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A./ L’identification de la décision unilatérale

149. L’expression « décision administrative » désigne la décision administrative

unilatérale. L’unilatéralité « apparaît dans le discours doctrinal comme inhérente à l’idée même de décision […]. L’expression “décision unilatérale” s’avère donc relativement marginale dans le discours doctrinal, car en partie redondante »431. Il convient, surtout, de distinguer la décision administrative du contrat administratif. Pour distinguer les deux notions, le juge administratif dispose de deux critères alternatifs432. Le premier, issu du droit privé, est le critère de l’« accord de volonté »433 exigé pour la conclusion du contrat. La décision, au contraire, se caractérise par l’absence de consentement ou d’accord de volonté

431 B. DEFOORT, La décision administrative, LGDJ, coll. « BDP », 2015, T. 286, n° 178. D’ailleurs, en droit des contrats administratifs, les pouvoirs de modification ou résiliation unilatérale se rattachent au régime de la décision unilatérale in X. DUPRÉ de BOULOIS, Le pouvoir de décision unilatérale. Étude de droit comparé interne, LGDJ, coll. « BDP », T. 248, 2006, p. 26.

432 B. PLESSIX, Droit administratif général, LexisNexis, 2e éd., 2018, n° 807.

433 CE, Sect., 11 fév. 1972, OPHLM du Calvados et Caisse franco-néerlandaise de cautionnements, req. n° 79402, Rec. p. 135.

dans les engagements souscrits434. Le second critère est celui de « l’élément d’un processus décisionnel enclenché en vertu de l’habilitation à agir »435 de l’Administration. Ainsi, à la différence du contrat administratif, la décision se caractérise par l’absence de participation « déterminante [des destinataires] quant à l’existence de cet acte »436. S’ils peuvent participer au processus de formation de l’acte, avec notamment le mécanisme de la concertation en amont ou lors de l’acquiescement en aval, les destinataires ne sont pas habilités à décider : jamais co-auteurs, ils demeurent, au mieux, co-acteurs437. La frontière entre ces deux formes d’actes est délicate, en particulier s’agissant des contrats contenant des éléments unilatéraux.

150. Contrats à effet réglementaire ou à contenu réglementaire. Tout d’abord, il existe

des contrats438 à effet réglementaire. Une décision administrative d’approbation est la condition nécessaire au plein effet juridique de ces contrats. Par l’approbation, les dispositions du contrat « produisent les effets juridiques s’attachant à un acte réglementaire »439, tout en conservant une ossature contractuelle440. De plus, il existe des contrats administratifs contenant tout à la fois des clauses réglementaires441 et des clauses « purement »

434 « Celui qui contracte s’engage au sens strict, c’est-à-dire qu’il définit, par son accord, une part de sa propre

situation juridique vis-à-vis du coobligé » in D. de BÉCHILLON et P. TERNEYRE, « Contrats administratifs », Rép. Cont. adm. Dalloz, 2000, n° 12. V. égal. X. DUPRÉ de BOULOIS, « Les actes administratifs unilatéraux » in P. GONOD, F. MELLERAY et P. YOLKA, Traité de droit administratif, T. 2, 2011, p. 170.

435 B. PLESSIX, Droit administratif général, op. cit., n° 807.

436 B. SEILLER, « Acte administratif - Identification », op. cit., n° 49.

437 En cas d’avis conforme, le juge a pu qualifier l’autorité consultative de co-auteur, et sanctionner la méconnaissance de l’avis sur le terrain de l’incompétence (CE, 29 janv. 1969, Dame Veuve Chanebout, req. n° 66080, Rec. p. 43). Toutefois, même en présence d’un co-auteur, l’acte juridique final demeure une décision, et non un contrat.

438 Dans la lignée de la conception duguiste, le contrat est une espèce du genre convention. Il désigne la convention produisant une situation juridique subjective. Si l’acte a des effets réglementaires, ou présente un contenu réglementaire, l’effet relatif du contrat ne s’applique plus. Il s’agit alors d’une convention applicable à un nombre indéterminé d’individus : L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, éd. Ancienne Librairie Fontemoing et Cnie, 3e éd., 1927, T. 1, pp. 312 et s. ; A. de LAUBADÈRE, F. MODERNE, P. DELVOLVÉ,

Traité des contrats administratifs, LGDJ, 2e éd, 1983, T. 1, n° 21-22 ; H. HOEPFFNER, Droit des contrats

administratifs, Dalloz, 2016, n° 51-52. Toutefois, dans le cadre de cette étude, la distinction entre le contrat et la convention n’est pas déterminante : l’application du régime de la décision implicite nécessite seulement que la demande donne lieu à une décision unilatérale. À défaut, l’exclusion du principe s’applique, que la demande porte sur une convention, ou sur un contrat.

439 CE, Sect., 18 fév. 1977, Hervouet, req. n° 99086, Rec. p. 98 avec concl. H. Dondoux.

440 Les contrats à effet réglementaire sont présents, notamment, dans le cadre des conventions collectives du travail ainsi qu’en matière médicale, au sein des accords entre les organismes de sécurité sociale et les professionnels de santé : CE, 14 janv. 1998, Synd. départemental Interco 35 CFDT, req. n° 186125.

441 Les clauses réglementaires peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir par un tiers (CE, Ass., 10 juil. 1996, Cayzeele, req. n° 138536, Rec. p. 274). Elles sont définies comme « les clauses qui ont, par elles- mêmes, pour objet l’organisation ou le fonctionnement d’un service public » (CE, 9 fév. 2018, Communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération, req. n° 404982, Rec. p. 34.).

contractuelles. La qualification doctrinale de ces contrats d’actes mixtes442 ne doit pas prêter à confusion. Il ne s’agit pas d’actes mi-contractuels, mi-unilatéraux, mais de contrats. La présence d’une substance unilatérale n’enlève rien à la forme contractuelle de ces actes443 dont les concessions de service public sont l’exemple le plus topique444. Enfin, il existe des contrats à contenu réglementaire445, c’est-à-dire au contenu partiellement préfixé par voie réglementaire ou légale.

Selon le professeur Seurot, une autorisation est contractuelle si elle crée une « situation juridique subjective ». Il en est ainsi dès que l’autorisation « a pour objet de confier l’exercice d’une activité que l’administration considère comme étant d’intérêt général »446. Il faut donc deux conditions : la soumission à des obligations particulières en tant qu’activité d’intérêt général, et une sélection préalable des candidats. L’autorisation contractuelle se rapproche de la notion d’agrément, telle que définie par C. Bertrand dans sa thèse447. Ces autorisations sont alors rattachées à la catégorie d’autorisations conditionnelles ou avec charges448.

151. Parce qu’elle demeure poreuse, la frontière entre contrat et acte unilatéral complexifie

l’appréhension du champ d’application du principe du « silence vaut accord ». Par exemple, le rapport d’activité du Conseil d’État de 2016 cite, en tant que demandes tendant à la conclusion d’un contrat et donc exclues du champ d’application de la décision implicite d’acceptation, la demande d’achat d’une concession funéraire et la demande de conventionnement des services de radio et de télévision n’utilisant pas les fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel449. Ces deux exemples témoignent du caractère « hybride » de ces actes difficilement identifiables.

442 Y. MADIOT, Aux frontières du contrat et de l’acte administratif unilatéral : recherches sur la notion d’acte

mixte en droit public français, LGDJ, coll. « BDP », T. 103, 1971.

443 Ibid.

444 CE, 9 fév. 2018, Communauté d’agglomération Val d’Europe Agglomération, op. cit.

445 Certains membres de la doctrine préfèrent le qualificatif de « conventions attributives de situation légale ou réglementaire » (A. de LAUBADÈRE, F. MODERNE, P. DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs, op. cit., n° 48-58) ou de « convention réglementaire » (H. HOEPFFNER, Droit des contrats administratifs, op. cit., n° 58)

446 L. SEUROT, L’autorisation administrative, op. cit., n° 300-331.

447 C. BERTRAND, L’agrément en droit public, LGDJ, Presses Universitaires de la Faculté de Droit - Univ. d’Auvergne, coll. des Thèses, vol. 6, 1999, pp 60-121 et pp. 220-222.

448 V. infra n° 560 et s.

449 CE, Rapport public relatif à l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2016, 2017, p. 316.

Si l’arrêté municipal d’octroi de la concession funéraire a pu être considéré, par certains arrêts, comme une décision individuelle créatrice de droits450, le rattachement de la concession funéraire à un contrat d’occupation du domaine public, lui-même reconnu comme un contrat administratif par la loi451, suffit à le qualifier comme tel452. La concession funéraire est alors rangée dans la catégorie de « contrat d’adhésion »453 dans lequel les engagements unilatéralement fixés par l’administration ont été acceptés et ne lient que les parties. Sa nature contractuelle l’exclut donc du champ d’application matériel de la décision implicite d’acceptation.

La même difficulté d’identification de la nature contractuelle se pose pour les contrats de conventionnement des services de radio et de télévision n’utilisant pas les fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Ils sont prévus à l’article 33-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. En réalité, ces conventions sont fixées unilatéralement par l’autorité de régulation. Elles « n’ont que l’apparence de contrats. Il s’agit en réalité d’autorisations délivrées par le CSA, assorties de conditions élaborées en concertation avec le radiodiffuseur »454. Pourtant, les conventions comprennent aussi bien des stipulations préétablies que des stipulations contractuelles455. Adoptant une logique finaliste, le Conseil d’État a opté pour la qualification d’acte unilatéral,

450 CAA Bordeaux, 2 mars 2010, Rol c/ Cne Brive-la-Gaillarde, req. n° 08BX02222 ; CAA Bordeaux, 6 janv. 2009, req. n° 07BX02269 ; CAA Douai, 4 oct. 2007, n° 07DA00516 ; CAA Marseille, 31 déc. 2003, req. n° 00MA00517.

451 Décret-loi du 17 juin 1938 ; art. L. 2331-1 du CGPPP.

452 CE, Ass., 21 oct. 1955, Méline, req. n° 11434, Rec. p. 491 ; concl. D. LABETOULLE sur TC, 4 juil. 1983,

M. François c/ Cne de Lusigny, req. n° 02294, JCP G, n° 2, 1985, II.20331. Pour une approche plus large de la distinction entre l’acte unilatéral et le contrat comme titre d’occupation du domaine public : J.-M. AUBY et alii., Droit administratif des biens, Dalloz, coll. « Précis », 7e éd., 2016, n° 162 ; A. MAMONTOFF, « Le rapprochement des régimes d’autorisation et du contrat d’occupation du domaine public » in Mélanges Guibal, Univ. Montpellier, 2006, vol. 1, pp. 517-544.

453 R. CHAPUS, Droit administratif général, T. 1, Montchrestien, coll. « Domat. Droit public », 15e éd., 2001, n° 656. Le caractère inégalitaire du contrat d’adhésion ne constitue pas un argument suffisant pour le qualifier de décision unilatérale : A. de LAUBADÈRE, F. MODERNE, P. DELVOLVÉ, Traité des contrats administratifs, op. cit., n° 45.

454 D. CHAUVAUX, concl. sur CE, 25 nov. 1998, Compagnie luxembourgeoise de Télédiffusion, req. n° 172407, Rec. p. 443, AJDA, n° 1, 1999, p. 55 : un recours pour excès de pouvoir est recevable contre une mesure d’exécution de la convention d’un service de télévision distribué par câble, telle que prévue à l’article 34- 1 de la loi du 30 septembre 1986 ; CE, 4 juin 1997, Société Métropole télévision, req. no 175767, Rec. p. 239 et CE, Ass., 8 avr. 1998, Société SERC Fun Radio, req. no 161411 Rec. p. 138 avec concl. S. Hubac : un recours pour excès de pouvoir est recevable contre le refus du Conseil supérieur de l’audiovisuel de modifier la convention prévue à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986. À la différence des « conventions » des articles 33-1 et 34-1, la convention de l’article 28 est annexée à une autorisation délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel.

permettant ainsi la recevabilité du recours pour excès de pouvoir456. Toutefois, les conventions relèvent davantage du domaine contractuel.

152. Par ailleurs, parmi les demandes que peuvent formuler les administrés, il convient

d’écarter du champ d’application du principe du « silence vaut accord » l’ensemble des demandes des cocontractants de l’administration, ainsi que celles tendant à la conclusion de contrats avec l’administration457. Dans son rapport de 2014, le Conseil d’État fait la distinction entre, d’une part, les relations précontractuelles telles que les demandes de conclusion d’un contrat, lesquelles entreraient dans le champ d’application de la loi du 12 avril 2000, puis du code des relations entre le public et l’administration et, d’autre part, les relations contractuelles qui en seraient exclues458. Le statut d’administré s’effacerait au profit de celui de prestataires de l’administration. L’exclusion de l’administré, lorsqu’il est un prestataire de l’administration, peut être mise en perspective avec celle des agents publics et assimilés : seule importe, dans l’application du principe du « silence vaut accord », que le demandeur soit placé dans la position d’administré459. Ainsi, pour le co-contractant, à défaut de texte en ce sens460, aucune signification n’est attribuée au silence de l’administration co- contractante, sauf si le juge administratif s’appuie sur la règle supplétive et prétorienne du « silence vaut rejet » au nom du droit au recours461. À l’inverse, s’agissant des demandes à la conclusion d’un contrat, le demandeur intervient comme administré. Ces demandes relèvent alors du champ d’application de la décision implicite de rejet, en tant que demandes à caractère contractuel. Afin d’éviter une sous-distinction source de complications, il pourrait être plus judicieux d’admettre, conformément à une logique de blocs de compétence, que toute demande d’un administré co-contractant ou pré-co-contractant donne lieu à une décision

456 Ibid, p. 143 ; D. CHAUVAUX, concl. préc., p. 56 ; V. égal. L. SEUROT, L’autorisation administrative, op.

cit., n° 312.

457 CE, « L’application du nouveau principe “silence de l’administration vaut acceptation” », op. cit., p. 31 ; MINISTÈRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES, Consultation publique sur les projets de décret pris pour l’application de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration : synthèse des observations de la consultation publique, mise en ligne le 23 octobre 2014, op. cit.

458 CE, « L’application du nouveau principe “silence de l’administration vaut acceptation” », op. cit., pp. 31 et 48.

459 Circulaire n° RDFF1501796C du 12 mars 2015, relative à l’application des exceptions au principe « silence vaut acceptation » dans les relations entre les agents et les autorités administratives de l’État.

460 Le contrat administratif renvoie, pour l’essentiel, aux cahiers des clauses administratives générales et techniques.

implicite de rejet. En revanche, rien n’empêche de prévoir une signification différente au silence de l’administration dans le contenu du contrat.

Le champ d’application matériel de la décision implicite d’acceptation suppose que la demande de l’administré tende à l’adoption d’une décision à caractère unilatéral, mais aussi qu’elle soit individuelle, écartant les décisions réglementaires et les décisions d’espèce.

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