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CHAPITRE 4 : Cadre conceptuel de l’enseignement en langue étrangère

3. L'Enseignement d'une Matière par l’Intégration d’une Langue Étrangère

3.4. Les principales difficultés rencontrées par l’EMILE

Outre la crainte de certains parents quant à l’effet de l’enseignement bilingue sur le développement de la LM et sur la maîtrise des DNL ou encore par rapport à l’éventuelle surcharge de travail qu’il pourrait engendrer, le recrutement d’enseignants compétents reste la difficulté majeure de l’EMILE. À cela s’ajoute le problème du matériel pédagogique adapté à l’enseignement bilingue.

3.4.1. Faut-il appliquer le principe de Ronjat ?

Le profil des enseignants dépend du principe pédagogique retenu pour l’enseignement bilingue. Soit l’établissement applique le principe de Ronjat (1913) ‘une personne - une langue’ (cf. chapitre 2, § 2.4.) : les cours en français sont dispensés par des professeurs des écoles titulaires du CERPE et ceux en langue de section sont donnés par des locuteurs natifs témoignant d’un certificat d‘aptitude équivalent dans leur pays d’origine. Soit l’enseignement bilingue est dispensé selon le principe ‘un enseignant - une classe - deux langues’ : le même enseignant fait classe en français et en langue cible. Il doit avoir réussi le CERPE et l’habilitation à enseigner la langue considérée.

Pour Petit (2001, p. 83), il est préférable d’appliquer le principe de Ronjat et que les professeurs chargés de l’enseignement bilingue soient « des locuteurs natifs (native speakers) ou possédant une compétence équivalente à celle d’un natif. Ce n’est que de cette façon que peuvent être garantis le naturel et l’authenticité de la conduite de la classe ». Blondin (2003) précise que dans ce cas, il est important que l’enseignant, locuteur natif, maîtrise suffisamment le français pour diverses raisons :

Cet enseignant doit pouvoir communiquer efficacement avec ses collègues avec les membres de la hiérarchie scolaire, avec les parents de ses élèves, qui ne maîtrisent généralement pas la langue cible ; il doit aussi être capable de prendre connaissance des documents officiels (socles de compétences, circulaires…) et de gérer une palette de situations diverses dans un milieu francophone (par exemple en cas d'accident lors d'un déplacement avec sa classe). (Blondin, 2003, p. 22)

Cependant, il semblerait que le principe ‘un enseignant - une classe - deux langues’ puisse apporter de meilleurs résultats. Selon Marsh et Langé (2000, p. 15), les enseignants qui ont la même LM que la majorité des élèves de leur classe « sont parmi les meilleurs » : « ces enseignants sont particulièrement sensibles aux façons dont les enfants apprennent dans leur langue maternelle, et donc aux transferts suscités par l’utilisation de la langue EMILE ».

3.4.2. La formation initiale et continue des enseignants des classes bilingues

Tout d’abord, il paraît évident que les professeurs doivent maîtriser la langue cible à un niveau suffisant permettant l’enseignement bilingue. Les professeurs des écoles ainsi que des collèges et lycées européens doivent tous valider le niveau B2 du Cadre européen commun de référence pour les langues en anglais pour être titularisés. Cependant, en France, si les professeurs de collèges et lycées des disciplines non linguistiques n’utilisent pas l’anglais dans leurs enseignements, sauf s’ils exercent en classe bilingue, ce n’est pas le cas des professeurs des écoles qui ont pour obligation de l’enseigner à partir du CP, et d’amener les élèves en fin de CM2 au niveau A1 dans l’enseignement ordinaire et A2 dans l’enseignement bilingue. Pour enseigner dans les classes bilingues, les professeurs des écoles ainsi que des collèges et lycées n’ont pas obligation de justifier d’un diplôme supplémentaire par rapport à leurs collègues des classes ordinaires. Ils sont recrutés sur profil par les inspecteurs d’académie en ne justifiant que du niveau B2, comme les enseignants des classes ordinaires. À ce sujet, Narcy-Combes, Tardieu, Le Bihan, Aden, Delasalle, Larreya et Raby (2008) rappellent la portée du niveau de langue des enseignants sur la qualité de l’enseignement :

Il conviendrait de vérifier si un enseignant dont le niveau de compétences n’atteint pas C1 en compréhension de l’oral et en production orale (premier niveau de spécialiste) a vraiment les capacités pour être modèle ou donner du feed-back sur les problèmes de « prononciation », et pour assurer le travail de réflexion de façon solide. (Narcy- Combes et alii, 2008, version en ligne34)

Dans certains pays, comme l’Allemagne ou l’Autriche, les enseignants peuvent obtenir une bivalence dans une discipline et dans une langue pour exercer en classe bilingue. Cependant, comme le soulignent Fruhauf, Coyle et Christ (1997), dans la plupart des pays et même dans ceux où cette bivalence est possible, la question de la formation des enseignants des classes bilingues est un problème car il ne suffit pas de maîtriser la discipline non linguistique et la langue cible pour être un bon enseignant bilingue :

Il est nécessaire de développer davantage les programmes de formation initiale et continue pour préparer les enseignants aux exigences spécifiques de l'enseignement d'une discipline dans une LE. […] Un certain nombre de questions pédagogiques et didactiques doivent être prises en considération. (Fruhauf, Coyle et Christ, 1997, pp. 193-194)

Ces auteurs sont rejoints par Marsh et Marsland (1999), pour qui l’EMILE requiert des enseignants formés aux spécificités de l’enseignement bilingue et donc le développement de ces formations :

La formation initiale à EMILE est une condition préalable indispensable à la consolidation de cette approche dans l'éducation en générale. Il y aurait lieu de développer des programmes spécifiques favorisant l’interdisciplinarité à travers une spécialisation disciplinaire et linguistique avec certification […] Un programme de formation continue conçu à long terme est souhaitable pour tous les praticiens afin de leur fournir des informations à jour concernant les progrès en EMILE, et de maintenir leurs compétences aussi bien disciplinaires que linguistiques. (Marsh et Marsland, 1999, pp. 1-2)

Sur la question de la façon dont devrait se dérouler ces formations, Coyle (2002) et Duverger (2005) se rejoignent sur le fait qu’il serait préférable que la formation des enseignants à l’enseignement de DNL en LE se fasse en langue cible.

3.4.3. Le matériel pédagogique

Il n’existe pas, pour l’instant, de manuels spécifiques à l’enseignement bilingue. Et, comme le soulignent Fruhauf, Coyle et Christ (1997), les manuels utilisés dans les pays où la langue cible est parlée sont trop difficiles pour être utilisé en France :

Il est extrêmement difficile pour les établissements de trouver les manuels et autres supports pédagogiques dans la langue cible qui couvrent les thèmes que leurs programmes nationaux nécessitent. Même s'ils trouvent des manuels couvrant les thèmes exigés, ils sont souvent confrontés à des divergences entre les capacités cognitives et linguistiques de leurs élèves. Les manuels adaptés à l'âge des élèves du pays où l'on parle la langue cible utilisent une langue trop compliquée pour les élèves bilingues. (Fruhauf et alii, 1997, p. 194)

En effet, un manuel de géographie destiné aux élèves anglais, n’est pas adapté aux élèves français des sections anglaises.

Ces mêmes auteurs insistent sur le fait que les enseignants des classes bilingues sont donc contraints de créer eux-mêmes leur matériel pédagogique, soit en simplifiant le matériel authentique qu’ils auront trouvé en langue cible, soit en traduisant le matériel dont ils disposent en français : « les enseignants dépensent beaucoup de temps et d'énergie pour rassembler, photocopier et traduire divers passages de différents manuels pour en faire un programme cohérent » (Fruhauf, Coyle et Christ, 1997, p. 194).