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CHAPITRE 4 : Cadre conceptuel de l’enseignement en langue étrangère

3. L'Enseignement d'une Matière par l’Intégration d’une Langue Étrangère

3.3. Les objectifs visés par l’EMILE

Les objectifs de l’EMILE répondent à l’ambition de multilinguisme soutenue par l’Union européenne : faire des citoyens européens par l’apprentissage de plusieurs langues. (LM plus deux autres langues).

3.3.1. Les objectifs linguistiques

Selon l’Association Canadienne des Professeurs d’Immersion (ACPI, 1994) : « L’approche immersive vise, outre la maîtrise de la langue anglaise, le développement des compétences langagières dans la langue française : langues tant au plan personnel que professionnel » (cité dans Politique curriculaire pour le Programme d’immersion française, 2008, p. 3)33. Wolff

(2010) précise que l’enseignement bilingue vise une compétence linguistique en langue cible supérieure à celle visée dans l’enseignement traditionnel car la durée de contact avec la langue est plus élevée.

Ce meilleur apprentissage de la langue cible est également dû au fait que dans l’EMILE, la langue cible soit une langue de communication, un outil d’apprentissage. L’enfant doit l’utiliser pour communiquer et repérer ses particularités lexicales pour travailler les sciences, les mathématiques, la géographie, le sport, etc. Selon Duverger (2005), cela rend la langue active, fonctionnelle, utile, impliquée et nécessaire :

Utiliser la L2 dans l’enseignement disciplinaire permet en effet l’emploi de registres de langue spécifiques aux disciplines, tant au niveau lexical que syntaxique. Chaque matière scolaire a une manière particulière de se servir de la langue, les mathématiques et les disciplines artistiques, par exemple, utilisent des mots et des tournures spécifiques, et il est intéressant de les connaître […] La langue est alors abordée dans ses variations, dans tous ses états, comme langue de spécialité, et c’est un incontestable enrichissement linguistique. (Duverger, 2005, p.31)

33 Site de la province canadienne du Manitoba - Politique curriculaire pour le Programme d’immersion française.

Juillet 2008, 3ème édition. [En ligne] :

Wolff (2010, p. 25) partage ce point de vue : « l’apprenant d’une matière dans une langue autre que sa langue maternelle développe une compétence linguistique dans cette matière qui lui sera très utile dans un avenir professionnel dans le cadre européen ».

3.3.2. Les objectifs culturels

Comme l’enseignement traditionnel des LE, l’EMILE permet aux élèves de se rendre compte de la diversité culturelle, de développer leur tolérance et leur compréhension des autres. « Apprendre une langue […] est donc une manière […] d’accéder à d’autres sensibilités, d’autres réalités, d’autres manières de vivre, de décrire et de penser le monde » (Duverger, 2005, p.37). Les objectifs culturels de ces deux types d’enseignement, reposent sur l’interculturel défini par Groux et Porcher (1997) :

L’interculturel […] promeut les échanges entre cultures, les circulations, les connexions, les articulations, les interpénétrations. Il ne s’agit pas, pour l’une quelconque des cultures engagées dans l’interculturel, de renoncer à ses composantes propres, à son identité, à ses singularités. Mais on établit des passerelles, des communications, des connaissances mutuelles. L’interculturel, c’est le partage entre (inter-) cultures de compositions diverses. Il repose sur la compréhension de l’autre ; la compétence interculturelle est dirigée vers l’altérité, vers la prise en compte de l’autre comme autre, mais aussi comme sujet actif semblable à moi. (Groux et Porcher, 1997, pp. 62-63)

Pour Wolff (2010), par rapport à l’enseignement traditionnel des LE, l’EMILE permet une plus grande faculté de comparaison des deux cultures et par conséquent, une plus grande faculté de changement de perspective, ce qui permet de lutter contre les préjugés et les clichés, et ainsi, de développer le sentiment d’appartenance à l’Europe. Le même auteur ajoute que l’enseignement bilingue permet d’avoir un aperçu d’autres façons d’enseigner une matière. Cela entraîne un élargissement conséquent de l’approche de cette matière et permet de mieux comprendre la façon de penser des autres.

En conclusion, « apprendre une autre langue permet d’élargir son horizon culturel. […] [Une langue] est une manière particulière de découvrir et de penser le monde. Et avoir accès à deux langues permet donc d’élargir son champ de découverte et de pensée » (Duverger et Maillard, 1996, p. 28). C’est pourquoi selon Duverger (1995, p. 41), « l'enseignement bilingue ne peut qu'ouvrir aux autres, à d'autres manières de penser le monde ». Il élargit par conséquent l’horizon culturel de l’élève. Groux (2003) partage ce point de vue :

Il est donc important de proposer à tous les enfants la possibilité de maîtriser le plus tôt possible, des langues étrangères pour qu’ils puissent avoir une chance de s’intégrer à un monde en perpétuel changement et pour qu’ils puissent mieux le comprendre. (Groux, 2003, p. 25)

3.3.3. Les objectifs cognitifs

L’EMILE améliore la capacité d’analyse et de réflexion des élèves ce qui a de bonnes répercussions sur l’apprentissage d’autres disciplines comme les mathématiques ou la lecture- écriture ainsi que sur le développement de certaines compétences transversales. En effet, un élève unilingue associe à tout signifié (objet), un seul signifiant (mot) alors qu’un élève profitant d’un enseignement bilingue lui en associera deux. De ce fait, l’élève bilingue dispose d’une plus grande capacité d‘analyse de ce signifié. Selon Duverger (1995), en situation d’analyse, l’élève bilingue est en position plus favorable que l’unilingue. De plus, de nombreuses recherches attestent que les enfants bilingues témoignent de plus de facilités pour l’apprentissage des mathématiques et développent des capacités d’abstraction plus importantes (Bialystok, 2005).

En ce qui concerne l’apprentissage de la lecture-écriture, l’idée la plus répandue est que cet apprentissage doit être conduit en une seule langue. Cependant, pour Duverger (1998, p. 41) « on devient meilleur lecteur et producteur d’écrits en apprenant avec deux langues plutôt qu’avec une seule »

Ayant eu, depuis plus de dix ans, l'occasion de travailler dans des écoles où les enfants sont exposés régulièrement à deux langues (écoles françaises à l'étranger, écoles bilingues diverses) j'ai pu analyser (notamment lors d'une recherche-action) les comportements scolaires de ces enfants, et observer que ceux-ci apprenaient à lire simultanément et spontanément dans ces deux langues en dépit, le plus souvent, des injonctions des enseignants et des institutions. Par ailleurs et surtout, j'ai pu observer que non seulement on ne relevait ni handicaps, ni difficultés particulières à apprendre ainsi à lire, avec deux langues, mais que les apprentissages s'en trouvaient facilités et améliorés. (Duverger, 1998, p. 41)

L’enseignement bilingue permet également aux élèves de développer davantage certaines compétences transversales :

Les chercheurs Balkan, Titone, Hamers et Blanc ont souligné que la curiosité, l’imagination et la mémoire sont notablement plus sollicitées dans l’enseignement en deux langues. [Et que] Carringer a pour sa part mis en évidence une pensée créatrice plus vive chez les élèves bilingues que dans une population témoin d’unilingues […] Tous ces chercheurs ont pu parler, pour qualifier ces bénéfices cognitifs généraux de

‘flexibilité cognitive’, d’‘alerte intellectuelle’, d’‘agilité mentale. (Duverger, 2005, p. 45)

Marsh et Langé (2000) rejoignent Duverger (2005) sur ce point :

Si un enfant apprend plusieurs langues, cela contribue au développement des processus de pensée […] Être capable de réfléchir à quelque chose dans plusieurs langues peut enrichir notre compréhension des concepts et aider à augmenter nos ressources de structuration conceptuelle. Il en résulte une meilleure association de concepts différents qui permet à l’apprenant d’avancer vers un niveau plus sophistiqué dans l’apprentissage en général. (Marsh et Langé, 2000, p. 9)

En résumé, les objectifs visés par l’EMILE concernent le développement des compétences linguistiques, le développement de la faculté d’expression spécifique au contenu, l’acquisition de capacités de changement de perspectives par l’observation simultanée des deux cultures, la limitation des préjugés et clichés concernant l’autre culture, le développement d’une dimension européenne et le développement des capacités d’apprentissage, d’analyse et de réflexion.

L’argument langagier est le plus souvent présenté comme l’objectif principal dans l’enseignement bilingue. La langue est considérée comme un outil de communication. En effet, on apprend mieux une langue en la faisant fonctionner, en s’en servant pour apprendre autre chose que cette langue, en l’instrumentalisant. Cependant, Duverger (2001) souligne que l’objectif linguistique n’est pas le seul objectif visé dans ce type d’enseignement :

Penser que c’est là le seul objectif de l’enseignement bilingue est profondément réducteur. Un enseignement en deux langues correctement conduit vise aussi à améliorer les compétences cognitives de l’apprenant et, bien sûr, les connaissances d’ordre méthodologique et scientifique dans le champ de la discipline concernée. De nombreux pays d’Europe centrale et de l’Est, mais aussi du Sud-est asiatique mettent en avant de tels objectifs. Et puis, naturellement, l’enseignement bilingue a toujours pour effet de développer les ouvertures culturelles, et l’émergence de citoyennetés de type universaliste, dans la mesure où il permet des approches différentes de nombreuses valeurs et notions, ce qui ne manque pas de faciliter l’esprit de tolérance et de compréhension de l’autre (ce type d’objectif a été largement exprimé lors de la mise en place des sections bilingues germano-françaises, en Allemagne, voici une trentaine d’années). On peut aussi considérer qu’une des priorités de l’enseignement bilingue est d’assurer la mobilité professionnelle en ces temps de mondialisation. (Duverger, 2001, pp. 19-20)