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A./ La consécration de la protection de la sécurité nationale

238. La loi du 12 novembre 2013 a créé la protection de la sécurité nationale comme

nouvelle catégorie d’exceptions de droit qui a été rajoutée par la loi du 12 novembre 2013718. Selon le recensement réalisé par le pouvoir réglementaire, elle s’appliquerait à cinquante-et- une procédures719. En raison du caractère peu juridique de la notion de « sécurité nationale », il est difficile de classer avec certitude certaines procédures dans cette catégorie. En effet, la notion bénéficie, avant tout, d’une définition fonctionnelle reposant sur le concept de stratégie720. L’article L. 1111-1 du code de la défense précise que « la stratégie de sécurité nationale a pour objet d’identifier l’ensemble des menaces et des risques susceptibles d’affecter la vie de la Nation, notamment en ce qui concerne la protection de la population, l’intégrité du territoire et la permanence des institutions de la République, et de déterminer les réponses que les pouvoirs publics doivent y apporter »721. La politique de la défense « avec la diplomatie, le renseignement, l’économie et la santé publique est une des activités parmi d’autres qui permet d’assurer la sécurité nationale »722. Une approche large de la notion permet de ne pas limiter la sécurité nationale aux activités militaires.

Le rapport d’information du Conseil d’État de 2014 énumère trois sortes de procédures susceptibles d’être rattachées à cette catégorie d’exceptions de droit723 : les demandes affectant le secret de la défense nationale, celles pouvant perturber l’intégrité et le caractère opérationnel des installations de défense et, enfin, celles portant sur les opérations matérielles de défense724.

718 L’exception de droit a été proposée, à la demande du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, par un amendement gouvernemental : ASSEMBLÉE NATIONALE, Compte rendu intégral des débats, Séance du 17 octobre 2013, p. 9750.

719 Annexe n° 3-1 : Catégorisation des exceptions de droit.

720 B. WARUSFEL, « Le contentieux de la sécurité nationale » in B. WARUSFEL et F. BAUDE (coord.),

Annuaire 2018 du droit de la sécurité́ et de la défense, Mare & Martin, coll. « Droit de sécurité et de la défense », 2018, p. 204.

721 Article modifié par la loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense, JORF, 31 juil. 2009, p. 12713. 722 J.-C. VIDELIN, Droit de la défense nationale, Bruxelles, Bruylant, 2e éd., 2014, p. 30.

723 CE, « L’application du nouveau principe “silence de l’administration vaut acceptation” », op. cit., p. 68. 724 Ibid. : « Il en va ainsi des autorisations relatives à la détention, la fabrication, la vente, l’importation, l’exportation et le transfert de matériels de guerre et assimilés, de matières nucléaires destinées aux besoins de la défense, de certaines substances chimiques ou biologiques et de produits explosifs »

La quasi-exclusivité des demandes725 relève donc du domaine de la défense nationale dans son volet militaire726. Toutefois, la protection de la sécurité nationale s’avère plus large que la défense nationale qu’elle englobe. Il convient alors de s’interroger sur les contours de la protection de la sécurité nationale en dehors des activités militaires. Pour ce second volet, le Conseil d’État considère qu’il faut y intégrer « la protection du potentiel scientifique et économique du pays ainsi que la préservation de son environnement et de son patrimoine culturel »727. Cela semble renvoyer à la notion juridique de sûreté de l’État remplacée, en 1992, par celle des intérêts fondamentaux de la nation, définie à l’article L. 410-1 du code pénal728 et qui est également employé pour définir la politique publique du renseignement729. Il est intéressant de constater que la définition de la protection de la sécurité nationale proposée par le Conseil d’État correspond totalement à la traduction pénale des « intérêts fondamentaux de la nation ». Par ailleurs, la valeur constitutionnelle de la notion a été consacrée dans la Charte de l’environnement et reprise par le Conseil Constitutionnel730. Elle est enfin reconnue par la Convention européenne des droits de l’homme731 et le droit de l’Union européenne732.

239. Parmi les exceptions de droit tenant aux intérêts fondamentaux de la nation,

l’ensemble des demandes d’autorisation en lien avec les appareils permettant de porter

725 Les quarante-sept autorisations sont recensées par les décrets n° 2014-1266, n° 2014-1273, n° 2014-1276, n° 2014-1285 du 23 et 30 octobre 2014 relatifs aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation » sur le fondement du 4° du I de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000.

726 Deux procédures peuvent être ajoutées : l’« agrément des dispositifs de sécurité́ destinés à protéger les systèmes d’information traitant d’informations classifiées » (art. R. 2311-6- 1 du code de la défense) et la « demande d’exemptions au règlement n° 1907/2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) lorsque cela s’avère nécessaire aux intérêts de la défense » (art. R. 521-1 du code de l’environnement).

727 CE, « L’application du nouveau principe “silence de l’administration vaut acceptation” », op. cit., p. 68. 728 Art. L. 410-1 du code pénal : « Les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».

729 Art. L. 811-1 du CSI, créé par la loi n° n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement : « la politique publique de renseignement concourt à la stratégie de sécurité nationale ainsi qu’à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Elle relève de la compétence exclusive de l’État ».

730 Cons. const., n° 2011-192 QPC, 10 nov. 2011, Mme Ekaterina B, JORF, 11 nov. 2011, p. 19005, texte n° 76, Rec. p. 528, cons. n° 20 ; Cons. const., n° 2015-713 DC, 23 juil. 2015, Loi relative au renseignement, JORF, n° 0171, 26 juil. 2015, p. 12751, texte n° 4, cons. n° 82 et 86.

731 Art. 8 § 2, 10 § 2 et 11 § 2 de la Conv. EDH.

atteinte à la vie privée en interceptant les correspondances d’une personne, en enregistrant ses conversations ou son image ou en captant ses données informatiques733 peuvent être citées. Toutefois, le « flou » de la notion ne doit pas aboutir à une conception extensive de la protection de la sécurité nationale comme fondement de l’exception de droit au mécanisme de la décision implicite d’acceptation. Pour reprendre l’échelle d’intensité de contrôle de l’administration, la protection de la sécurité nationale, hors défense, ne justifie la consécration d’une exception de droit que dans les cas exceptionnels où la demande constitue une menace imminente contre une exigence constitutionnelle. Si la menace constitutionnelle n’est pas caractérisée, l’exception de droit sur ce fondement doit être écartée.

240. À cet égard, le décret n° 2014-1282 du 23 octobre 2014 classe comme exceptions de

droit les « autorisations données par le ministre chargé de l’économie en application des décrets pris pour la défense des intérêts nationaux ». Ces autorisations, fondées sur l’article L. 151-2 du code monétaire et financier, se rattachent au contrôle des investissements étrangers dans des secteurs stratégiques ou « sensibles ». Sont notamment concernées les activités de jeux d’argent, de sécurité privée, de sécurité des systèmes d’information, de cryptologie, les activités de recherche, production et commercialisation d’armes, munitions, poudres ou substances explosives, les activités portant sur la sécurité et la continuité de l’approvisionnement ou exploitation des réseaux énergétiques, de transports, de communications électroniques ou encore de protection de la santé publique734. Le silence du ministre de l’Économie à la demande d’autorisation d’investissement étranger dans ces secteurs fait l’objet d’une décision implicite de rejet en tant qu’exception de droit. Pourtant, l’article L. 153-8 du code monétaire et financier prévoit toujours un silence positif et aucune mise à jour de l’interprétation du sens du silence administratif n’a été effectuée par le décret du 10 mai 2017735 « simplifiant » de nombreux éléments du mécanisme déclaratif et

733 Ces autorisations sont citées par le décret n° 2014-1266 du 23 octobre 2014, op. cit.

734 Art. L. 151-3, R. 153-2 et R. 153-5 du code monétaire et financier. Cette liste, a priori limitative, répond à la critique de la Cour de justice selon laquelle l’article 65 du TFUE « doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas un régime d’autorisation préalable pour les investissements directs étrangers qui se limite à définir de façon générale les investissements concernés comme des investissements de nature à mettre en cause l’ordre public et la sécurité publique, de sorte que les intéressés ne sont pas en mesure de connaître les circonstances spécifiques dans lesquelles une autorisation préalable est nécessaire » (CJCE, 14 mars 2000, Ass. Église scientologique de Paris, C-54/99).

735 Décret n° 2017-932 du 10 mai 2017 portant diverses mesures de simplification pour les entreprises, JORF, n° 0110, 11 mai 2017, texte n° 4.

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