du spectre politique, critiquent le manque de représentativité de la part des élus ; au niveau social, des dissensions qui s’expriment par des réactions protectionnistes. Le repli identitaire et communautaire n’est pas propre aux États- Unis, il est à constater dans le monde entier. Mais la réaction américaine est exacerbée par les attentats du 11 septembre 2001, dont l’une des conséquences est le vote par George W. Bush du Patriot Act la même année, entraînant un regain du sentiment patriotique. Enfin, la

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Traduction proposée : « pour les organisations avec un fonctionnement vertical, une consigne spontanée comme celle de notre mouvement relève de la science-fiction », in « Ron Paul’s “tea party” breaks fund-raising record ».

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question de l’immigration est particulièrement sensible, avec un afflux important d’immigrés clandestins, principalement en provenance du Mexique, et la question de leur légalisation qui occupe le devant de la scène.

La lassitude des électeurs, de sensibilité conservatrice comme progressiste, constitue un aspect crucial pour comprendre l’émergence du mouvement. De fait, les militants et sympathisants Tea Party ne sont pas exclusivement Républicains, loin s’en faut. Certes, il s’agit en grande majorité de conservateurs, mais plus largement, de citoyens déçus par les élites et l’administration fédérale à Washington, toutes orientations politiques confondues, puisque cela concerne des électeurs républicains, libertariens, indépendants ou même démocrates297. Il faut savoir qu’un nombre conséquent de militants Tea Party votaient

auparavant pour les Démocrates. Plusieurs de mes contacts étaient « registered Democrats », c’est-à-dire enregistrés sur les listes électorales comme Démocrates, même si dans la pratique ils ne votaient pas systématiquement pour ce parti298, une particularité dans le profil des militants, qui offre un éclairage sur les conditions d’émergence du tea Party.

En 2007, interrogé sur le profil de ses sympathisants lors de la campagne pour l’élection présidentielle, Ron Paul utilise un terme très intéressant, il parle de « non-descriptive supporters », c’est-à-dire ne correspondant à aucune description. Des électeurs des partis aussi bien démocrate, républicain, libéral, que des électeurs indépendants affichent leur soutien, provenant par ailleurs de toutes les couches sociales, et d’origines raciales diverses. Même si le militant Tea Party « typique » est un conservateur Blanc, d’âge moyen et issu de la classe moyenne, ce profil reste une donnée statistique « moyenne ». Ceci permet de comprendre que l’émergence du Tea Party ne s’explique pas uniquement par le fait qu’Obama soit Démocrate, et Afro-Américain. Il s’agit d’un déclencheur/amplificateur supplémentaire, dans un contexte difficile, principalement au niveau économique. Le pays se trouve en effet dans une situation désastreuse, conséquence de la crise des subprimes qui débute en 2007, avec ces prêts immobiliers à risque que les emprunteurs n’étaient plus capables de rembourser. Il faut donc remonter à l’administration de George W. Bush pour comprendre ce qui a encouragé, à moyen terme, l’émergence du mouvement.

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Dionne, Jr., E.J. & Galston, William A. « The Old and New Politics of Faith: Religion and the 2010 Election ». Governance Studies at Brookings. Brookings. Nov. 17, 2010.

https://www.brookings.edu/research/the-old-and-new-politics-of-faith-religion-and-the-2010-election/. Consulté

le 13 juin 2017.

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Déjà sous l’administration Bush, les milieux conservateurs sont déçus par les Républicains, qui engagent des dépenses inconsidérées. Ils reprochent au Président d’avoir étendu la couverture de santé Medicare, l’un des deux systèmes d’assurance-santé financés par l’État, et concernant les personnes âgées de plus de 65 ans299. En outre, les dépenses du gouvernement fédéral ont augmenté, transformant l’excédent de 236,2 milliards de dollars laissé par le président Clinton en 2001, en déficit à hauteur de 458,5 milliards de dollars en 2008. Sous le gouvernement Bush, la dette nationale a par ailleurs quasiment doublé pour atteindre 10,7 billions (trillions) de dollars. Le Parti républicain est aussi critiqué parce qu’il s’appesantit sur des débats controversés, comme le mariage homosexuel, aux dépens de la question cruciale de la responsabilité fiscale300. Certains Conservateurs pensent même que les

Républicains ont mérité de perdre leur majorité au Congrès en 2006. Ils ne font pas confiance au candidat de la campagne de 2008, John McCain, à cause de sa position progressiste sur la réforme du système de financement des campagnes électorales, et sur la légalisation des immigrés clandestins301. 302De façon générale, aucun des candidats républicains de 2008 ne semble comprendre que ce que les Conservateurs reprochent au Président Bush, ce sont les dépenses303. La déception engendrée par l’administration Bush, largement partagée chez les électeurs républicains, concerne toutefois également les Libertariens et les Indépendants, et enfin la frange conservatrice qui existe chez les Démocrates.

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L’autre système, Medicaid, couvre les personnes à faible revenu.

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La question du clivage entre conservatisme fiscal et conservatisme social est étudiée dans le chapitre consacré aux motivations et à l’idéologie.

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John McCain est élu représentant républicain de l’Arizona en 1982, puis sénateur à partir de 1986, sur le siège laissé vacant par son prédécesseur, le républicain conservateur Barry Goldwater.

Connu pour être sensible aux solutions de compromis avec les Démocrates, John McCain se distingue par des positions politiques iconoclastes. Cependant, il n’hésite pas à exprimer ses positions, comme lors de la Convention nationale républicaine en 2004, où il apporte son soutien au Président George W. Bush qu’il a pourtant critiqué par le passé. Dans son discours, il attaque les Démocrates bien que son ami John Kerry, candidat démocrate, lui ait proposé d’être son colistier.

Qualifié de « Républicain progressiste », John McCain est favorable à la fin des avantages fiscaux pour les plus riches. Au Sénat, c’est l’un des plus fermes partisans de la réforme du financement des campagnes électorales. Travaillant avec le sénateur démocrate Russ Feingold, il parvient en 2002 à faire voter la loi McCain-Geingold, ou Bipartisan Campaign Reform Act, qui sera cependant partiellement annulée par la Cour suprême. Enfin, il est partisan d’une réforme libérale de l’immigration, à l’instar de la majorité des Sénateurs démocrates (mais aussi de George W. Bush). Il a déposé en 2006 une proposition de loi prévoyant de renforcer les contrôles aux frontières et de régulariser les clandestins, mais sans succès.

Certains au sein de son propre camp politique le qualifient de « RINO » (Republican In Name Only), c’est-à-dire de « faux Républicain », car il fait parfois défaut à son parti lors de votes cruciaux.

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Lors des primaires pour l’élection présidentielle en 2008, il fait l’objet d’attaques virulentes de la part de Rush Limbaugh, un animateur de radio ultraconservateur. Ann Coulter, égérie de la droite républicaine, promet le cas échéant de voter pour Hillary Clinton, qu’elle estime plus conservatrice que McCain.

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2. L’Economic Stimulus Act, le plan Paulson ou TARP, les prêts accordés à l’industrie bancaire et à l’industrie automobile

Les États-Unis connaissent une grave crise économique, d’abord engendrée par la crise des subprimes304, puis marquée par la crise bancaire et financière de l’automne 2008, qui menace tout le système financier international ; le pays a évité de peu le scénario de 1929305. L’aggravation de la crise financière accentue fortement la récession entamée début 2008, et pousse le gouvernement à engager des plans de relance financés par la dette. Le plan de relance économique (Economic Stimulus Act) signé en février 2008 vise à améliorer le contexte économique, à défaut de prévenir la récession. Sont notamment proposées des réductions d’impôts sur les revenus des classes inférieures et moyennes, dans un projet soutenu, il faut le noter, par les Démocrates et les Républicains. Et c’est dans ce contexte déjà très défavorable qu’à l’automne 2008, le gouvernement Bush annonce le programme TARP (Troubled Asset Relief Program), l’une des mesures prises pour s’attaquer à la crise des subprimes, et renforcer le secteur financier américain, par le renflouement (bail out) des institutions financières mises en danger par la crise306. Après ce plan déjà très mal accueilli, le gouvernement annonce un programme destiné à sauver l’industrie automobile, notamment les compagnies General Motors and Chrysler, ce qui achève de convaincre les milieux

304La crise des subprimes (subprime mortgage crisis) touche le secteur des prêts hypothécaires à risque

(subprime mortgage) à partir de juillet 2007. Elle est notamment due à une baisse conséquente des taux directeurs par la Federal Reserve Bank, la banque centrale américaine, suivie d’une remontée brusque de ces taux. À partir de mars 2000, la Fed avait commencé à baisser les taux directeurs pour éviter la récession, suite à l’éclatement de la bulle internet, puis après les attentats du 11 septembre 2001. Les taux étaient descendus jusqu’au niveau extrêmement faible de 1% en juillet 2003, avant de remonter à 5,25% à la mi-2004. Les taux bas avaient incité à l’emprunt, et encouragé les prêteurs à rechercher des profits, en proposant des prêts à risque à des emprunteurs peu solvables, à des taux d’intérêt plus élevés.

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La crise bancaire et financière se traduit par l’aggravation de la crise des liquidités sur le marché monétaire, et par une crise de confiance, car l’insolvabilité guette plusieurs banques d’investissement. Le coût du crédit est à nouveau relevé, à cause de l’augmentation du taux interbancaire. Cette crise touche tous les pays du monde.

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En septembre 2008, la crise bancaire débute lorsque plusieurs établissements financiers entrent en cessation de paiement. Ils sont soit sauvés par la banque centrale américaine, soit rachetés par des concurrents en meilleure situation, soit enfin mis en liquidation, comme Lehman Brothers. Par ailleurs, les deux principaux organismes de crédit américains, Freddie Mac et Fannie Mae, sont nationalisés.

Le gouvernement et la banque centrale réagissent, avec l’objectif immédiat de maintenir la continuité du système de paiements et du marché interbancaire, qui auraient été très affectés par la faillite de plusieurs grandes banques. La Fed abaisse ses taux directeurs et acquiert des actifs à risque, et le gouvernement reprend une partie des « actifs toxiques » détenus par les banques (première phase du Plan Paulson, ou TARP). Ce rachat, qui s’élève à 700 milliards de dollars de « titres adossés à des créances hypothécaires » (mortgage-backed securities) peut être considéré comme un investissement à risque, étant la valeur variable des actifs.

conservateurs de l’inefficacité de l’administration Bush307. C’est donc dans un contexte extrêmement tendu que le président Démocrate Obama prend ses fonctions.

2. Genèse – Les éléments déclencheurs

i. L’élection de Barack Obama en 2008, Démocrate et premier Africain-

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