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Ironie et polyphonie

I.5. L’ironie, points de rencontre, points d’opposition entre Khadra et Camus Camus

I.5.1. Le rire- mélancolique

Une première lecture de l’ironie fait état d'une similitude évidente et rassurante entre les œuvres de Khadra et celles de Camus. Son sujet privilégié qui fait rire-pleurer les deux auteurs est la religion. Cette dernière leur a constitués la pierre angulaire pour construire des œuvres ironiques, et le pont commun par lequel ils condamnent les comportements des personnages au sein des sociétés aveuglées par la fausse dévotion. Par le biais de l’ironie tragique - qui s’agit d’une transformation de la mélancolie en plaisanterie, c’est la où la face triste se dévoile, le plus souvent, sous la face comique de l’œuvre - ils vilipendent les dogmes et les doctrines religieuses dominantes à l’époque des faits relatés. La pratique religieuse leur apparaît comme un luxe difficilement conciliable avec les nécessités quotidiennes. À ce niveau, ce qui distingue Khadra de Camus c’est bien le fait que le premier à travers son moquerie dénonce, d’une façon assez subtile, le mal entendu et l’incompréhension de la doctrine musulmane, accentuée et exagérée par l’embrigadement du fanatisme ou même de la folie religieuse islamiste. C’est notamment pour dénoncer les masques des intégristes religieux, et de se protéger ainsi contre l'imposture toujours menaçante de leurs fausses apparences ; que Khadra s’est servi de l’ironie tragique. Aussi, dans le but suprême de dévoiler les plaies et le mal qui gangrène les sociétés, palestinienne et afghane, acceptant d’être déstabilisée, que Khadra a recours de cet exercice. Par le biais de la moquerie, qui n'est ni gratuite, ni dépourvue de risque, Khadra critique certaines questions politiques, l’une des plus sérieuses depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le dilemme palestinien . Sa visée est bel et bien d’alerter le lecteur et d’éveiller sa méfiance.

Pour ce qui est des questions politiques, il n’en est pas moins de Camus, sauf que ce dernier s’est attaqué au monstre du régime Nazi.

Le deuxième, Camus, se sert de l’ironie tragique afin de dénoncer complètement toute doctrine religieuse en prenant comme fondement et modèle le christianisme, tout en relevant des contradictions, des doutes et de l’injustice divine dans cette pensée ; notamment après le décès de l’enfant innocent. Camus ridiculise le texte biblique sacré dès le début du récit La peste, il crée un univers déstabilisé en montrant ironiquement que la religion n'est qu’une pure illusion. Par son personnage narrateur, le docteur Rieux, Camus montre qu’il ne fera jamais partie de la famille religieuse, sous prétexte que sa conscience tragique borne l'idée qu'il conçoit désormais de la liberté, du bonheur, de la vie... Ici, l’ironie apparaît comme naissant d’un écart : écart entre l’univers idéal désiré par l’esprit et la réalité à laquelle cet esprit se trouve confronter. Camus fait en fait ce contresens volontaire non pas pour tromper le récepteur mais afin que, tout comme le fait Khadra, le récepteur le déchiffre et le comprenne.

Un autre sujet de l’ironie est, très fortement lié au premier, la trivialité de la mort, mais encore l’amour dans des époques plein de doute, aussi, le suicide, la révolte, la liberté, le bonheur, la conscience, la vérité, l’espoir, la justification de l'existence, la vie en société ...bref, les grandes questions de la vie constituent notamment un sujet favorisé auquel Camus et Khadra se moquent et rient tristement ;un rire non pas du plaisir mais du malaise.

La dureté et la cruauté de la vie constituent un sujet d’ironie pour Khadra. D’une part, on rit de la banalité de la mort à cause du régime adopté, ses actes inhumains et leurs effets néfastes et dévastateurs sur les conditions de vie des musulmans. Khadra nous présente un jugement critique à l’encontre d’un monde fallacieux et frustrant. En feignant de croire que c’est une situation idéale, il dépeint froidement la société, afin de faire ressortir le scandale de cet état de chose. Chez khadra, le rire s’investit et prend de l’ampleur sur toute la trame romanesque, à savoir des personnages caricaturés et des situations douloureuses qui rappellent des pays souffreteux terrorisé par les massacres des intégristes. Yasmina Khadra réussit

à travers une langue parfois agressive par le biais du rire à démystifier les balises imposées par la mort1

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De manière semblable à Khadra, Camus esquisse un sourire triste, assombri par les rides verticales de son front, à cause des conditions dures de la vie. Par le rire, en produisant des images grotesques, Camus vise à décrire le tragique et le malaise du monde. D’après lui, la recherche du sens de l’existence et d’une cohérence dans le monde est bien souvent déçue par le chaos de la vie. Ainsi, la conscience tragique de la mort à cause de l’épidémie conditionne en fait la conscience du bonheur. Camus exprime la conversion du tragique vers le comique, afin de mieux dénoncer voire dépasser la misère de l’homme et la noirceur de la vie. Il tache à renoncer au tragique au profit du rire. D’ailleurs, il a cruellement discrédité ceux qui prennent au sérieux les actes quotidiens (dans lesquels lui-même n'est pas loin de voir une comédie), parce que, tout en sachant qu'ils sont mortels, ils n'ont pas mesuré à quel point la mort change leur condition humaine. À l'opposé de ceux qui se convertissent au tragique, ceux qui se convertissent au sérieux.

Chez Khadra, l’ironie tragique se poursuit dans ces récits aussi dans le sens d’une attaque acerbe, sans concession, de l’Occident, voire une caricature de son

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CHAOULI, Fayçal. « L'ironie, esthétique du rire sur fond tragique dans "Morituri" de Yasmina Khadra ».Algérie Littérature / Action. 71, 72, 2003, p. 47-58. [en ligne] http://www.limag.refer.org/new/index.php?inc=dspart&art=00030294 (Consulté le 17. 02. 2016)

pseudo-progrès par le biais de l’exagération. Il la crée en utilisant des contradictions déconcertantes, de l’inversion et du retournement de situation. Sa visée est de décrédibiliser sa cible (l’Occident) et de caricaturer sa pensée. (Ce type de critique ironique n’est pas en fait partagé par Camus dans ses écrits).