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L’inscription dans la lignée des mouvements antifiscau

ii « Tea » ou « TEA » Une révolte fiscale avant tout ?

1. L’inscription dans la lignée des mouvements antifiscau

L’interprétation du mouvement Tea Party comme mouvement anti-impôts avant tout, renvoie à l’analyse de Romain Huret, historien et spécialiste de science politique240. Il décrit le mouvement Tea Party comme s’inscrivant dans une généalogie de résistance contre l’impôt fédéral, menée par les militants conservateurs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale241. Dans un contexte historique plus proche, il rappelle les actes de protestation organisés par le Tax Rebellion Committee de Los Angeles le 15 avril 1973, à l’occasion du Tax Day—le lien avec la manifestation Tax Day Tea Party du 15 avril 2009 semble ici évident. À l’époque, à la suite de la protestation, le responsable du comité Robert Lyon avait créé des groupes de réunion afin de réfléchir aux moyens constitutionnels de s’opposer à l’impôt fédéral. Dans l’ouest et le sud du pays, de nombreuses associations antifiscales avaient ainsi vu le jour dans les années 1970, préparant le terrain à la révolution fiscale de l’ère Reagan. Comme l’explique Romain Huret, le Tea Party s’inscrit donc dans une lignée de mouvements

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Zernike, Boiling Mad, pp. 52-53.

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Jill Lepore, The Whites of their Eyes : the Tea Party’s Revolution and the Battle over American History.

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Les différentes conceptions du mouvement, par les militants et sympathisants, sont étudiées dans la partie consacrée aux motivations.

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Voir notamment les ouvrages de Romain D. Huret. La fin de la pauvreté ? Les experts sociaux en guerre

contre la pauvreté aux États-Unis (1945-1974), Paris : Éditions EHESS, 2008 ; De l'Amérique ordinaire à l’État secret – Le cas Nixon. Paris : Presses de Sciences-Po, 2009 ; American Tax Resisters. Cambridge : Harvard

University Press, 2014.

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conservateurs antifiscaux, dans un pays où prévaut une longue tradition de résistance à l’impôt, de part et d’autre du spectre politique.

Cette tradition renvoie bien sûr à la résistance des colons américains au XVIIIème siècle. Comme je l’ai évoqué dans l’introduction générale, la résistance avait tourné à la rébellion lorsque la Couronne a voulu imposer aux colonies la première taxe intérieure, sur le Timbre. Les colons n’étaient pas opposés aux taxes à proprement parler, mais au fait que les taxes soient imposées par le Parlement britannique, au mépris de l’autonomie de leurs assemblées locales. Comme l’explique Romain Huret, c’est le même mécanisme qui est à l’origine de la Whiskey Rebellion. Dans les années suivant la fondation des États-Unis, en 1791, la Whiskey Rebellion s’était constituée pour protester contre la première taxe imposée par le gouvernement fédéral sur un produit domestique. Le gouvernement de Washington avait fini par l’emporter en 1794, mais seulement grâce à l’intervention d’une milice armée de 13 000 hommes envoyés pour réprimer la rébellion242. Il a fallu attendre 1913 pour que l’impôt fédéral sur le revenu soit introduit, avec le XVIème amendement à la Constitution. Jusqu’alors, les impôts étaient calculés en proportion du recensement (in proportion to the census), sans tenir compte de la richesse relative des États ou des individus243.

Outre des mesures impopulaires, les Américains appréciaient peu les percepteurs d’impôts fédéraux, qui se montraient parfois corrompus ou partisans, comme sous l’administration de Richard Nixon lorsque l’IRS avait enquêté sur les personnes répertoriées comme ennemies du chef de l’État. De manière révélatrice, dans les années 1960 et 1970, l’IRS était la cible préférée des opposants à l’impôt qui la qualifiaient de Gestapo américaine ou la surnommaient l’IRSS en allusion à l’Allemagne nazie244. Cette vision caricaturale renvoie au discours de certains groupes Tea Party, et j’y reviendrai. En outre, ces aspects polémiques font écho au conflit avec l’IRS évoqué dans le premier chapitre. Enfin, un épisode survenu en

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La Whiskey Rebellion doit son nom à une taxe sur le whisky, imposée en vue de récolter des fonds pour couvrir les dettes de guerre. Or, les distillateurs y étaient opposés, notamment car le whisky était souvent utilisé comme monnaie d’échange. Des milices furent envoyées par les gouverneurs de cinq États, afin de contrer la rébellion qui s’était soulevée dans l’ouest de la Pennsylvanie, et d’un caractère assez violent puisque les protestataires s’étaient notamment attaqués à la résidence du collecteur de taxes.

243Des débats judiciaires à répétition ont eu lieu sur la question de l’impôt sur le revenu, à la fin du dix-

neuvième siècle. Mais en 1895, la Cour Suprême avait une nouvelle fois déclaré l’impôt progressif anticonstitutionnel.

Aujourd’hui, le mouvement contemporain demande l’abrogation du XVIème amendement, et j’y reviendrai ultérieurement.

244Tract du Los Angeles Committee of Tax Rebellion, (1973) - Université de l’Iowa, in Huret, Romain. « Les

1969 mérite d’être mentionné. Étant donné que l’impôt sur le revenu était réparti équitablement entre mari et femme, les célibataires payaient davantage que les couples. Une des résistantes à l’impôt les plus virulentes fut une femme célibataire qui réclama, cette année-là, le remboursement des impôts qui lui avaient été prélevés de façon « illégale » ; elle avait encouragé ceux qui partageaient son opinion à organiser une reconstitution de la Boston Tea Party245.

Une longue tradition antifiscale existe donc aux États-Unis, même si, aujourd’hui comme en 1773, la révolte dépasse la simple question de la fiscalité.

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