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B./ La spécificité de la demande adressée à l’administration juridictionnelle 168 Les demandes à objet contentieux comprennent les réclamations qui donnent lieu à

des décisions administratives et les réclamations aboutissant à des décisions juridictionnelles525. Les secondes sont qualifiées de recours contentieux.

Le recours contentieux est hors champ d’application du code des relations entre le public et l’administration. Sauf texte exprès contraire526, le silence de la juridiction ne fait naître aucune décision implicite527. Tout au plus, l’inaction de la juridiction donne lieu à une mise en jeu de la responsabilité indemnitaire de l’État pour durée excessive de jugement528.

169. La distinction, au sein des demandes à objet contentieux, entre les recours

administratifs et les recours contentieux n’emporte aucune conséquence sur l’application du principe du « silence vaut accord » : toutes les réclamations en sont exclues. Toutefois, il faut avoir à l’esprit qu’une juridiction peut aussi réaliser une fonction administrative, et

524 En revanche, le professeur Truchet distingue le recours administratif comme « dirigé contre une décision administrative émanant d’une autorité administrative », des « réclamations suscitées par les agissements, les comportements de l’administration, lorsque ceux-ci ne s’expriment pas en décisions juridiques » in D. TRUCHET, « Recours administratif », Rép. cont. adm., Dalloz, 2000, act. 2017, n° 12 et s. 525 Le contentieux a pour fonction de trancher un litige à la base du droit. La fonction contentieuse désigne aussi bien les recours contentieux devant les juridictions que l’ensemble des réclamations dont les recours administratifs devant l’administration dite « active » : J. CHEVALLIER, « Fonction contentieuse et fonction juridictionnelle » in Mélanges Stassinopoulos, LGDJ, 1974, p. 275 ; J.-F. BRISSON, Le recours administratif en droit français. Contribution à l’étude du contentieux administratif, LGDJ, coll. « BDP », T. 185, 1996, p. 9.

526 En cas de non-examen de la question prioritaire de constitutionnalité, dans le délai de trois mois, par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, cette question est transmise au Conseil constitutionnel (art. 23-7 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dans sa version modifiée). Toutefois, cette transmission automatique des questions est davantage liée à une logique de dessaisissement des hautes juridictions qu’à la formation d’une décision implicite d’acceptation.

527 CAA Nancy, 30 juin 1994, M. Jean-Pierre X., req. n° 92NC01032 : « [aucune] disposition législative ou réglementaire, n’impos[e] aux commissions du contentieux de l’indemnisation de statuer dans un délai déterminé et ne prévoi[t] que le silence gardé par la juridiction compétente vaudrait décision implicite de rejet ou dessaisissement de la juridiction de première instance au profit du juge d’appel à l’expiration de ce délai ». 528 CE, Ass., 28 juin 2002, Garde des Sceaux c/ M. Magiera, req. n° 239575, Rec. p. 247.

réciproquement, certaines administrations ont des attributions juridictionnelles. Ainsi, les juridictions sont soumises au principe de la décision implicite d’acceptation lorsqu’elles exercent une fonction administrative529.

La consécration de la juridiction administrative en tant qu’ordre juridictionnel s’est accompagnée, autant qu’elle a été permise, par la proclamation du principe de séparation du juge administratif de l’administration active530. Cependant, le cumul des fonctions juridictionnelle et administrative est encore prégnant au sein des juridictions et des administrations.

En somme, la nature de la demande adressée à l’organe est tout aussi cruciale que la qualité de juridiction de celui-ci : s’il s’agit d’une réclamation juridictionnelle, aucune décision implicite ne peut naître ; si la réclamation est administrative, alors elle peut donner lieu, en cas de silence gardé, à une décision implicite de rejet ; en revanche, la demande à objet administratif aboutit, en principe et sous réserve qu’aucune exception ne s’applique, à une décision implicite d’acceptation.

170. L’identification de la nature juridictionnelle de l’administration est l’une « des

questions les plus anciennes et les plus débattues du droit administratif français »531. Les juridictions administratives spécialisées se caractérisent en effet par leur très grande hétérogénéité532. Le phénomène de « juridictionnalisation de l’action administrative »533 ou de « juridictionnalisation de la fonction contentieuse » 534 a connu un regain d’intérêt avec le développement des administrations dotées d’un pouvoir de sanction telles que les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes. Pourtant, si la qualité

529 V. infra n° 79 et 95 à 106.

530 J. CHEVALLIER, L’élaboration historique du principe de séparation de la juridiction administrative et de

l’Administration active, LGDJ, coll. « BDP », T. 97, Univ. Paris, 1968.

531 J. CHEVALLIER, « Fonction contentieuse et fonction juridictionnelle », op. cit., p. 275.

532 Par exemple, ont été qualifiés de juridictions les sections disciplinaires des ordres professionnels (CE, Sect., 2 fév. 1945, Moineau, req. n° 76127, Rec. p. 27. A contrario : CE, Ass., 12 déc. 1953, de Bayo, req. n° 9405, Rec. p. 544, selon cette décision, la décision d’inscription au tableau d’un ordre régional des vétérinaires n’a pas le caractère juridictionnel) ; les conseils académiques constitués en section disciplinaire des établissements publics d’enseignement supérieur (art. L. 712-4 du code de l’éducation) ; le conseil de discipline des magistrats du siège du Conseil supérieur de la magistrature (CE, Ass., 12 juil. 1969, L’Etang, req. n° 72480, Rec. p. 389) ; les commissions départementales et centrales d’aides sociales (art. L. 134-1 et s. du CASF). V. not. R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Montchrestien, coll. « Domat : droit public », 13e éd., 2008, n° 100 ; M. DEGOFFE, « Juridictions administratives spécialisées », Rep. cont. adm., Dalloz, 2002, act. 2014. 533 R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, op. cit., n° 103-3°.

de tribunal au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme leur est reconnue535, les administrations dans leur fonction répressive ne sont pas des juridictions au sens du droit interne. Dans l’arrêt Caisse de crédit municipal de Toulon du 30 janvier 2013536, la Haute juridiction qualifie d’administrative la décision de la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel. Elle se fonde sur l’article L. 311-4 du code de justice administrative. Cet article exclut un certain nombre d’autorités administratives indépendantes de la qualité de juridiction. Le Conseil constitutionnel a également qualifié la « nature non- juridictionnelle » du Conseil de la concurrence537 et du Conseil supérieur de l’audiovisuel538. Cette fonction au mieux « quasi-contentieuse »539 ou « quasi-juridictionnelle »540 est fondée sur une qualification avant tout textuelle ou fortement imprégnée d’une logique organique. La fonction disciplinaire répressive ou contentieuse541 des autorités administratives indépendantes n’est qu’une facette de la mission de régulateur que leur a assignée le législateur. En l’état du droit, les administrations, dans leur fonction répressive, demeurent non-juridictionnelles542. Il convient donc de les rattacher à la notion de réclamation « administrative » soumise à la décision implicite de rejet du fait de l’exception législative prévue à l’article L. 231-4-2° du Code.

535 C. Cass., Ass. plén., 5 fév. 1999, COB c/ Oury, n° 97-16441 (Commission des opérations de bourse) ; C. Cass., Ch. com. 5 oct. 1999, SNC Campenon Bernard, n° 97-15617 (Conseil de la concurrence) ; CE, Ass., 3 déc. 1999, Didier, req. n° 207434, Rec. p. 399 (Autorité des marchés financiers).

536 CE, 30 janv. 2013, Caisse de crédit municipal de Toulon, req. n° 347357, Rec. T. p. 409.

537 Cons. const., n° 86-22423 DC, 23 janv. 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des

décisions du Conseil de la concurrence, JORF, 25 janv. 1987, p. 924, Rec. p. 8, cons. n° 22 ; conf. par Cons. const., n° 2012-280 QPC, 12 oct. 2012, Société Groupe Canal Plus et autre, JORF, 13 oct. 2012, p. 16031, texte n° 49, Rec. p. 529, cons. n° 16.

538 Cons. const., n° 88-248 DC, 17 janv. 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à

la liberté de communication, JORF, 8 janv. 1989, p. 754, Rec. p. 18, cons. n° 36.

539 Terme employé à propos des recours administratifs in J.-M. AUBY, « Autorités administratives et autorités juridictionnelles », op. cit. p. 98.

540 G. ÉVEILLARD, « L’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme à la procédure administrative non contentieuse » AJDA, n° 11, 2010, pp. 531-539. Les dénominations ne manquent pas : « un contentieux sans juridiction » in O. GOHIN, « Qu’est-ce qu’une juridiction pour le juge français ? », op. cit, p. 105 ; « pseudo-juridiction » in D. COSTA, note sous CE, 4 fév. 2005, Soc. GSD Gestion, req. n° 269001, Rec. p. 28 ; RFDA, n° 6, 2005, p. 1182.

541 N. Ochoa distingue les deux et réfute la qualification législative de juridiction attribuée à la Cour des comptes

in « La Cour des comptes, autorité administrative indépendante. Pour une lecture administrativiste du droit de la comptabilité publique », RFDA, n° 4, 2015, pp. 831-854.

542 Le professeur Milano conteste l’utilisation du critère textuel et la logique descendante du juge interne. Elle propose d’opter pour une approche fonctionnelle de la notion de juridiction, plus en adéquation avec la méthode européenne in « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La question a-t-elle encore une utilité ? », RFDA, n° 6, 2014, pp. 1119-1130. La juridiction est souvent identifiée grâce à une approche matérielle : R. CHAPUS, « Qu’est-ce qu’une juridiction ? La réponse de la jurisprudence administrative », in Mélanges Eisenmann, éd. Cujas, 1975, pp. 265-297.

171. Le dédoublement fonctionnel de certaines administrations influence le sens de leur

silence. L’administration, dans sa fonction juridictionnelle, élabore une décision juridictionnelle qui ne peut se former de manière implicite. En revanche, dans sa fonction contentieuse, mais non juridictionnelle, l’administration élabore une décision administrative qui prendra, en cas de silence, la forme d’une décision implicite de rejet. C’est le cas des réclamations devant les autorités administratives indépendantes, mais aussi de celles devant la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d’entrée en France543, devant un jury d’examen544 ou encore devant la Commission nationale de désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée545. Enfin, dans sa fonction administrative, l’administration, et cette notion comprend les juridictions546, élabore des décisions administratives qui correspondent au champ d’application matériel de la décision implicite d’acceptation. Par exemple, les demandes à objet administratif de la commission nationale d’inscription et de discipline des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires donnent lieu, en principe, à une décision implicite d’acceptation547. C’est le cas de six demandes relevant de la compétence de cette commission548, soumises au principe du « silence vaut accord »549. Toutefois, le Gouvernement peut déroger à ce principe en application de l’article L. 231-6 du Code. À ce titre, le décret du 23 octobre 2014550 a prévu quatre exceptions réglementaires551. La Commission peut également être saisie de réclamations. Si celles-ci sont administratives, telles que le recours gracieux d’un administrateur judiciaire contre une sanction, le silence de la Commission aboutit à une

543 CE, 11 fév. 2011, Mlle Irène A, req. n° 335505 ; CE, 4 mai 2007, M. Hamida A, req. n° 288526. 544 CE, 20 mars 2009, M. Canivenq, req. n° 314658, Rec. T. p. 607.

545 CAA Marseille, 2 juil. 2007, req. n° 06MA00901.

546 C’est le cas, par exemple, des demandes d’autorisation de plaider et d’apostille. V. infra n° 77.

547 Hors champ disciplinaire, les ordres professionnels exercent des fonctions administratives : CE, Ass., 12 déc. 1953, de Bayo, op. cit.

548 Les six demandes visées sont : l’« inscription sur la liste des administrateurs judiciaires (personnes physiques ou morales) » ; l’« inscription sur la liste des mandataires judiciaires (personnes physiques ou morales) » ; le « retrait de la liste nationale des mandataires judiciaires émanant du professionnel lui-même » ; l’« honorariat d’un administrateur ou d’un mandataire judiciaire » ; l’« autorisation d’ouverture d’un bureau annexe d’un administrateur ou d’un mandataire judiciaire » et le « transfert du domicile professionnel d’un administrateur ou d’un mandataire judiciaire ».

549 Décret n° 2014-1278 du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du délai de deux mois de naissance des décisions implicites d’acceptation […], JORF, n° 0254, 1er nov. 2014, p. 18353, texte n° 38. 550 Décret n° 2014-1277 du 23 octobre 2014 […], JORF, n° 0254, 1er nov. 2014, p. 18346, texte n° 37.

551 Les demandes sont les suivantes : la « réinscription sur la liste des mandataires judiciaires après retrait » ; l’« approbation des modifications statutaires des sociétés inscrites sur la liste nationale des administrateurs judiciaires et sur celle de mandataires judiciaires » ; la « nomination d’une société titulaire d’un office et de ses associés (Alsace et Moselle) ».

décision implicite de rejet. En revanche, saisie d’une réclamation « juridictionnelle », la Commission, réunie en section disciplinaire, rend une décision juridictionnelle552 qui ne peut être qu’explicite.

Le champ d’application matériel de la décision implicite d’acceptation s’applique si la demande donne lieu à une prise de position à caractère individuel et à objet non contentieux. Toutefois, il faut également que la demande ne soit pas à objet financier, sauf en matière de sécurité sociale.

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