• Aucun résultat trouvé

B./ La catégorisation technique des exceptions de droit

198. Lors de la mise en œuvre de la réforme du principe du « silence de l’administration

vaut accord », le Gouvernement a recensé plus de 700 procédures correspondant à des « exceptions de droit ». Il s’agit seulement d’un inventaire : le fondement de l’exception n’est jamais précisé. Sans prétendre à une analyse au cas par cas de chacune des procédures classées comme exceptions de droit, il est toutefois possible d’identifier trois catégories. Les procédures ciblées par le Gouvernement peuvent ainsi être rattachées à la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle, à la sauvegarde de l’ordre public et la protection de la sécurité nationale ou au respect des engagements internationaux et européens de la France.

199. La méthode d’identification de l’exception de droit s’appuie sur trois principales

sources : le rapport d’information du Conseil d’État de 2014603, les rapports annuels de l’activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives de ces dernières années et les documents de travail comprenant les motivations internes des ministères lors des arbitrages interministériels pour la mise en œuvre de la réforme604.

Dans ce cadre, il est proposé d’opter pour une interprétation restrictive de l’ordre public, c’est- à-dire selon son volet libéral, de simple protection. Cela permet de mieux distinguer la défense de la santé publique, de l’environnement ou la protection des conditions de travail. Ces dernières se rattachent davantage à la construction d’« un ordre plus solidaire, contribuant, notamment, à la réalisation des droits-créances proclamés par le Préambule de la Constitution

603 CE, « L’application du nouveau principe “silence vaut acceptation” », op. cit., pp. 74-81.

604 Les documents internes ne sont pas publics. Ils ont été communiqués par le secrétariat général du Gouvernement à la suite de recours administratifs et contentieux.

de 1946 et, plus récemment, par la Charte de l’environnement »605. Ce choix de circonscrire l’ordre public dans sa fonction de protection correspond à une recherche de catégorisation « technique »606 en vue de s’interroger sur le bien-fondé du classement opéré par le Gouvernement.

Cette tentative de catégorisation comporte, à certains égards, une dimension quelque peu artificielle : de nombreuses procédures sont susceptibles d’être rattachées à plusieurs fondements607. Si le choix d’inclure une procédure dans l’une des catégories présente une part indéniable d’arbitraire, ce qui importe est que l’autorisation soit la garantie nécessaire d’une ou plusieurs exigences constitutionnelles ou conventionnelles. Toutefois, pour faciliter l’analyse, certaines procédures recensées par décret comme exceptions de droit ont été classées en sous-catégories608 telles que l’environnement, la santé publique, le droit du travail, le domaine public. De même, la sauvegarde de l’ordre public comprend des sous-catégories telles que la protection contre les produits dangereux609 ou la sécurité de la circulation.

200. Une exclusion présente dans d’autres ordres juridiques. Les sous-catégories

élaborées correspondent aux motifs d’exception à la décision implicite d’acceptation admis en droit de l’Union européenne. Ils sont ainsi repris dans d’autres États européens.

605 J. PETIT, « La police administrative » in P. GONOD, F. MELLERAY et Ph. YOLKA (dir.), Traité de droit

administratif, Dalloz, 2011, T. 2, pp. 16 et 26.

606 Il s’agit du raisonnement du professeur Seurot : L. SEUROT, L’autorisation administrative, op. cit., n° 398 et s. V. not. É. PICARD, La notion de police administrative, LGDJ, coll. « BDP », T. 146, 1984.

607 Dans sa thèse consacrée à l’autorisation administrative, le professeur Seurot adopte une démarche similaire. Il propose de classer les autorisations en trois catégories. Toutefois, la frontière entre celles-ci n’est pas toujours tranchée du fait du changement de nature de certaines autorisations dans le temps, de la pluralité d’autorisations au sein d’un même régime d’autorisation ou du fait de cumul de buts de l’autorisation. Si le constat d’une délimitation incertaine de la frontière entre les autorisations présente des similitudes avec l’étude, la réponse à ce constat est distincte. Le professeur Seurot propose une typologie des autorisations administratives exclusive entre elles tandis que pour l’étude de l’exception de droit, la procédure peut être exclue sur plusieurs fondements. V. L. SEUROT, L’autorisation administrative, op. cit., n° 45.

607 Ibid., n° 447. Le professeur Seurot cite les cas des établissements médicaux et médico-sociaux et les licences de taxi qui doivent remplir des conditions relatives à la sécurité des patients pour l’un et à la sécurité routière pour l’autre.

608 Annexe n° 5 : Catégorisation des exceptions de droit et dérogations réglementaires.

609 Les autorisations relatives aux armes, explosifs, produits à substances chimiques ou à matière nucléaire sont désignées ainsi.

201. La directive « Services » du 12 décembre 2006610 prévoit un certain nombre d’exceptions au mécanisme de l’autorisation implicite. En effet, cette directive a pour objectif de renforcer le principe de libre accès aux activités de services et de liberté d’établissement sur le marché intérieur. À ce titre, elle impose aux États membres, d’une part, de réduire le nombre d’autorisations administratives préalables à l’accès aux activités de services611 et, d’autre part, de mettre en place le mécanisme du silence positif de l’administration pour l’octroi de ces autorisations612. La détermination du bien-fondé d’une autorisation se fait en deux temps. Tout d’abord, l’État membre doit s’interroger sur la nécessité du maintien de l’exigence d’une autorisation, en lieu et place d’une déclaration préalable. Ensuite, à titre subsidiaire, il doit se demander si l’attribution d’une signification négative au silence de l’administration, au regard de la nature de l’autorisation, est bien nécessaire. Dans les deux cas, la nécessité est appréciée sur le fondement des « raisons impérieuses d’intérêt général » que l’article 4 point 8 de la directive définit comme « des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes : l’ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la préservation de l’équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des consommateurs, des destinataires de services et des travailleurs, la loyauté des transactions commerciales, la lutte contre la fraude, la protection de l’environnement et de l’environnement urbain, la santé des animaux, la propriété intellectuelle, la conservation du patrimoine national historique et artistique, des objectifs de politique sociale et des objectifs de politique culturelle ».

202. Des exceptions identiques peuvent être observées en Espagne et en Italie. En Espagne,

la décision implicite d’acceptation est, depuis 1992, le principe général pour l’ensemble des

610 Directive n° 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, JOUE, 27 déc. 2016, L. 376/36.

611 L’article 9 § 1 de la directive prévoit que : « [l]es États membres ne peuvent subordonner l’accès à une activité de service et son exercice à un régime d’autorisation que si les conditions suivantes sont réunies : a) le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ; b) la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ; c) l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle ».

612 L’article 13 §4 de la directive prévoit qu’« en l’absence de réponse dans le délai prévu, éventuellement prolongé […] l’autorisation est considérée comme octroyée. Toutefois, un régime différent peut être prévu lorsque cela est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général, y compris l’intérêt légitime d’une tierce partie ».

administrations publiques613. Pourtant, de nombreux cas d’exceptions au principe ont récemment été mis en place614. Ainsi, le silence négatif s’applique si une norme législative, une norme internationale ou du droit de l’Union le prévoit expressément. Le silence de l’administration vaut également rejet s’agissant des demandes qui auraient pour conséquence de transférer au requérant, ou à des tiers, des prérogatives relatives au domaine public ou au service public, ainsi qu’aux demandes qui endommageraient l’environnement. De la même façon, la décision implicite d’acceptation a été consacrée comme la règle générale de la procédure administrative en Italie par un décret-loi de 2005615. Toutefois, l’article 20 alinéa 4 de la loi générale de la procédure administrative du 7 août 1990 prévoit que le silence positif ne s’applique pas aux demandes des administrés en matière de patrimoine culturel et paysager, d’environnement, de défense nationale et de sécurité publique, d’immigration, d’asile et citoyenneté et de santé publique. Il en est de même quand le droit de l’Union européenne impose un acte administratif express.

203. Il en ressort qu’un certain nombre d’exceptions au principe de la décision implicite

d’acceptation sont similaires. Toutes ces exceptions témoignent de la volonté de ménager le mécanisme de la décision implicite d’acceptation avec l’intérêt général et le respect des droits et libertés individuels. Plus l’autorisation demandée a un impact sur un intérêt supérieur de l’État ou l’individu protégé par une norme supra-législative, plus le contrôle que l’administration exerce sur son octroi est poussé. En effet, l’octroi implicite ne garantit pas l’instruction effective de la demande et peut porter atteinte à une exigence constitutionnelle ou conventionnelle.

204. Sur les 740 procédures classées comme exception de droit par le pouvoir

réglementaire, il a été procédé au classement suivant : 41 % procédures relèveraient de la

613 Article 24 de la loi n° 39/2015, du 1er octobre 2015, del Procedimiento Administrativo Común de

las Administraciones Públicas (LPAC), BOE, 2 oct. 2015, n° 236, pp. 89343-89410. Cet article remplace à compter du 2 octobre 2016 l’article 43 de la loi n° 30/1992, du 26 novembre 1992, de régimen Jurídico de las Administraciones Públicas y del Procedimiento Administrativo Común (LRJAPC), BOE, n° 285, 27 nov. 1992, pp. 40300-40319.

614 Article 24 § 1 de la loi n° 39/2015 du 1er octobre 2015, op. cit.

615 Art. 3 du décret-loi n° 35 du 14 mars 2005, disposizioni urgenti nell’ambito del Piano di azione per lo

sviluppo economico, sociale e territoriale, GU Serie Generale, n° 62, 16 mars 2005, ratifié par la loi n° 80 du 14 mai 2005, GU, n° 111 du 14 mai 2005. Ce décret-loi modifie l’article 20 de la loi n° 241 du 7 août 1990 dite loi générale sur la procédure administrative : Nuove norme in materia di procedimento amministrativo e di diritto di accesso ai documenti amministrativi, GU n° 192, 18 août 1990.

protection des libertés et principes constitutionnels, 36 % de la sauvegarde de l’ordre public, 7 % de la protection de la sécurité nationale et 7 % du respect du droit international et du droit de l’Union616. La grande imprécision des contours de chacune de ces exceptions se dégage de leur étude successive ; elle confère une marge de manœuvre conséquente au pouvoir réglementaire pour déterminer les procédures correspondant à l’une de ces catégories.

Outline

Documents relatifs