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Spécificités de la traduction de la littérature de jeunesse

5. Aspects théoriques

5.1. Traduire la littérature de jeunesse

5.1.2. Spécificités de la traduction de la littérature de jeunesse

Même si la traduction de la littérature de jeunesse n’est pas fondamentalement différente de tout autre acte de traduction, littéraire ou non, ce genre présente un certain nombre de particularités auxquelles les traducteurs se doivent de prêter une attention particulière. Nous avons survolé certaines des difficultés rencontrées par le traducteur dans les quelques pages qui précèdent, mais voici une liste plus détaillée des points importants à retenir, en particulier dans le cadre de ce travail.

Importance du contexte socio-culturel

Il est important de garder à l’esprit le fait que le traducteur ne transmet pas uniquement des phrases, mais un texte qui doit être compris dans sa globalité, même s’il est découvert de façon linéaire par les lecteurs (Kiefé, 2008), et dans son contexte socio-culturel (González Cascallana, 2006). Le texte source peut certes poser un certain nombre de problèmes lors de la traduction, mais la majorité des difficultés rencontrées dépendent généralement de l’importance d’un texte au sein d’une culture donnée, ce que Riitta Oittinen explique de la manière suivante :

The problems do not depend on the source text itself, but on the significance of the translated text for its readers as members of a certain culture, or of a sub-group within that culture, with the constellation of knowledge, judgement and perception they have developed from it. (Oittinen, 2010a : p. 3)

La situation géopolitique des traducteurs détermine très souvent la stratégie qu’ils décident d’adopter (Lathey, 2010). Ils contribuent à la réécriture d’un texte par le biais de leur héritage culturel, leur expérience de la lecture, leur enfance et l’image qu’ils se font de l’enfant (Oittinen, 2010a), mais ils ne peuvent pas uniquement se concentrer sur la nature du texte source, car ils doivent prendre en compte la position de celui-ci au sein de la culture source, les normes et les règles de la langue cible et de la culture cible, les valeurs partagées par le public cible au moment de

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la traduction, ainsi que les règles – souvent implicites – imposées par les autres lecteurs (adultes, enseignants, éditeurs, etc.) (Pascua-Febles, 2006).

Public et double appartenance

Puisque la littérature de jeunesse est principalement définie par son public, l’image de l’enfance du traducteur est très importante, car elle sert de base à son travail. C’est une question délicate, car cette image est à la fois individuelle et collective (Oittinen, 2006), individuelle en ce qu’elle dépend de l’expérience personnelle du traducteur et de ses idéologies, et collective en ce qu’elle dépend de la vision collective de l’enfance admise par la société (Oittinen, 2010a). Un certain degré d’adaptation sera nécessaire pour répondre aux critères de ces deux images de l’enfant, qui peuvent parfois être contradictoires.

Cela découle aussi de l’appartenance de la littérature de jeunesse à la fois au système éducatif et au système littéraire, que nous avons mentionnée à plusieurs reprises. En conséquence, les publications sont contrôlées de manière plus stricte et les décisions sur ce qui est traduit, lu, acheté et publié n’appartiennent pas au public cible, mais aux adultes (González Cascallana, 2003), qui se basent notamment sur des critères idéologiques, économiques et statutaires (Oittinen, 2006).

Le traducteur doit donc prendre en considération les besoins et les attentes des enfants, principaux consommateurs de ce genre, tout en respectant les demandes et les attentes des adultes (Pascua-Febles, 2006), car ce sont eux qui ont le dernier mot, et ce, même si de nombreux livres passent d’un public à l’autre.

Ainsi, une attention particulière est généralement accordée à la lisibilité et au caractère naturel et compréhensible d’un texte, ce qui obligera parfois le traducteur à adapter une partie des éléments étrangers à la culture cible (Oittinen, 2010a), ou à expliciter ou simplifier certains passages.

Normes et influence

De manière plus large, les éditeurs, mais aussi les médias ou certaines classes ou partis politiques, ainsi que les organes qui réglementent la littérature dans un pays donné, et la société en général, ont une certaine influence sur les stratégies adoptées par les traducteurs (Oittinen, 2006) et, plus généralement, sur ce qui est traduit ou non.

Un certain nombre de normes culturelles, linguistiques et textuelles, principalement d’ordre idéologique ou pédagogique (González Cascallana, 2003), doivent être respectées pour qu’une œuvre puisse être acceptée dans la culture cible. Ce phénomène est encore accentué par le fait que la littérature traduite, surtout s’il s’agit de littérature pour la jeunesse, a un statut périphérique qui l’oblige d’autant plus à adhérer aux conventions et modèles existants (Puurtinen, 1998).

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Intertextualité

Un texte littéraire dépend, comme nous l’avons déjà vu, de son contexte socio-culturel de production, mais aussi de tous les textes qui le précèdent et qui l’entourent (González Cascallana, 2006). À ce sujet, Belén González Cascallana évoque de nombreux éléments qui rentrent dans la catégorie de l’intertextualité :

The intertextual link, however, reaches well beyond the text itself, evoking other generic discourses and conventions. These generic codes may range from stereotyped elements typical of major genres in children’s literature such as the folk tale and the fantasy story (the orphan hero, magic, gross violence, retribution and good triumphing over evil), to codes and conventions of other generic discourses (journalistic, poetic, epistolary and legal discourses. (González Cascallana, 2006 : p. 102)

Les lecteurs doivent puiser dans l’héritage culturel et folklorique occidental pour donner du sens à certains éléments de l’œuvre (González Cascallana, 2006), et le traducteur doit donc saisir les références dans le texte source, puis les rendre accessibles au lecteur cible. Ce processus est plus ou moins aisé selon que les cultures sont proches ou éloignées, et selon que le traducteur connaît bien ou mal les références intertextuelles se trouvant dans le texte source.

Médiation culturelle

Le processus de traduction se déroule à une époque précise, dans une culture précise, et dépend d’un ensemble de signes de la culture source et de la culture cible. Même lorsque les deux cultures sont très proches, il est souvent plus difficile pour le traducteur de décoder ces signes culturels que de résoudre des questions sémantiques ou syntaxiques, surtout lorsque le texte est destiné à un jeune public (González Cascallana, 2006). Il ne faut pas oublier non plus que la traduction a n’a pas les mêmes buts dans différentes sociétés (Oittinen, 2006), ce qui doit être pris en compte lors de la traduction.

La question de la médiation culturelle apparaît fréquemment dans la littérature de jeunesse, car il s’agit de trouver un bon équilibre entre les éléments gardés en langue originale, qui donnent une couleur locale à l’histoire, et ceux adaptés à la culture cible, rendus plus accessibles et compréhensibles aux lecteurs. Il y a dans ce domaine une sorte de paradoxe, car on veut ouvrir l’enfant aux cultures étrangères, mais on craint qu’il ne puisse pas profiter d’une œuvre trop marquée par l’étranger. Ainsi, le traducteur doit décider de la stratégie à adopter pour traduire les référents culturels (notamment les traditions, l’habillement, la nourriture ou les institutions mises en scène dans un roman), ainsi que les noms propres et les allusions culturelles (Pederzoli, 2012), afin que le lecteur puisse profiter au mieux de la traduction.

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Marqueurs

D’un point de vue plus formel, chaque langue présente un certain nombre de caractéristiques spécifiques qui ne sont pas les mêmes dans chaque langue. Il existe en particulier des marqueurs culturels, linguistiques et sémantiques qui peuvent se révéler très problématiques, car ce sont des éléments-clés conférant de la fluidité et de l’idiomatisme au texte pour lesquels il n’existe pas forcément d’équivalent direct. Il revient donc au traducteur de saisir leur rôle, ainsi que les stratégies implicites dans le texte source, puis de décider de la meilleure stratégie à adopter lors de la traduction (Pascua-Febles, 2006).