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CHAPITRE 5 : Notions et concepts didactiques transposés à l’EMILE

3. Le statut de l’erreur dans l’EMILE

Un autre élément important entrant en jeu dans ce qui différencie l’enseignement traditionnel des langues étrangères et l’EMILE concerne le statut de l’erreur. Celle-ci peut être définie comme un écart entre une réponse produite et une réponse attendue dans un cadre précis. Elle revêt un statut différent selon les théories de l’apprentissage auxquelles on se réfère. Pour les behavioristes, l’erreur est vue comme une perte de temps et d’énergie. En revanche, elle est considérée comme normale et nécessaire par les cognitivistes pour qui l’erreur peut permettre aux élèves d’affiner leurs représentations et d’avancer dans l’apprentissage par suite d’obstacles surmontés. Aussi, nous présenterons tout d’abord l’erreur à travers ces deux théories de l’apprentissage. Nous verrons que dans l’enseignement traditionnel des LE, la théorie de l’apprentissage de référence et par conséquent le statut de l’erreur, dépendent de la tâche considérée. De plus, du statut conféré à l’erreur par les enseignants découle le recours ou non à l’étayage que nous aborderons ensuite. D’autant qu’il s’appréhende également différemment dans l’enseignement traditionnel des LE et dans l’EMILE. Pour terminer avec la notion d’erreur, nous souhaitons également la présenter en tant qu’indice. En effet, l’erreur peut également aider l’enseignant à mieux comprendre les démarches des élèves afin de leur proposer un enseignement plus personnalisé.

3.1. L’erreur à travers les théories de l’apprentissage

Les behavioristes décrivent l’apprentissage comme fondé sur l’exercice et sur l’essai-erreur. Cependant, ils ne s’intéressent qu’au résultat de l’apprentissage, la réflexion du sujet quant à la nature de ses erreurs pendant l’apprentissage n’a pas été théorisée par ce courant. L’erreur ne doit pas apparaître dans la production finale et si elle surgit, elle doit être corrigée. La copie d’un élève ne doit comporter ni rature ni rectification. Cela relève du brouillon qui n’a pas lieu d’être noté, commenté, ni même vu par l’enseignant. La phase de tâtonnement dans laquelle l’élève cherche à résoudre un problème n’est pas valorisée. Cela peut avoir comme effet pervers, le fait qu’en cours de LE, un élève s’en tienne à ce qu’il sait pouvoir dire sans erreur, au risque d’appauvrir sa production. Dans le modèle behavioriste, l’erreur permet de différencier les élèves selon leur niveau de maîtrise des contenus et de leur proposer des activités de remédiation qui consistent à faire refaire ce qui n’a pas été réussi. Dans cette

optique, l’erreur est considérée comme une menace pour les apprentissages, voir comme un risque d’entraîner des apprentissages incorrects. Les réponses erronées risquent de compromettre la mémorisation de la bonne réponse. Cela peut engendrer une hésitation qui nuit au réflexe. C’est pourquoi, pour les behavioristes, il faut éviter que l’élève produise des réponses erronées et donc le mettre dans des situations où il ne peut que produire la bonne réponse. Cette approche est efficace dans les apprentissages techniques ou professionnels pour faire acquérir aux élèves un automatisme. Elle est également souvent utilisée en orthographe, en conjugaison ou pour les tables de multiplication : domaines dans lesquels l’apprentissage doit viser la production d’une réponse réflexe. Dans l’apprentissage traditionnels des LE, les exercices de copie, d’imitation et de répétition pour la mémorisation de sons, de mots ou de structures, relèvent du modèle behavioriste. Il en est de même pour l’apprentissage des verbes irréguliers. Ces réflexes acquis en cours de LE sont utilisés par les élèves en situation d’EMILE pour aborder les thèmes des disciplines non linguistiques, mais ils ne font pas l’objet d’un apprentissage spécifique. De ce fait, ce type d’enseignement ne relève pas du modèle behavioriste, dans lequel, l’élève n’est pas encouragé à commettre des erreurs, qui sont considérées comme une perte de temps et d’énergie.

Contrairement au modèle behavioriste où il s’agit d’aller droit à la bonne réponse, dans l’approche cognitiviste, l’erreur reflète le cheminement de l’élève qui est en train de s’approprier une connaissance. Ce n’est que dans les années 80 que des recherches en mathématiques ont conduit à considérer l’erreur comme un élément du processus didactique. Pourtant déjà au Ve siècle avant J-C, Socrate conférait à l’erreur un rôle formateur. Dans la

maïeutique, il présente les étapes de l’apprentissage : la première repose sur le faux savoir, les opinions et les représentations ; la deuxième est l’ignorance consciente ; la troisième est basée sur les essais et les erreurs ; et seulement la quatrième débouche sur le vrai savoir. Socrate ne condamne pas l’erreur. Il la considère comme une étape indispensable de l’apprentissage. Faire des erreurs permet de remettre en cause ses préjugés et les comprendre permet de les dépasser. Plus récemment, chez les cognitivistes, qui s’intéressent à ce qu’il se passe chez le sujet au fur et à mesure de son développement, l’erreur a également une valeur formative. L’apprentissage se fait par succession de repérages et de corrections d’erreurs. Il s’agit d’un processus de tâtonnement et non de l’apprentissage par essai-erreur du modèle behavioriste. À la différence de ce dernier, le tâtonnement prend en compte les échecs du sujet qui s’en sert à des fins de régulation. Piaget (1975) parle d’un ‘parcours d’erreurs systématiques’ qui aboutit à la construction d’un nouveau schème. Si l’élève réalise qu’il est face à une situation

incompatible avec ses connaissances préalables, il va rechercher un nouvel équilibre qui le conduira à la construction d’une nouvelle connaissance, compatible avec la situation perturbante. L’erreur est constructive car elle provoque le conflit cognitif qui pousse l’élève à apprendre. Bachelard (1938) a dégagé la notion d’‘obstacle épistémologique’ en démontrant que le traitement de l’erreur est le passage obligé pour accéder à la connaissance. Un élève qui réussit immédiatement, a réactivé un ancien savoir mais n’a rien appris de nouveau. Il n’a pas eu à franchir d’obstacle. Dans l’apprentissage traditionnel des LE, les exercices de production écrite, de réflexion grammaticale et de comparaison de structures relèvent de ce modèle, tout comme l’ensemble des activités proposées en situation d’EMILE.

3.2. L’étayage pour analyser les erreurs

Afin de permettre à l’élève de dépasser un obstacle et ainsi d’accéder à la connaissance (Bachelard, 1938), les enseignants ont recours à l’étayage, défini par Bruner (1983, p. 263) comme « l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ ». Ce concept est lié à celui de ‘zone proximale de développement’ de Vygotski (1985). Pour ces deux auteurs cognitivistes, ces concepts permettent d’accompagner l’apprenant dans ses activités, notamment dans l’analyse de ses erreurs. L’enseignant prend en charge les éléments de la tâche que l’élève n’arrive pas à accomplir seul. Ainsi, il pourra réaliser la tâche avec de l’aide. Cela correspond à l’étayage par le maître qui peut être collectif ou individuel. L’aide peut aussi provenir d’un autre élève. Il s’agit alors d’étayage par un pair. Au-delà de l’aide apportée à l’élève qui en a besoin, cela permet de valoriser et renforcer ce que l’élève qui aide son camarade sait faire : c’est la pédagogie de la réussite. Cependant, cette forme d’étayage est difficile à mettre en œuvre par les élèves sans qu’ils n’y soient préparés. C’est ce que prône l'EMILE : l’étayage par un pair pour accompagner l’élève à analyser son erreur afin qu’il parvienne à produire un énoncé correcte. En effet, ce type d’enseignement repose sur la pédagogie de la réussite (Marsh et Langé, 2000).

Afin de mettre en œuvre cet étayage, qu’il s’agisse de l’enseignement traditionnel des LE ou de l’EMILE, le maître ou le pair peut utiliser la gestuelle, répéter, reformuler, s’appuyer sur un support écrit (manuel) ou visuel (affichage), avoir recours à l’étude comparée de la langue,

etc. pour permettre à un élève de s’exprimer correctement, ce qu’il ne manquera pas de valoriser en le félicitant. En revanche, contrairement à l’enseignement traditionnel des LE, en situation d’EMILE, le recours à la LM est préconisé. La traduction est donc une forme d’étayage spécifique à l’EMILE.

3.3. L’erreur comme indice

Les programmes de l’école primaire de 199536 (p. 21) affirmaient que « l’erreur dédramatisée

suscite chez l’élève une analyse constructive de son travail et la volonté de progresser. Elle fournit au maître des informations précieuses pour définir, lorsque c’est nécessaire, des actions de remédiation ». En effet, en situation d’apprentissage, les erreurs permettent à l’enseignant d’identifier les représentations qu’ont les élèves de la langue, les obstacles qu’ils y rencontrent et de relancer l’apprentissage. Par exemple, si l’on présente à un élève de début CP, les mots ‘train’ et ‘locomotive’ et qu’on lui demande où est le mot train, il y a de grandes chances qu’il choisisse le mot le plus long. Cela indiquera à l’enseignant que cet élève a une représentation erronée du fonctionnement de la lecture, il pourra alors le questionner sur la première lettre du mot… En situation d’exercice, l’erreur est un indice de la façon dont l’élève a compris ce qui lui a été enseigné. Par exemple, un élève qui écrit il prenna le bus a une représentation identique du passé simple des verbes des premier et troisième groupes. Ce qui pose problème à cet élève, qui a pourtant participé aux séances d’apprentissage, c’est la décontextualisation. Les erreurs indiquent aux enseignants les besoins de leurs élèves en remédiation et leur permettent d’adapter leur pédagogie. Il est donc important qu’ils les comprennent.

Pour Piaget (1975), l’erreur est aussi un indicateur du stade de développement des enfants. Par exemple, un enfant qui n’a pas atteint le stade préopératoire n’est pas conservant. Si deux récipients identiques sont remplis à même hauteur et que l’on verse le contenu de l’un dans un récipient plus large, l’enfant qui n’a pas atteint ce stade pensera qu’il y a moins de liquide dans le nouveau récipient. Pour les socioconstructivistes comme Vygotski, l’erreur peut être due à ce que la tâche demandée soit trop éloignée de la zone proximale de développement de l’élève, c’est-à-dire, de ce que ce dernier est capable de faire avec de l’aide.

36 Arrêté du 22-2-1995, paru au JO du 2-3-1995. Consultables en ligne :

Pour les cognitivistes, qui voient l’apprentissage comme un traitement mental de l’information, l’évaluation est conçue comme un processus d’accompagnement de l’élève dans son apprentissage. Face à une erreur, il s’agit de repérer à laquelle des trois grandes sources d’erreur proposées par Fayol (1995), elle appartient : problème lié aux savoirs déclaratifs, problème lié aux savoirs procéduraux, ou surcharge cognitive. Par exemple, l’absence d’un ‘s’ final peut renvoyer à la méconnaissance de la règle, au non-transfert de la règle dans un autre contexte, ou à la centration de l’élève sur d’autres aspects de la tâche. C’est pourquoi, il est important que l’enseignant soit en mesure d’analyser les erreurs de ses élèves. Dans "L’erreur, un outil pour enseigner", Astolfi (1997) a répertorié lui, huit grandes catégories d’erreurs. Parmi elles, dans notre recherche, nous considérerons les erreurs relevant de la compréhension des consignes de travail, celles relevant des conceptions alternatives des élèves (polysémie) et celles portant sur les démarches adoptées (certaines sont différentes selon les pays). En revanche, nous ne tiendrons pas compte des erreurs relevant d’habitudes scolaires ou d’un mauvais décodage des attentes, de celles liées aux opérations intellectuelles impliquées, de celles dues à une surcharge cognitive, de celles ayant leurs origine dans une autre discipline (transfert non acquis), ni de celles causées par la difficulté propre du contenu. En effet, nous regardons ce que les enseignants mettent en place pour gérer uniquement les erreurs liées à la LSco. Selon Narcy-Combes (1990, p. 57) les erreurs « résultent des hypothèses émises par l’apprenant sur la langue qu’il étudie. Ainsi, les erreurs sont dédramatisées dans cette théorie et jouent un rôle important dans l’apprentissage ». Pour Marsh et Langé (2000, p. 2), un des avantages les plus importants de l’EMILE est que « cette façon de travailler, en faisant appel à la pédagogie de la réussite, crée chez les jeunes une confiance en soi qui les encourage à aborder de façon positive l’apprentissage des langues ».