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Genres et caractéristiques

4. Introduction

4.3. Présentation de l’œuvre

4.3.4. Genres et caractéristiques

Pour certains, Harry Potter n’est qu’un phénomène commercial banal, plein de clichés linguistiques et d’éléments d’intrigue que l’on retrouve couramment dans la littérature de jeunesse britannique (Wyler, 2003). Ce qui est sûr, c’est que la saga a envoûté son public, suscitant l’intérêt des enfants, mais aussi des personnes plus âgées, à tel point que les classements du New York Times ont dû être réorganisés pour inclure une catégorie « Youth and adults » lorsque la saga occupait les trois premières places des ventes tous genres confondus (Prince, 2010). Beaucoup de jeunes ont été encouragés à lire à la publication de l’heptalogie, et se sont ensuite tournés vers d’autres œuvres de fantasy jeunesse, par exemple celles de Tolkien (Wyler, 2003).

S’il ne fait aucun doute que l’on retrouve des éléments de fantasy dans Harry Potter, il serait réducteur de se limiter à cette classification. N’oublions pas que J.K. Rowling a étudié la littérature, bagage dont elle se sert pour enrichir son roman. Ainsi, la saga présente en fait un « mélange astucieux de thèmes classiques du merveilleux – la cape d’invisibilité, les Gobelins, les voyages sur des balais, les potions et objets magiques, comme le miroir qui révèle les désirs... – et d’inventions plus modernes et souvent amusantes, à l’image du vocabulaire » (Labbé et Millet, 2003 : p. 27).

C’est là une des forces du roman, comme le soulignent de nombreux auteurs et critiques :

By interweaving different genres, blending names, figures and objects from different sources, the Harry Potter stories acquire a stronger impact. In effect, the fact that the books are an amalgam of other stories works for, and not against, their spectacular success. (González Cascallana : p. 397)

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Les références à la mythologie grecque, aux légendes, à l’histoire et à la littérature qui se cachent dans les livres9 lui confèrent une certaine richesse qui plaira surtout aux lecteurs plus avertis et plus âgés que le public initialement visé.

4.3.4.1. La littérature de jeunesse

Définition

Même si des éditions pour adultes ont vu le jour par la suite, J.K. Rowling a initialement écrit la saga Harry Potter pour des enfants. Il n’est donc pas surprenant qu’on la retrouve généralement dans le rayon consacré à la littérature de jeunesse.

Encore faut-il s’accorder sur la définition de ce genre, reconnu depuis seulement 300 ans environ (Epstein, 2012), que l’on connaît sous le nom de « littérature enfantine », « littérature pour enfants », « littérature d’enfance et de jeunesse », « littérature pour les jeunes » ou « littérature de jeunesse ». Les tranches d’âge varient selon les éditeurs, mais les principaux concepts restent les mêmes (Bruno, 2010).

De manière générale, une première distinction est faite entre la littérature destinée aux enfants (qui, dans un premier temps apprennent à lire et, dans un deuxième temps, prennent goût à la littérature) et celle destinée aux adolescents. Pour ce dernier groupe, Pierre Bruno (Bruno, 2010) propose une division en trois sous-catégories. Il y a tout d’abord la période de la scolarisation prolongée, avec des classiques et des beaux textes qui sont intégrés dans le cursus scolaire, mais qui n’ont à l’origine pas forcément été écrits pour des adolescents. On peut citer, par exemple, Peter Pan, Oliver Twist, Charlie et la chocolaterie, Les Hauts de Hurlevent, Sa Majesté des mouches, Dix petits nègres, ou encore Le chien des Baskerville. Viennent ensuite les textes relevant de l’adolescence politisée, qui traitent des problèmes spécifiques de l’adolescence et de la société (dans le passé ou dans le monde contemporain), ainsi que des textes aux valeurs plus traditionnelles, (qu’il s’agisse de romans, de poésie, de polars, etc.). Enfin, la sous-catégorie la plus récente comprend les ouvrages destinés aux jeunes adultes. Apparue aux États-Unis, elle reprend la paralittérature pour adultes, notamment les romans sentimentaux, la fantasy et les livres d’horreur, en l’adaptant au public visé, par exemple en mettant en scène des héros plus jeunes et en procédant à une censure spécifique.

Comme toute classification, ces groupes peuvent sembler artificiels, car un livre peut appartenir à plusieurs de ces catégories, et un autre n’entrer dans aucune d’entre elles. De plus, une sous-catégorie peut être totalement hétéroclite. Comme l’explique Nathalie Prince, lorsque l’on définit

9 « In fact, one of the pleasures of reading J.K. Rowling is deciphering the playful references to Greek mythology, legend, history, and literature that are hidden in the books » (González Cascallana, 2003 : p. 398).

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un genre littéraire, comme la science-fiction ou le roman policier, on se base sur des éléments thématiques, esthétiques ou poétiques qu’il est difficile d’appliquer à la littérature de jeunesse.

En effet, définir un genre littéraire, c’est supposer qu’il y a une unité au sein d’une pluralité de textes, car un genre, c’est ce qui se constitue par la répétition de formes, d’unités, d’éléments permanents invariants ; l’identité du genre n’est que le produit d’éléments identiques, et penser la littérature de jeunesse comme un genre reviendrait alors à identifier ces identiques, à reconnaître ces invariants, à les fixer pour reconnaissance. (Prince, 2010 : p. 9)

Or, le point commun à toutes les œuvres considérées comme littérature de jeunesse est un élément extérieur aux œuvres elles-mêmes : son public. La caractéristique de la littérature de jeunesse, c’est qu’il s’agit d’un « genre désignant un public particulier » (Prince : 2010 : p. 11).

À partir de cette composante de base, on peut distinguer trois types de livres pour la jeunesse : premièrement, les livres qui sont lus par des enfants, mais qui ne leur étaient au départ pas destinés, deuxièmement, les livres destinés aux enfants, mais gouvernés par la morale et l’éducation et troisièmement, les livres fondés sur l’imaginaire enfantin (Prince, 2010). Ces trois catégories sont apparues successivement dans l’histoire de la littérature de jeunesse, et c’est aujourd’hui la dernière qui domine sur le marché.

Bien que la littérature de jeunesse soit de nos jours un phénomène culturel important dans les sociétés occidentales, sa définition ne fait pas l’objet d’un consensus parmi les spécialistes (Pederzoli, 2012). Pour les besoins de ce travail, une conception très générale suffira : il s’agira pour nous de tout ce qui est écrit pour des enfants ou lu par des enfants (Epstein, 2012), y compris les livres initialement destinés aux adultes (comme Le Seigneur des Anneaux de Tolkien) ou ceux destinés à un public qui ne sait pas lire, ou qui a des capacités de lecture encore approximatives (Prince : 2010).

Un genre littéraire à part ?

La littérature de jeunesse regroupe des ouvrages très variés, notamment des documentaires, des livres d’activité, des livres-objets, des livres animés, des imageries et abécédaires, des premières lectures, des bandes dessinées, des livres illustrés, des livres d’images, des romans pour la jeunesse, des textes adaptés pour la jeunesse, des fables, des comptines, des chansons et des contes. (Prince, 2010). Ces exemples montrent bien que, fondamentalement, la littérature de jeunesse serait plus une étiquette attribuée – par les éditeurs ou les libraires – à certains livres, plutôt qu’un genre tout à fait à part (Epstein, 2012), puisque la plupart des genres se retrouvent dans les deux groupes10. Comme l’explique Jean Perrot dans l’ouvrage de Pierre Bruno consacré à ce sujet, « [l]a littérature

10 « literature for children and adults emcompasses many of the same genres. » (Oittinen, 2010a : p. 65)

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d’enfance et de jeunesse regroupe une masse floue de textes qui ne se qualifient comme tels que dans la mesure où ils sont publiés par un éditeur ayant choisi pour cible le public enfantin (Bruno, 2010 : p. 17). De tels livres transmettraient donc des valeurs et des connaissances de manière adaptée à leur public (du point de vue de ses intérêts et de ses capacités), mais en s’inspirant des genres littéraires de leur époque, ainsi que des conventions esthétiques et artistiques dominantes (Pederzoli, 2012).

S’il existe de nombreux points communs entre la littérature de jeunesse et la littérature destinée aux adultes, on peut aussi remarquer plusieurs différences. De manière générale les livres pour les jeunes sont plus courts, comprennent beaucoup d’action (et plus de dialogues et de péripéties que de descriptions, par exemple), et la composante de vraisemblance est moins importante que dans la littérature pour adultes (Epstein, 2002). De plus, les protagonistes sont souvent des personnages juvéniles (Bruno, 2010), dont les aventures sont contées avec un langage adapté au jeune public, dans une structure littéraire simplifiée. La fin a tendance à être plutôt optimiste et il y a souvent une dimension morale à l’histoire (Epstein, 2002).

En plus des limitations stylistiques, il existe un certain nombre de contraintes thématiques à la littérature de jeunesse, consistant en un certain nombre de tabous, notamment d’ordre religieux ou sexuel. Certains sujets, comme la mort, le viol ou l’argent, sont généralement laissés de côté (Bruno, 2010) afin que le lecteur ne soit pas choqué et que l’adulte puisse remplir son rôle de modèle de manière plus ou moins explicite.

Ces différences sont toutefois minimes, et certains considèrent qu’il n’y a pas de réelle distinction entre la littérature de jeunesse et la littérature pour adultes, car leur fonction est similaire (Oittinen, 2010a).

Bref historique

Ainsi, « on peut se demander s’il existe du point de vue théorique une littérature de jeunesse qui traverserait sans ciller les siècles et les décennies » (Prince, 2010 : p. 9). Si l’on s’intéresse aux différents livres qui ont été lus par des enfants, ou écrits pour eux, au fil des siècles, on remarquera que la définition du genre a beaucoup changé. Les concepts d’enfance et de jeunesse sont eux aussi en constante évolution (Epstein, 2012) et il est donc logique que cette littérature s’adapte constamment à son public.

D’un point de vue historique, la littérature de jeunesse en tant que telle a vu le jour très tardivement ; les livres, l’éducation et les images existaient, mais il manquait le « sentiment de l’enfance » (Prince, 2010), qui a vu le jour avec l’évolution culturelle de la société, lorsque l’enfant a

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été perçu comme un être à part, différent des adultes. Ce changement s’est produit autour du XVIIe siècle (Oittinen, 2010a), selon les cultures et les classes sociales.

Auparavant, une certaine forme de cette littérature existait déjà sous forme de folklore et de littérature populaire, qui a parfois touché les enfants. Ces livres n’avaient toutefois pas fait l’objet d’attentions particulières et avaient pour but de « désenfanter » (Prince, 2010), de montrer l’exemple et d’enseigner. Certains éléments communs à toutes les littératures, provenant notamment des légendes, des contes de fées ou contes populaires, et de la tradition orale, avaient été intégrés à des histoires imprimées, mi-ludiques, mi-didactiques, et lues par des enfants (González Cascallana, 2003).

L’appellation « littérature de jeunesse » voit le jour au moment où une certaine littérature est écrite spécifiquement pour les enfants (Prince, 2010). Le premier roman destiné à un public non adulte, Les aventures de Télémaque, est publié en 169911. Il s’agit d’une histoire récréative (même si la dimension morale y est très importante), écrite par Fénélon à l’intention des enfants royaux, entre autres le duc de Bourgogne (Prince, 2010).

Hormis ce cas isolé de livre écrit spécifiquement pour un jeune public, il faut attendre le XVIIIe siècle et les Lumières pour que « l’enfant devien[ne] un sujet intellectuel nouveau » (Prince, 2010 : p. 33), dont l’éducation doit comporter une partie de fantaisie pour être efficace. Les premières œuvres pour enfants sont publiées en Angleterre et évoluent peu à peu en fonction des valeurs de la société. Des livres sont alors publiés dans plusieurs pays du continent européen, principalement en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne et en France, et le genre prend une dimension internationale très liée à la traduction (Nières-Chevrel, 2008).

Au XIXe siècle, la France et l’Angleterre sont marquées par une certaine rigueur morale (Prince, 2010) et il y a donc peu d’éléments merveilleux dans les livres pour enfants, qui mettent généralement en scène des enfants vertueux. Les adultes se servent plutôt de ces livres pour éduquer l’enfant, car les lecteurs ne peuvent pas réellement s’identifier à ces personnages modèles.

Avec Rousseau naît une nouvelle conception, qui réintègre la composante imaginaire et fantaisiste dans la littérature de jeunesse. Ainsi, de nombreux contes populaires et fantastiques, légendes et traditions sont repris, donnant naissance par exemple aux contes de Grimm en Allemagne, ou aux contes d’Andersen au Danemark (Prince, 2010). En France et en Angleterre, le merveilleux prend de l’importance et devient un concept central de la littérature destinée aux enfants.

11 http://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/T%C3%A9l%C3%A9maque/146245 (consulté le 3 mars 2017)

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L’essor éditorial du genre a lieu dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Des collections spéciales voient le jour (comme la « Bibliothèque rose ») et de grands classiques historiques et romans d’aventures sont adaptés pour un public plus jeune. La littérature de jeunesse devient beaucoup plus variée et les personnages principaux mis en scène sont souvent des enfants, comme en témoignent les œuvres de Mark Twain, Charles Dickens, Rudyard Kipling ou la Comtesse de Ségur (Prince, 2010). Cela donne aux enfants la possibilité de s’identifier aux héros qu’ils accompagnent, excluant parfois même les adultes (comme dans Peter Pan, ou Alice au pays des merveilles).

Le genre connaît une période de stagnation au début du XXe siècle, où apparaissent l’album et la bande-dessinée. Avec des publications comme Tintin, de Hergé, en 1930, le Journal de Mickey, de Walt Disney, en 1934, ou Babar, de Jean de Brunhoff, en 1931, on assiste cependant à une sorte d’universalisation littéraire (Prince, 2010).

La censure est importante, même si la fonction première du texte destiné aux jeunes n’est plus d’éduquer moralement, car « il a pour obligation – et pour devoir – de ne pas déséduquer, de ne pas lui apprendre ou lui montrer les mauvaises choses » (Prince, 2010 : p. 59). Cette contrainte s’assouplit peu à peu et, dès les années 1970, les livres pour la jeunesse traitent de thèmes beaucoup plus variés.

Le statut de la littérature de jeunesse et sa qualité s’améliorent dans la seconde moitié du XXe siècle. Ainsi, des genres et des sujets qui n’étaient initialement pas destinés à un jeune public sont intégrés à la littérature de jeunesse, qui connaît une nouvelle ouverture et un renouveau d’authenticité (Ghesquiere, 2006). Les tabous s’atténuent et les romans gagnent en réalisme, abordant des sujets considérés importants par la société de l’époque, comme la guerre.

Alors que la littérature de jeunesse mettait autrefois en scène des héros apparentés à des personnages idéaux et passifs face aux aventures qu’ils n’ont pas provoquées, on a, dès la fin du XIXe siècle, systématiquement affaire à des héros actifs qui font des choses incroyables en toute liberté. Cette évolution donne la possibilité à l’auteur de s’adresser au jeune public, tout en le représentant, et permet aux jeunes de s’identifier de manière immédiate aux protagonistes.

Cette identification trouve son accomplissement quand le personnage vieillit au sein même de l’œuvre, en suivant l’âge de ses lecteurs, ce qui se passe notamment à la lecture des cycles ou des séries telles que Harry Potter et ses hypostases (Prince, 2010).

Avec l’apparition de séries, cycles et sagas comme Harry Potter, Le monde de Narnia, À la Croisée des mondes, Le Seigneur des anneaux, Le club des cinq ou encore Twilight, le développement d’une culture de jeunesse a accompagné l’évolution de la littérature de jeunesse. Les jeunes ne se limitent plus aux

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livres, car ils retrouvent leurs héros sur d’autres médias tels que les films ou les jeux. On assiste ainsi au passage d’une littérature de jeunesse à une culture de jeunesse (Prince, 2010).

Enjeux et contraintes spécifiques : le destinataire

L’enjeu principal de la littérature de jeunesse d’aujourd’hui reste le destinataire, ou plutôt le double destinataire des publications ; en effet, l’enfant étant incapable de se procurer un texte par lui-même, l’adulte joue un rôle de médiateur (Oittinen, 2010a ; Prince, 2010 ; Pederzoli, 2012). C’est une contrainte pour l’auteur, qui doit produire un texte capable de satisfaire deux publics à la fois (González Cascallana, 2003). Comme l’explique Oittinen :

Children themselves do not decide on how their literature is defined; neither do they decide on what is translated, published, or purchased for them. Children’s literature as a whole is based on adult decisions, adult points of view, adult likes and dislikes (Oittinen, 2010a : p. 69).

On peut parfois en venir à se demander si le destinataire réel des textes est en fin de compte

« l’adulte prescripteur » (Bruno, 2010), qui est responsable de la reconnaissance ou de l’oubli d’une œuvre de littérature de jeunesse, puisque c’est généralement lui qui l’écrit, la publie et l’achète. Le secteur éditorial recherche donc constamment un équilibre entre les aspirations littéraires, les contraintes éducatives et les exigences commerciales (Pederzoli, 2012).

Les livres pour la jeunesse s’adressent toujours à un double destinataire, mais le degré d’implicite peut varier. En effet, « il existe également des ouvrages pour enfants qui s’adressent en même temps à plusieurs destinataires officiels, même adultes, qui lisent l’ouvrage pour eux-mêmes, en qualité de véritables lecteurs » (Pederzoli, 2012 : p. 41). Ce phénomène est en réalité très ancien puisqu’il existait déjà à la fin du XVIIe siècle, avec des ouvrages de contes comme les Contes de Perrault ou les Fables de la Fontaine, qui peuvent être lus à deux niveaux (Prince, 2010). C’est d’ailleurs un des aspects qui intéressent les théoriciens, car de nombreuses œuvres encouragent le lecteur à faire des « lectures stratifiées, successives, de plus en plus profondes et finies, tout au long de son enfance/adolescence » (Pederzoli, 2012 : p. 42).

Il n’en demeure pas moins que les adultes possèdent un certain pouvoir sur la reconnaissance d’un livre : l’auteur décide de l’écrire, l’éditeur de le publier, les parents de l’acheter, les écoles de l’intégrer au cursus scolaire, etc. Même les succès éditoriaux peuvent être censurés dans certains pays, ou certaines régions. Dans le cas d’Harry Potter, par exemple, la présence de l’adulte s’est fait

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sentir lorsque le livre a été interdit dans plusieurs écoles en raison de son contenu « sensible » aux yeux de certains adultes12.

Enjeux et contraintes spécifiques : la dimension pédagogique

La question de la double appartenance de la littérature de jeunesse – au système littéraire et au système éducatif à la fois – est liée à celle du destinataire. Par le passé, la fonction première des livres destinés aux enfants était de les instruire et, même si cette dernière est aujourd’hui moins marquée qu’autrefois, la dimension éducative subsiste (Epstein, 2012). On recherche désormais davantage le côté divertissant et stimulant pour l’imagination (Epstein, 2012), car la qualité littéraire fait partie des valeurs de notre société contemporaine (Pederzoli, 2012), mais les objectifs poursuivis par les deux systèmes restent fondamentalement inconciliables, « [c]ar on ne saurait instruire tout en plaisant tout à fait. Est-on dans la littérature, quand la lourdeur est privilégiée à la légèreté, l’explication à la suggestion, le didactisme à l’art ? » (Prince, 2010 : p. 25). Une grande partie de la littérature de jeunesse cherche à transmettre aux lecteurs des connaissances de manière pédagogique, qu’il s’agisse d’un savoir scolaire, psychologique ou éthique (Bruno, 2010), ce qui entraîne un certain nombre de contraintes pour les auteurs et les éditeurs.

Comme nous l’avons vu précédemment, la littérature de jeunesse avait, à une époque, une fonction purement éducative, qui s’est atténuée aujourd’hui. Pourtant, même si l’idée de plaisir et d’évasion est très importante, les livres d’aujourd’hui continuent à transmettre des savoirs de manière subtile, notamment en matière de connaissances du monde, d’idées et de valeurs reconnues dans la société13. Les choix lexicaux et syntaxiques de l’auteur dans sa manière de présenter les évènements peuvent contribuer à ancrer des opinions dans l’esprit des jeunes lecteurs14.

Cette double appartenance est une des raisons pour lesquelles, même si la littérature de jeunesse gagne en popularité, elle garde une position marginale dans le monde de la littérature, « méprisée par les élites culturelles et universitaires » (Prince, 2010 : p. 23). Elle est certes présente chez les éditeurs et dans les librairies, mais le nombre d’études critiques et de recherches à son sujet est encore faible (González Cascallana, 2003), car on la considère comme une littérature inférieure, qui

Cette double appartenance est une des raisons pour lesquelles, même si la littérature de jeunesse gagne en popularité, elle garde une position marginale dans le monde de la littérature, « méprisée par les élites culturelles et universitaires » (Prince, 2010 : p. 23). Elle est certes présente chez les éditeurs et dans les librairies, mais le nombre d’études critiques et de recherches à son sujet est encore faible (González Cascallana, 2003), car on la considère comme une littérature inférieure, qui