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CONCLUSION DU TITRE

TITRE 2. LES PROCÉDURES EXCLUES

187. L’une des principales critiques adressées au mécanisme de la décision implicite

d’acceptation, tel qu’il résulte de la réforme du 12 novembre 2013, porte sur le nombre de procédures exclues de son champ d’application. Il est en effet permis de douter de la véritable qualité de « principe » d’une règle dont les nombreuses exceptions côtoient les multiples dérogations.

188. Il s’agit d’abord de distinguer la dérogation de l’exception. À l’occasion du rapport

d’information portant vade-mecum juridique de la réforme580, le Conseil d’État rappelle que « le texte qui définit un régime de droit commun peut prévoir, en lui-même, un certain nombre d’exceptions à la règle générale qu’il fixe, lesquelles sont regardées comme composantes du régime de droit commun ; par ailleurs d’autres textes (lois spéciales, textes réglementaires) peuvent instituer des dérogations à cette règle générale. Ainsi, la loi du 12 avril 2000, modifiée par celle du 12 novembre 2013, définit le régime de droit commun applicable au silence gardé par l’administration – principe “silence valant acceptation” et exceptions à ce principe, y compris celles définies dans le cadre des textes réglementaires d’application. Des lois spéciales peuvent, indépendamment, déroger au droit commun en prévoyant des procédures dans lesquelles le silence gardé par l’administration vaut rejet »581. Ainsi, la dérogation désignerait la disposition spéciale, législative ou réglementaire, qui confère au silence de l’administration une signification différente de celle prévue par le Code. Outre les dispositions spéciales dérogatoires, le régime général admettrait six catégories d’exceptions582.

Cependant, la distinction proposée par le Conseil d’État présente plusieurs limites. D’une part, elle ne correspond pas à celle mise en place par le législateur, puisque celui-ci emploie

580 CE, « L’application du nouveau principe « silence de l’administration vaut acceptation » », La doc. fr., 2014, p. 7.

581 Idem, p. 21, note de bas de page n° 20.

582 Les quatre exceptions législatives (art. L. 231-4-1° à 3° et 5° du CRPA), l’exception de droit (art. L. 231-4- 4° du CRPA) et la dérogation réglementaire (art. L. 231-5 du CRPA).

le terme de « dérogation » pour désigner toutes les exceptions au régime général de la décision implicite d’acceptation583. D’autre part, après avoir précisé qu’il fallait « bien distinguer, en droit, la nature des exceptions de celle des dérogations », le Conseil d’État s’affranchit lui- même, par la suite, de la distinction préalablement proposée584.

Le professeur Leurquin-de Visscher qualifie l’exception de « pouvoir de déroger d’initiative »585 et la dérogation de « pouvoir de déroger sur habilitation »586. Exception et dérogation se distinguent alors au regard d’un critère organique, à savoir l’autorité compétente pour prendre la norme. L’exception peut être mise en œuvre par l’autorité qui édicte la règle valant principe ou par une autorité supérieure. En revanche, la dérogation est instituée par des autorités subordonnées spécialement habilitées, d’autant plus que ces dernières ne peuvent déroger au principe que dans les conditions fixées par l’habilitation. De même, pour le professeur Rouyère, l’exception n’est qu’une « composante de la norme initiale », tandis que la dérogation repose sur une délégation de compétence587. Il existe ainsi deux manières de ne pas appliquer la règle générale : « prévoir des exceptions ou accorder des dérogations »588. Les exceptions sont partie intégrante du régime d’ensemble du principe, alors que les dérogations sont expressément accordées par habilitation589.

583 « Par dérogation à l’article L. 231-1 [principe du silence vaut accord], le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet : [énumération des exceptions] » : art. L. 231-4 du CRPA.

584 Selon le Conseil d’État, dès qu’une norme confère au silence administratif une signification différente de celle prévue par le régime général, elle est considérée comme dérogatoire. La loi spéciale dérogerait donc au principe du « silence vaut accord » ou aux exceptions prévues par le régime général. Pourtant, le rapport emploie parfois dans un sens contraire les termes de dérogation ou d’exception. Par exemple, le rapport précise que « seul le législateur […] pourra donc décider de faire exception au principe “silence vaut refus” qui s’applique en principe aux demandes présentant un caractère financier » (p. 41). Or, il devrait s’agir, selon la définition proposée par le Conseil d’État, d’une disposition législative spéciale dérogatoire. De même, les « exceptions au délai de droit commun » (pp. 21-22) prévues par le régime général de la décision implicite sont par la suite qualifiées de dérogatoires quelques pages suivantes (pp. 39 et 82), in CE, "L’application du nouveau principe « silence de l’administration vaut acceptation »", op. cit.

585 F. LEURQUIN-DE VISSCHER, La dérogation en droit public, Bruxelles, Bruylant, coll. « Centre d’études constitutionnelles et administratives », 1991, pp. 105-159.

586 Ibid., pp. 160-282.

587 A. ROUYÈRE, Recherche sur la dérogation en droit public, Th. dactyl., Univ. Bordeaux I, 1993, pp. 69-74. V. égal. É. UNTERMAIER, Les règles générales en droit public français, op. cit., n° 1217-1223 ; C. GUEYDAN, L’exception en droit public, Th. dactyl., Univ. Aix-Marseille, 2017, spéc. n° 63-64.

588 G. LIET-VEAUX, « Réflexions sur les exceptions et les dérogations », RDI, n° 1, 1995, pp. 1-6.

589 À titre d’illustration, le Conseil constitutionnel, dans sa décision Conseil de la concurrence du 23 janvier 1987, a consacré le principe fondamental reconnu par les lois de la République (P.F.R.L.R.) de la compétence de la juridiction administrative, en dernier ressort, en matière d’« annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif,

La qualification des exclusions au principe du « silence vaut accord » varie suivant la définition retenue des notions d’exception et de dérogation. La distinction du Conseil d’État rejoint celle des professeurs Leurquin-de Visscher et Rouyère, s’agissant des exceptions législatives prévues à l’article L. 231-4 du Code. En revanche, les articles L. 231-5 et L. 231- 6 du Code instaurent, selon le Conseil d’État, des « exceptions » réglementaires, tandis qu’il s’agit, pour ces auteurs, de « dérogations » réglementaires. De même, les dispositions spéciales « dérogent », selon le Conseil d’État, mais elles constituent des exceptions pour ladite doctrine590.

Dans le cadre de cette étude, le terme « dérogation » désigne seulement les deux cas d’habilitation législative prévus par le régime général. Le pouvoir réglementaire peut ainsi conférer, sous certaines conditions, une signification négative au silence de l’administration591. Il peut également soumettre la naissance d’une décision implicite, de rejet ou d’acceptation, à un délai différent de celui de droit commun de deux mois592. Hormis ces deux habilitations expresses, l’ensemble des dispositions prévoyant une règle différente à la signification du silence ou au délai de droit commun de la décision implicite constituent des « exceptions », qu’elles soient prévues par le régime général ou issues de dispositions spéciales et indépendantes.

189. Les définitions de l’exception et de la dérogation adoptées pour l’étude soulignent la

spécificité du mécanisme dérogatoire par rapport aux exceptions. En effet, en habilitant le

leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle » (cons. n° 15). Une double précision a été apportée par le juge constitutionnel. La première rappelle que la compétence de l’autorité judiciaire est préservée pour les matières qui lui sont réservées « par nature ». La seconde prévoit la possibilité pour le législateur de déroger au principe, sur habilitation constitutionnelle, au nom « d’une bonne administration de la justice [et pour] unifier les règles de compétence juridictionnelle au sein de l’ordre juridictionnel principalement intéressé » (cons. n° 16). Il y a donc la consécration d’un principe (le P.F.R.L.R), mais aussi celle d’une exception (la compétence dévolue constitutionnellement au juge judiciaire) et d’une dérogation (habilitation au législateur de déroger aux compétences constitutionnelles entre les deux ordres de juridiction au nom de la bonne administration de la justice) : Cons. const., n° 86-224 DC, 23 janv. 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, JORF, 25 janv. 1987, p. 924, Rec. p. 8

590 En effet, les dispositions spéciales sont bien prévues par la loi générale dès lors que l’alinéa premier du premier article du CRPA dispose que « le présent code régit les relations entre le public et l’administration en l’absence de dispositions spéciales applicables ».

591 Art. L. 231-5 du CRPA : « eu égard à l’objet de certaines décisions ou pour des motifs de bonne administration, l’application de l’article L. 231-1 peut être écartée par décret en Conseil d’État et en conseil des ministres ».

592 Art. L. 231-6 du CRPA : « lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie, un délai différent de ceux prévus aux articles L. 231-1 et L. 231-4 peut être fixé par décret en Conseil d’État ».

pouvoir réglementaire national à déroger au principe du « silence vaut accord », le législateur lui a octroyé une importante latitude pour réduire le champ d’application de la décision implicite d’acceptation. Il en est autrement dans le cadre des exceptions, pour lesquelles le pouvoir réglementaire est lié.

Par ailleurs, l’expression « dérogation réglementaire » est préférée à celle d’« exceptions laissées à l’appréciation du Gouvernement » employée dans le rapport d’information du Conseil d’État de 2014593. L’habilitation législative de déroger au principe du « silence vaut accord » ne peut s’effectuer que par la voie du décret pris en Conseil d’État et en conseil des ministres, c’est donc le Président de la République qui est formellement l’auteur de chaque décret594, même si celui-ci est contresigné par le Premier ministre, prenant la responsabilité de l’acte, et, le cas échéant, les ministres intéressés595. L’expression « dérogation réglementaire » évite toute ambiguïté en écartant une compétence juridique exclusive du Gouvernement596.

190. L’absence de définition des critères et de la méthode employée par le Gouvernement

pour déterminer les exclusions au principe du sens du Code rend l’analyse critique de leur bien-fondé assez délicate597. Aussi est-il apparu nécessaire de préalablement reconstruire la méthode gouvernementale. Il s’agit ici d’identifier les motifs justifiant le classement d’une procédure comme exception de droit ou dérogation réglementaire au principe du « silence vaut accord » pour, ensuite, éprouver la pertinence du classement effectivement réalisé par le Gouvernement (CHAPITRE 1.).

593 CE, « L’application du nouveau principe “silence de l’administration vaut acceptation” », op. cit., pp. 74 et s. 594 CE, Ass., 10 sept. 1992, Meyet, req. n° 140376, Rec. p. 327 avec concl. D. Kessler.

595 Art. 19 de la Constitution.

596 Même si, dans les faits, ce sont les services du Premier ministre, avec le secrétariat général du Gouvernement et les services ministériels, qui ont élaboré ces décrets dérogatoires. Si la formule « dérogation réglementaire » est préférée à celle d’« exception à la discrétion du Gouvernement », l’auteur de ces décrets peut être désigné comme le « pouvoir réglementaire national », « le pouvoir réglementaire » ou le « Gouvernement ».

597 L’ensemble des procédures listées dans chaque décret ont été compilées dans des listes : la liste des exceptions de droit, qualifiée de liste Légifrance « exceptions de droit », et la liste des dérogations réglementaires, qualifiée de liste Légifrance « dérogations réglementaires ». Pour désigner les deux listes réunies, l’étude emploie l’expression « liste Légifrance “silence vaut rejet” ». Ce raccourci ne doit pas tromper : si certains décrets sont mentionnés dans un onglet dédié à la réforme de 2013 sur Légifrance, il n’existe pas officiellement de liste Légifrance « silence vaut rejet », compilant l’ensemble des exclusions au principe. Une telle liste a été élaborée dans le cadre de cette recherche.

191. Par ailleurs, et contrairement à ce que l’on pourrait logiquement déduire du

recensement effectué par décret, ces deux catégories d’exclusions ne couvrent pas l’intégralité des hypothèses dans lesquelles le silence administratif donne lieu au rejet de la demande. Les exclusions prévues par le régime général sont complétées par des exceptions au régime général. Indifférentes à l’interprétation du silence administratif livrée par le régime général, les dispositions spéciales et indépendantes ne sont pas nécessairement discordantes (CHAPITRE 2.).

CHAPITRE 1. LES EXCLUSIONS PRÉVUES

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