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Historique et évolution

5. Aspects théoriques

5.1. Traduire la littérature de jeunesse

5.1.1. Historique et évolution

En se penchant sur l’héritage littéraire occidental, on remarquera qu’une grande partie des textes et des œuvres est issue de la traduction (Ghesquiere, 2006 : p. 19). Depuis toujours, les textes circulent entre les cultures et les langues, adaptés et modifiés au fil du temps, pour qu’ils puissent être diffusés efficacement. Au Moyen Âge déjà, les enfants lisaient des contes traduits, même s’ils avaient initialement été écrits pour des adultes, puisqu’il n’existait pas encore de genre littéraire qui leur soit spécifiquement destiné (Lathey, 2010). Il existe donc depuis très longtemps des liens forts entre les textes originaux et les textes traduits, qui sont désignés tantôt sous le terme de

« traduction » et tantôt sous les termes d’ « imitation » ou d’« adaptation » (Nières-Chevrel, 2008).

Il y a plusieurs siècles, la littérature était produite par des auteurs qui s’inspiraient beaucoup les uns des autres. Durant le Moyen Âge, la Renaissance et l’âge classique, l’imitation était une pratique fréquente. Il s’agissait d’un travail de recréation, nullement considéré comme une fraude, où le nom de l’auteur imité n’était à l’origine pas indiqué (Nières-Chevrel, 2008). Les romances et les fables étaient très courantes, et souvent transmises oralement ou jouées, passant ainsi d’une langue à l’autre (Lathey, 2010).

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Comme nous l’avons vu dans la partie introductive consacrée à la littérature de jeunesse, ce genre a été reconnu très tard et a beaucoup évolué au fil du temps. Dès le XVIIIe siècle, lorsque l’enfant a été considéré comme un être à part entière, pour lequel des œuvres spécifiques étaient publiées, le genre a pris une dimension internationale et universelle très liée à la traduction (Nières-Chevrel, 2008). Cela ne signifie toutefois pas que les enfants ne lisaient pas, ou que la traduction de textes destinés aux enfants n’était pas pratiquée auparavant.

Dès le XVIIe siècle, des romances bon marché pour adultes étaient disponibles chez des marchands qui se déplaçaient constamment, contribuant à leur diffusion dans la société (Lathey, 2010). De tels textes, initialement destinés aux adultes, pouvaient être lus par des enfants, ou même dédicacés à un enfant, mais cela n’avait généralement pas d’influence sur leur style ou leur contenu (Lathey, 2010). Les premiers textes traduits explicitement destinés aux enfants furent sans doute des manuels scolaires traduits du latin et des manuels de bonne conduite, ou courtesy books, à partir des années 1400 (Lathey, 2010). La visée de ces documents était purement éducative et pédagogique et, dès les XVIe et XVIIe siècles, religieuse (Ghesquiere, 2006).

Depuis le XVIIIe siècle et jusque dans les années 1950, la traduction de fiction prédominait, avec notamment les contes, puis les récits d’aventures (Ghesquiere, 2006). Au début du XVIIIe siècle, un manuscrit syrien a été traduit en français, puis en anglais : il s’agissait de la première version des contes des Mille et une nuits, qui ont servi de base à des histoires plus récentes comme Sinbad, Aladdin ou Ali-Baba (Lathey, 2010). Les premières éditions destinées aux enfants apparues à cette époque étaient sujettes à la censure et contenaient une dimension morale et éthique très forte. De nombreux contes français ont ensuite vu le jour, comme Le Petit Chaperon rouge, Barbe bleue, Cendrillon, La Belle et la Bête ou Le Petit Poucet. Les traductions étaient très libres et variables, s’agissant parfois d’adaptations, ou incluant de nombreuses notes de bas de page explicatives (Lathey, 2010).

Les traducteurs de la littérature de jeunesse étaient plus invisibles que jamais ; la traduction littéraire n’avait pas réellement de statut, et le fait de traduire de la littérature pour un public enfantin était considéré comme moins important encore (Lathey, 2010). Jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles, de nombreuses œuvres étaient traduites par des femmes, alors même que la plupart des métiers leur étaient interdits (Lathey, 2010), et la traduction était considérée comme une activité secondaire ou un passe-temps de moindre importance.

À cette époque cependant, les auteurs de traductions se sont mis à mentionner progressivement dans les textes leur source, puis leur nom, ce qui a donné une importance croissante au rôle du traducteur. Ainsi, on trouvait des expressions telles que « imité de », « traduit librement » et

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« traduit de » avec mention de la langue de départ. Les termes « imitation » et « traduction libre » ont alors peu à peu disparu pour laisser place, dès 1830, à des mentions telles que « traduit de »,

« traduit par », « traduction nouvelle », etc. Une dizaine d’années plus tard, le traducteur a pris une réelle importance et la question des droits d’auteur est apparue avec certaines formulations comme

« traduit de ... avec l’autorisation de » (Nières-Chevrel, 2008). Les histoires, désormais de plus en plus souvent écrites, circulaient en Europe grâce à la traduction ou l’adaptation.

Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, un mouvement progressiste basé sur l’éducation est né, débouchant sur la publication d’œuvres marquées par une très forte dimension morale (Ghesquiere, 2006). Les traductions ont suivi les tendances de l’époque et se sont adaptées à l’idée qu’il fallait éduquer les enfants. Ainsi, malgré la prédominance des contes de fées et de la fantasy dès le XIXe siècle, les auteurs et traducteurs étaient très attentifs aux leçons que les enfants pouvaient tirer de ces écrits (Lathey, 2006) et il était généralement admis que la fiction ne devait pas interférer avec leur éducation morale. À cette époque, de nombreux livres ont été adaptés et réécrits pour convenir aux enfants (Lathey, 2010).

À mesure que la littérature pour enfants s’est développée, les textes publiés ont gagné en diversité et en popularité. Au XIXe siècle, la littérature de jeunesse a connu un véritable essor ; les enfants pouvaient désormais s’échapper dans un univers purement fantaisiste, où une philosophie de la vie positive et optimiste leur était transmise (Ghesquiere, 2006). De nombreux tabous existaient, comme le sexe, la violence et l’injustice. C’est à cette époque que de nombreuses œuvres, aujourd’hui considérées comme des classiques de la littérature de jeunesse, ont été traduites, par exemple Alice in Wonderland, Le Avventure di Pinocchio, The Wonderful Wizard of Oz, Peter Pan, Winnie-The-Pooh ou encore Heidi (Ghesquiere, 2006). Grâce à la circulation et à la traduction de tels livres, on retrouvait à une période donnée les mêmes concepts éditoriaux, modèles génériques, thématiques et formes esthétiques dans différents pays et différentes cultures (Nières-Chevrel, 2008 : p. 20).

L’influence de la littérature produite à une certaine époque, dans un certain pays, est une conséquence directe de la traduction (Ghesquiere, 2006), qui permet de faire connaître une histoire au-delà des frontières nationales. De plus, comme Zohar Shavit l’a remarqué, la traduction contribue aux échanges entre la littérature pour enfants et la littérature pour adultes, car cette dernière est très souvent intégrée au canon de la littérature de jeunesse au moment où elle est traduite (Lathey, 2010).

L’origine des œuvres traduites en dit long sur l’importance des différentes cultures dans le monde à une époque donnée. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les œuvres traduites étaient principalement issues

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des cultures anglaises et françaises (Lathey, 2010). Au cours du XVIIIe siècle, la littérature allemande a gagné en importance, puis c’est la littérature anglaise qui a dominé dès la fin du XIXe siècle (Ghesquiere, 2006), et jusqu’à aujourd’hui.

Au regard de ce bref historique, on peut non seulement constater que la traduction de textes destinés à la littérature de jeunesse existe en réalité depuis plus longtemps que le genre lui-même, mais aussi que la traduction a grandement contribué à façonner et développer la littérature de jeunesse au fil des siècles.

5.1.1. L E CHAMP THÉORIQUE DE LA LITTÉRATURE