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Ironie et polyphonie

I.5. L’ironie, points de rencontre, points d’opposition entre Khadra et Camus Camus

I.5.2. Le sourire philosophique

L’ironie s’étale au fil du corpus par l’auteur Camus qui se moque et rit de tant de penseurs et philosophes, Voltaire, Starobinski, Nietzsche… et de chefs d’œuvre tels Le châteaux de Kafka, Les possédés de Dostoïevski, La nausée de Sartre, Don

Juan de Molière …Visant une critique littéraire et philosophique acerbe, Camus a

recours à l’ironie philosophique. Dans ce cas, le rire de Camus n’est pas fortuit, le rire ici est celui que peut engendrer un réseau d’allusions discrètes et de métaphores qu’il faut décoder. Chez Camus, il y a des degrés du rire, le sourire de Camus en serait la quintessence. Dans les exemples pris, l’ironie est, pour lui, inclinée vers la mélancolie ; c’est dans ce mélange des deux sensations qu’elle trouve ses teintes troubles.

Une autre forme d’ironie philosophique est bien présente dans l’essai de Camus qui a, par sa définition, pour but de trouver des réponses aux problèmes existentiels que se pose tout un chacun. En fait, Le mythe de Sisyphe est perçu comme lieu de réponses alors qu’il n’est qu’un moment de questionnement. Nombreuses sont les interrogations qui, tout comme celles de Socrate, avaient toujours un tour moqueur sans en avoir l'air. De la même façon, nous retrouvons chez Khadra l'image de l'ironie agressive, voire méchante, au point de convergence de l'ironie des origines, celle socratique ou voltairienne et donc philosophique : Khadra, par le biais de ses personnages, procède le plus souvent par des interrogations exclamatives, et ses questions ne sont pas innocentes. C'est une forme de réfutation qui prend l'interlocuteur au piège de ses affirmations. Généralement, l’ironie provoque chez lui un sentiment d'embarras et de honte, voire d'agressivité et

d'hostilité. Elle souligne en outre un des points forts de l'argumentation sans informer l'ensemble du discours (voir la partie d’analyse).

En constatant que les ressemblances entre l’ironie camusienne et celle de Khadra sont évidentes, les deux auteurs se rapprochent encore une fois par l’emploi de l’ironie situationnelle, qui participe aussi de la justification du tragique.

I.5.3. L’ironie du sort

D’une part, la déception des personnages de Khadra, à cause du jeu du destin et du retournement de situation ; c’est bien le cas du personnage de Atiq Shauket et de Amine Jaâfari, deux victimes de leur ignorance, ils prononcent des paroles retournant contre eux ou contre ceux qui veulent défendre. L’ironie ici est présente à travers les pensées tristes des protagonistes qui ont perdu leurs bien-aimées, combinés aux pensées heureuses de ces dernières une fois elles ont eu une liberté conquise.

Également, chez Camus, on trouve plus sûrement l’ironie du sort dans son constat de l'écart irrémédiable qui sépare la misère humaine et la lumière du monde. Cependant, la situation de Camus est un peu différente, du fait que ses effets se traduisent d’une autre façon . Pour décrire la situation du malheureux Sisyphe, Camus a profusément recours à l’ironie du sort. Ruse, astucieux et tant passionné par sa vie, Sisyphe découvre qu'il se trouve en fait dans un rapport inverse, avec son destin qui est également le symbole de la condition de l’homme. Ce type d’ironie se voit aussi dans la situation des dieux qui croient tourmenter Sisyphe, alors que ce dernier décide de donner un sens à sa vie : Il faut imaginer Sisyphe heureux. Toute l’ironie de Camus consiste à affirmer la ruine du langage dans le moment même où il

A travers cette forme d’ironie, Camus a pu présenter des solutions qui contribuent à alléger les douleurs de l’humanité, pour lui, la clé du bonheur humain est entre les mains de son personnage Sisyphe, du fait qu’il essaie de débarrasser tout souci qui peut gêner autrui.

en fait usage, et à renverser le mythe, les situations, en leur donnant une signification contraire à celle qu’ils avaient à l’origine.

Un autre personnage du corpus dont le destin le rapproche à celui de Sisyphe et donc atteint de l’ironie situationnelle, Grand (La peste). Ce dernier ne réussit jamais à rouler d’autre rocher que la première phrase d’un roman toujours inachevé, ceci ne l'empêche pas de se remettre au travail de nouveau. Les perpétuels recommencements de son écriture le qualifient d’un avatar de Sisyphe. Et si le rocher qu'il roule est minuscule, cette obstination dérisoire n'en est pas moins émouvante : à sa manière aussi, elle témoigne de la grandeur de l’homme devant l’absurde. De fait, Camus approfondit cette pensée ironique dans sa chronique. A l’exception de Cottard, chacun des personnages de La peste la reproduit. On pourrait imaginer un roman où, au regard du fléau (politique ou métaphysique) qui accable les Oranais et leur monde le plus misérable et le plus malfamé, les événements quotidiens seraient devenus minuscules et dérisoires.

En somme, l’ironie situationnelle chez les deux auteurs ne relève pas du comique franc, elle ne provoque pas de rire spontané et, si elle est ressentie comme évidente dans bien des cas, ce n'est que de manière intuitive. Si Camus et Khadra y ont recours c’est bien pour un but commun, leur vocation de sauver la face, car ils se trouveraient confrontés au ridicule de la lapalissade.