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CHAPITRE 6 : Les outils de la méthodologie

2. L’entretien d’explicitation

2.1. Définition

Pour Vermersch, la technique d’entretien renvoie à des pratiques d’écoute :

« un ensemble de pratiques d’écoute basées sur des grilles de repérage de ce qui est dit et de techniques de formulations de relances (questions, reformulations, silences) qui visent à aider, à accompagner la mise en mots d’un domaine particulier de l’expérience en relation avec des buts personnels et institutionnels divers. » (Vermersch, 1994, p. 17)

La spécificité de l’entretien d’explicitation est donc de viser la ‘verbalisation de l’action’. Cela correspond à ce que nous avons fait à l’aide des grilles d’entretien que nous avons conçues d’une part, pour les membres de la direction de l’école internationale, afin qu’ils nous expliquent son fonctionnement, et d’autre part, pour les enseignantes des classes observées, afin qu’elles nous dressent le profil linguistique de leur classe, commentent le déroulement de leur séance et nous parlent de leur façon de gérer l’hétérogénéité linguistique de leurs classes. Toutes ces grilles d’entretien se trouvent dans le volume des annexes auxquelles nous ferons référence par la suite (pour les membres de la direction, cf. annexes 4 à 6 pp.12-17 ; pour les enseignantes, cf. annexes 17 à 22 pp. 49-54).

2.2. Les difficultés

Selon Vermersch (1994), cette verbalisation de l’action se heurte à quatre difficultés. La première est liée au fait que l’action est en grande partie une connaissance autonome et qu’elle contient une part de ‘savoir-faire en acte’, c’est-à-dire de savoir-faire non conscient. Autrement dit, toute action comporte une part implicite dans sa réalisation, pour celui qui l’effectue. Le but de l’entretien d’explicitation est de mettre à jour cet implicite pour obtenir une description détaillée du déroulement de l’action. Nous avons effectivement pu constater quelques incohérences entre ce que certaines enseignantes disent faire et font réellement, comme nous l’avons évoqué dans la définition de la démarche clinique (cf. chapitre 6, § 1.1). La seconde difficulté concerne le fait que verbaliser une action n’est pas habituel. Nous sommes plutôt habitués à émettre des jugements, des commentaires, des généralités ou la description des circonstances. La verbalisation de l’action nécessite de l’aide, d’où le support

des grilles d’entretien que nous avons conçues. La troisième difficulté réside dans le fait que les techniques efficaces pour apporter cette aide sont ‘contre-intuitives’. Ce qui nous vient spontanément à l’idée pour apporter cette aide est précisément ce qui risque de créer des obstacles. Par exemple, le fait de faire des propositions quand la personne interviewée cherche ses mots, peut l’aiguiller dans une direction qu’elle n’aurait pas prise sans notre intervention. Pour mener des entretiens d’explicitation, il faut apprendre des techniques de médiation. La dernière difficulté n’est pas particulière à la verbalisation de l’action. Elle concerne tous les questionnements qui se pratiquent a posteriori. Il s’agit de la mémorisation et de la qualité du rappel des faits.

2.3. Les différentes prises d’information

Vermersch (1994) insiste sur le fait que pour comprendre et analyser le déroulement d’une action, il n’y a pas que les verbalisations :

« Une activité matérielle ou mentale se traduit par des observables comportementaux, comme ce que regarde l’élève (quel document, quelle page) ou ce qu’il ne prend pas en compte. Une des caractéristiques c’est qu’ils sont transitoires, pour les observer il faut être présent. » (Vermersch, 1994, p. 20)

Selon cet auteur, les ‘observables comportementaux’ viennent en premier, suivis par les ‘traces’ et ce n’est qu’après qu’interviennent les ‘verbalisations’. Il souligne également la difficulté de l’interprétation de ces trois niveaux de prise d’information : « Observables, traces et verbalisations n’ont pas de valeur de vérité en eux-mêmes. Aucun d’entre eux n’a un pouvoir de preuve intrinsèque. » (Vermersch, 1994, p. 21). C’est la raison pour laquelle nous menons cette recherche dans une démarche exploratoire qui vise à comprendre comment certains facteurs influencent le recours des enseignantes aux GPAL. En nous appuyant sur ce type de prise d’information, nous ne pouvons pas entrer dans une logique de démonstration.

Les enregistrements audio des entretiens avec les membres de la direction et les professeures ainsi que les enregistrements vidéos des séances d’enseignement nous ont permis de transcrire les verbalisations. Les vidéos nous ont également permis de rendre compte des observables comportementaux produits par les enseignantes et les élèves. Nous les avons notés dans les transcriptions des séances, entre parenthèses en italique, en plus de tout ce qui a été dit.

Vermersch précise que pour repérer ces observables comportementaux, il faut chercher à les observer :

« Ils ne sont jamais donnés : c’est-à-dire que pour être remarqués, retenus, il faut les attendre, être en projet de les observer parce qu’ils ont du sens. C’est une des règles de l’observation : n’est perçu que ce pour quoi nous avons déjà une ‘théorie’ ou, plus modestement, ce qui fait sens pour nous. » (Vermersch, 1994, p. 20)

C’était notre cas, puisque nous cherchions à repérer chez les enseignantes des gestes d’adaptation également non verbaux relevant du paralinguistique comme la gestuelle, les expressions du visage, les mimes…

Toujours d’après cet auteur, contrairement aux observables comportementaux, les traces ne fournissent qu’une partie de l’information. Bien souvent elles représentent un produit final et l’on ne sait rien du cheminement qui a amené à leur réalisation :

« Les traces sont les indices matériels plus ou moins permanents produits par l’activité. Par exemple, les brouillons, les réponses intermédiaires ou finales portées sur le papier sont autant de traces […] Alors que la notion d’observable pouvait laisser penser à quelque chose d’évident (il suffit d’avoir des yeux pour voir), comme le dit son nom, la trace n’est qu’une information partielle de l’activité qui l’a produite. La question de savoir de quelles informations elle peut témoigner est immédiatement problématique, en ce sens qu’elle suppose nécessairement une interprétation pour faire ‘signe’. » (Vermersch, 1994, p. 20)

Les traces que nous avons utilisées dans notre analyse sont celles que nous avons filmées pendant les séances d’enseignement, comme ce qui était projeté ou écrit au tableau. Elles témoignent de l’activité du professeur et non de celle des élèves. Les prises d’information auxquelles nous avons eu recours concernent principalement les verbalisations à travers ce qui a été dit à la fois pendant les séances filmées et lors des entretiens avec les enseignantes concernées, justement afin de les faire verbaliser sur la séance qu’elles allaient ou venaient de mener. Nous avons également pris en compte les observables comportementaux et les traces en les décrivant dans les transcriptions des séances d’enseignement.