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6. Analyse

6.6. Autres cas particuliers

6.6.1. Peeves

Peeves est l’esprit frappeur112 d’Hogwarts, concept que J.K. Rowling a quelque peu revisité. Même s’il ressemble aux fantômes d’Hogwards, avec sa forme humaine translucide et immatérielle qui lui permet de flotter dans les airs et de traverser les murs, il n’a jamais été vivant113. Son rôle n’a aucune importance pour l’intrigue, mais sa présence ajoute de nombreuses scènes comiques à l’histoire, car son seul but est de semer la pagaille à Hogwarts.

Les scènes où il apparaît sont très comiques, même lorsque la situation avant son arrivée est tendue, voire dramatique. Ses actions sont particulièrement importantes, mais ses paroles le sont tout autant. J.K. Rowling lui a attribué une « annoying sing-song voice » (HP 1 EN, p. 175) dont il se sert pour faire des jeux de mots, des rimes et des petites chansons amusantes (pour tout le monde, sauf la personne visée). Ce ton léger est très important pour contrebalancer certaines scènes très lourdes de la saga, et c’est pour cette raison que nous avons décidé de nous intéresser à la manière dont les traducteurs ont abordé ses interventions.

112Esprit frappeur : Le frappeur est un revenant qui vient frapper à la porte des vivants ; celui qui ouvre est condamné à mourir. L’esprit frappeur se manifeste lors des séances de spiritisme en particulier lorsqu’on utilise des tables tournantes et que l’on a recours à la formule « Esprit es-tu là ? ». (Labbé et Millet, 2003 : p. 177)

113 « Peeves is technically not a ghost, he's a poltergeist. This means that he never died, and therefore never lived. », pottermore. https://www.pottermore.com/features/the-secret-lives-of-the-hogwarts-ghosts (consulté le 12 mars 2017)

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Dans le passage ci-dessous, Harry, Ron et Hermione sont hors des dortoirs après l’heure autorisée. Malefoy voulait défier Harry en duel, mais ne s’est jamais présenté, et les trois protagonistes tentent de regagner discrètement leur lit sans se faire prendre par un enseignant ou par Filch [Rusard], le concierge, toujours accompagné de sa chatte, Mrs Norris [Miss Teigne].

Malheureusement, ils croisent Peeves, qui décide de semer le chaos une fois de plus.

Dans le texte original, Peeves s’exprime en anglais non standard, voire familier. Son ton est généralement ironique et il aimer se moquer des gens qu’il rencontre. Nous pouvons remarquer dans ce court passage qu’il omet souvent le sujet des phrases, utilise des expressions ou des formulations syntaxiquement familières (« Should tell Filch, I should ») et qu’il est très hypocrite et moqueur, comme le montrent les expressions « ickle114 firsties », « tut, tut, tut 115» et « it’s for your own good, you know ». Les sonorités de son discours sont pariculièrement importantes, que ce soit en raison des exclamations qu’il utilise, ou des rimes qu’il forme, par exemple avec « naughty, naughty, you’ll get caughty ».

‘Wandering around at midnight, Ickle Firsties?

Tut, tut, tut. Naughty, naughty, you'll get caughty.’

‘Not if you don't give us away, Peeves, please.’

‘Should tell Filch, I should,’ said Peeves in a sanity voice, but his eyes glittered wickedly. ‘It's for your own good, you know.’

[HP 1 EN, p. 174]

– Alors, les petits nouveaux, on se promène dans les couloirs à minuit ? Je devrais le dire à Rusard,

»Nicht, wenn du uns nicht verpetzt, Peeves, bitte.«

»Sollte es Filch sagen, sollte ich wirklich«, sagte Peeves mit sanfter Stimme, doch mit verschlagen glitzernden Augen. »Ist nur zu eurem Besten, wisst ihr.«

[HP 1 DE, p. 175-176]

—¿Vagabundeando a medianoche, novatos? No, no, no. Malitos, malitos, os agarrarán del cuellecito.

—No, si no nos delatas, Peeves, por favor.

—Debo decírselo a Filch, debo hacerlo —dijo

Le texte français est moins centré sur la forme. Nous remarquerons que plusieurs propositions ne sont pas traduites, ce qui limite la marge de manœuvre du traducteur. Ainsi, la rime n’est pas reproduite et la langue, généralement courante, ne présente pas réellement de marques particulières. Le lecteur saisira sans doute tout de même l’ironie, dans la phrase « pour votre bien », ainsi que le ton moqueur sous entendu par « Alors, les petits nouveaux », mais une partie de l’effet comique est perdue.

En allemand, même si la rime n’est pas reproduite, Peeves a une manière de s’exprimer où transparaissent l’ironie et l’hypocrisie. Il est un peu plus grossier qu’en anglais, utilisant de

114 Définition de l’Oxford English Dictionary : a hypocritic form of little: in childish use.

115 Détinition de l’Oxford English Dictionary : An ejaculation (often reduplicated) expressing impatience or dissatisfaction with a statement, notion, or proceeding, or contemptuously dismissing it.

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nombreux mots témoignant d’un langage relâché, voire familier (« herumstromern » et « erwischen ») et une syntaxe plutôt orale (avec des omissions de sujet et des répétitions). Le choix de « soso, soso » est particulièrement intéressant ici, car il s’agit d’une particule accentuant l’ironie, qui met d’autant plus en valeur le ton de Peeves. Par conséquent, même si moins d’importance est accordée aux sonorités dans la version allemande que dans le texte original, le lecteur saisira immédiatement l’ambiance de la scèn et l’état d’esprit de Peeves.

En espagnol, le jeu sur les sonorités est très bien rendu : Peeves parle à Harry, Ron et Hermion d’un ton moqueur et légèrement condescendant, ce qui est renforcé par l’exclamation « no, no, no » et l’expression « malitos, malitos ». L’utilisation de diminutifs dans ce contexte donne l’impression qu’il les traite comme des bébés parfaitement incapables de déterminer ce qui est bien pour eux et qu’il leur fait une faveur en appeland Filch. L’expression « agarrar del cuello » est très imagée et se prête bien au diminutif, ce qui permet de la faire rimer avec « malitos ». Même si le langage de Peeves est moins oral et familier que dans la version anglaise, nous estimons que l’effet est bien rendu, d’une part grâce au jeu sur les sonorités et d’autre part grâce au fait que le passage est nettement plus marqué par l’oralité qu’ailleurs.

Blagues et humour

Le but de Peeves étant simplement de semer le chaos où qu’il aille, il ne prend le parti de personne et n’obéit pas aux ordres qui lui sont donnés, comme nous pouvons le voir dans le passage suivant.

‘Which way did they go, Peeves?’ Filch was saying.

‘Quick, tell me.’

‘Say “please.”.’

‘Don't mess with me, Peeves, now where did they go?’

‘Shan't say nothing if you don't say please,’ said Peeves in his annoying singsong voice.

‘All right – please.’

‘NOTHING! Ha haaa! Told you I wouldn't say nothing if you didn't say please! Ha ha!

– Ça suffit, Peeves, ce n'est pas le moment de faire l'idiot. Par où sont-ils partis ? avais prévenu. Je dirai « quelque chose » quand on me dira s'il te plaît ! Ha ! Ha ! Ha !

[HP 1 FR, p. 163]

»In welche Richtung sind sie gelaufen, Peeves?«, hörten sie Filch fragen. »Schnell, sag’s mir.«

»Sag ›bitte‹.«

»Keine blöden Mätzchen jetzt, Peeves, wo sind sie hingegangen?«

»Ich sag dir nichts, wenn du nicht ›bitte‹ sagst«, antwortete Peeves mit einer nervigen Singsangstimme.

»Na gut – bitte.«

»NICHTS! Hahaaa! Hab dir gesagt, dass ich nichts sagen würde, wenn du nicht ›bitte‹ sagst! Haha!

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Haaaaa!«

[HP 1 DE, p. 176]

Tableau 7.2.

Lorsque Filch accourt après avoir entendu les cris de Peeves, ce dernier refuse de lui donner l’information dont il a besoin pour attraper Harry, Ron et Hermione. Nous pouvons voir que Peeves adopte le même ton ironique et condescendant avec lui qu’avec les trois héros et que sa manière de s’exprimer reste familière. La scène, déjà drôle lorsque Peeves fait enrager Filch et que celui-ci se plie finalement à sa volonté, devient clairement comique lorsque Peeves commence à jouer sur les mots. La phrase « Shan't say nothing if you don't say please » peut être comprise de deux manières : I won’t say anything if you don’t say please, qui est le sens auquel on pense automatiquement, ou I won’t say (the word) nothing if you don’t say please, qui est la version que retient Peeves. La double négation « shan’t... nothing » s’inscrit dans le registre familier caractérisant Peeves et ajoute à la confusion du concierge, qui ne parvient pas à obtenir de réponse avant que Peeves s’en aille.

En français et en allemand, nous pouvons observer que les traducteurs ont reproduit la blague, penant bien garde à ce qu’elle ait du sens. Sa réussite dépend de la traduction de « Shan't say nothing if you don't say please » ; en effet, si le traducteur français avait écrit « je ne te dirai rien si tu ne dis pas s’il te plaît », seul le sens premier de la phrase fonctionne. Pour parvenir au même résultat qu’en anglais, il aurait fallu écrire « je te dirai rien si tu (ne) dis pas s’il te plaît ». C’est d’ailleurs l’option qu’a choisie Klaus Fritz en allemand (« Ich sag dir nichts, wenn du nicht ›bitte‹

sagst. »), ce qui ne pose pas de problème du point de vue grammatical puisque la négation allemande est en une seule partie. Or, comme nous l’avons précédemment constaté, Jean-François Ménard est quelque peu réticent à supprimer la première partie de la négation, même dans les dialogues, ce qui explique sans doute pourquoi il a reformulé cette phrase en « Je dirai quelque chose quand on me dira s'il te plaît », contournant ainsi le problème.

En espagnol, Alicia Dellepiane Rawson a opté pour une traduction littérale, « No diré nada si me lo pides por favor » qui rend le côté humoristique de l’échange entre Peeves et Filch nettement plus difficile à comprendre. La difficulté réside cependant dans le fait qu’en espagnol la négation n’est pas divisible et qu’enlever le « no » rendrait la phrase agrammaticale et difficilement compréhensible. Pour rendre le jeu de mot dans son intégralité, la traductrice aurait dû modifier davantage la phrase, par exemple en transformant la phrase négative en une phrase affirmative, comme le traducteur français, ce qui aurait pu donner « Diré algo si me lo pides por favor. [...] ¡Algo!

Ja, ja. Te dije que te diría algo si me lo pedías por favor ».

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Rimes et chansons

Il arrive à plusieurs reprises que Peeves invente des chansons, généralement dnas un vocabulaire très imagé et souvent avec des jeux sur les sonorités ou des rimes.

Dans l’extrait ci-dessous, nous pouvons remarquer qu’il s’agit d’une chanson plutôt courte, composée de deux phrases de huit syllabes chacune, avec une rime entre « trouble » et « double ».

Nous pouvons également relever l’utilisation du surnom « Peevsie » pour « Peeves », qui fait par exemple écho à l’emploi ironique de « firsties » (tableau 7.1.).

‘When there’s strife and when there’s trouble Call on Peevsie, he’ll make double.

[HP 6 EN, p. 482]

Quand il y a d’la bagarr’ quand ça chauffe au château Appelez doncPeevy, il viendra illico.

[HP 6 FR, p. 450]

»Gibt es Zwist und gibt es Ärger ruf doch Peevsie als Verstärker!«

[HP 6 DE, p. 409]

Cuando haya un conflicto o un problemón

¡llamad a Peevsie y él empeorará la situación!

[HP 6 ES, p. 380]

Tableau 7.3.

En français, le traducteur a quelque peu changé le sens, traduisant « [when] there’s trouble » par

« quand ça chauffe au château » et « he’ll make double » par « il viendra illico ». Ce choix est probalement dû à son désir de respecter la forme du texte original, ce qu’il fait grâce à la rime entre « château » et « illico ». Nous estimons que, dans ce passage, la forme est plus importante que le contenu et que des modifications de sens, pour autant qu’elles s’intègrent bien dans le contexte, ne sont pas problématiques. De plus, le sens imagé des expressions familières « ça chauffe »116 et « illico »117 se prête bien au contexte, donnant du dynamisme à la petite chanson de l’esprit frappeur. Nous pouvons également observer des troncations (« d’la bagarr’ ») qui, comme nous l’avons vu, sont plutôt rares dans la traduction française. Le surnom « Peevsie » est devenu « Peevy », qui semble plus naturel en français. Le nombre de syllabes n’a pas été reproduit : il y en a certes huit dans la première ligne, mais seulement sept dans la deuxième.

En allemand, le sens et la forme ont été conservés : chacune des lignes compte huit syllabes, et

« Ärger » et « Verstärker » riment. La grammaire de la première ligne est relativement orale, et la particule « doch » de la deuxième ligne confirme cet aspect. Il est intéressant de noter que Peevsie a été repris tel quel de l’anglais. Le traducteur aurait pu utiliser un diminutif typiquement allemand, ce qui aurait par exemple donné Peeveschen, mais il a préféré garder le côté anglophone du personnage.

116Définition du Grand Robert : chauffer : Fig. et fam. Ça chauffe, ça va chauffer: la chose devient grave, sérieuse, vive. 3. Barder.

117Définition du Grand Robert : Fam. Sur-le-champ. Aussitôt, immédiatement, promptement, suite (tout de suite).

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En espagnol, le sens est conservé, mais les phrases sont beaucoup plus longues, comprenant treize et douze syllabes. La rime a été reproduite avec les mots « problemón » (gros problème) et

« situación », ce qui renforce le côté comique et ironique de la scène. Comme en allemand, le surnom « Peevsie » a été conservé plutôt que d’être transformé en Peevesito ou Peevescito, ou Peevesillo.

Cette décision a du sens à nos yeux, car le mélange d’un nom anglais avec un diminutif espagnol donne un effet un peu étrange.

Tous les traducteurs ont prêté attention à la forme, même s’il ne leur a pas toujours été possible de respecter à la fois les contraintes formelles du texte original en plus de son sens. Dans nos propositions de traduction, nous avons accordé une importance particulière à la forme et tenté de bien rendre le côté comique de la scène.

6.6.2. L A CUISINIÈRE DES R IDDLE ET LES