• Aucun résultat trouvé

L’INTERTEXTUALITÉ, VARIANTE DE LA

II. L’intertextualité, variante de la polyphonie

II.2. La peste d’Albert Camus : un modèle d’intertextualité

II.2.5. Enseignement anti-religieux (des intertextes de Camus)

II.2.5.2. Allusions à la religion

Les malédictions divines supposées par le prêtre Paneloux appartiennent d’emblée à la religion. L’auteur a recours à des clins d’œil allusifs au texte sacré pour montrer que la malédiction ne doit pas tomber juste sur les citoyens oranais mais sur tout ceux qui commettent des péchés. Ses déclarations représentent une allusion au verset biblique suivant : Tous ceux qui ont péché sans la loi périront

aussi sans la loi, et tous ceux qui ont péché avec la loi seront jugés par la loi.

(Romains 2:12)

Dans La peste, le personnage de Paneloux a ainsi recours aux symboles liturgiques, aux gestes de bénédiction, aux saints, à leurs Livres et leurs Écritures saintes afin de plonger les oranais voire le lecteur au cœur de l’Église. C’est aussi une occasion pour le romancier de peindre la société de l’époque, qualifiée de respectueuse de la tradition religieuse. Camus puise dans la Bible pour citer certains personnages qui lui semble avoir intériorisé les préceptes. Ainsi, les précautions

prises par Paneloux dans le passage suivant rappellent tout en évitant la punition infligée aux fils de Caïn , de Sodome et de Gomorrhe, Pharaon et Job :

Vous savez maintenant ce qu'est le péché, comme l'ont su Caïn et ses fils, ceux d'avant le déluge, ceux de Sodome et de Gomorrhe, Pharaon et Job et aussi tous les maudits. Et comme tous ceux-là l'ont fait, c'est un regard neuf que vous portez sur les êtres et sur les choses. (p.125)

Au fil du texte, Paneloux adopte et multiplie les formes de la reference religieuse, qui nous rappellent des récits bibliques elliptiques. Ici, il fait surgir la figure mythique de Caïn et de tous les maudits, c’est en vue d’illustrer ce sens du péché et du châtiment divin et pour créer une analogie entre les prémices de l’histoire biblique et la situation d’Oran que l’auteur exploite cette allusion ; modelée par le jeu intertextuel des transpositions romanesques. Le potentiel d'équivocité leur a, de fait, donné lieu à une postérité artistique et symbolique importante. De même, Paneloux fait allusion au destin des deux anciennes villes bibliques, régulièrement associées, Sodome et Gomorrhe où les habitants s’adonnent ainsi aux nombreuses pratiques considérées comme d’énormes péchés d’immoralité (l’homosexualité et les viols). Furieux, Dieu décida alors de les détruire.

Ces faits sont relatés dans le texte sacré la Genèse Les habitants de cette ville offensaient gravement le Seigneur par leur mauvaise conduite, raconte la

Genèse (13 : 12-13). Les accusations contre les populations de Sodome et Gomorrhe

sont graves, leurs péchés sont énormes (Gen. 18 : 20). Alors l'Éternel envoya du ciel

son fléau. Il détruisit ces villes et toute la plaine, et tous les habitants de ces villes, raconte le récit biblique. D’ailleurs, citer Job , un autre personnage de la Bible et

Caïn est un personnage de la Bible et du Coran, textes fondateurs des croyances judéo-chrétiennes et musulmanes.

Le Livre de la Genèse est le premier livre de la Torah et donc de la Bible. Ce livre est fondamental pour le judaïsme et le christianisme.

héros du Livre de Job , nous paraît ainsi d’une importance fondamentale dans l’espace intertextuel de l’écriture camusienne. L’allusion ici suppose en effet que le

lecteur va comprendre à mots couverts ce que l’auteur veut lui faire entendre sans le lui dire autrement.1

Parallèlement, les allusions à des figures religieuses se multiplient, altérant la signification des discours religieux, certains saints sont évoqués dans ce récit, tantôt par le Père Paneloux tantôt par le narrateur lui-même. Parmi ces figures, on notera : sainte Odile (p. 269), la haute figure de l'évêque Belzunce (p. 275), et saint Roch : Ils

portaient plus volontiers des médailles protectrices ou des amulettes de saint Roch qu'ils n'allaient à la messe (p. 262). Idole de leurs concitoyens, ces Saints ont

ardemment lutté pendant la période de la grande peste noire, qui dura deux ans, et décima un tiers de la population occidentale. C’était l’époque des grandes famines et des ravages, pendant laquelle les saints et les évêques ayant fait tout ce qu'ils devaient faire face à cette épidémie.

Si des textes et des figures mythiques et bibliques sont constamment évoqués par le prêtre représentant la religion, c’est surtout pour dénoncer les exactions commises par les concitoyens. Néanmoins, le narrateur, et donc l’auteur, voudrait aller plus loin, pour lui, il s’agit notamment de ridiculiser les convictions douteuses, contradictoire et peu recommandable de certains responsables de l’église, et ainsi ironiser sur leur tendance religieuse. Sa visée ultime est bel et bien de dénoncer les dogmes catholiques ; tout comme le confirme le rapprochement que le narrateur établit entre un passage allusif de La Bible et le décès de l’enfant innocent :

D’une part, Jésus parle de la souffrance des justes, des innocents et des pauvres dans le Sermon sur la montagne. Le christianisme donne une explication au

est l'un des Livres du Tanakh et de l'Ancien Testament. Poème didactique écrit en prose, on considère généralement qu'il porte sur le problème du Mal.

1

PIÉGAY-GROS, Nathalie. Introduction à l'intertextualité. Paris : Nathan Université, 1996. p. 52. (Lettres Sup.). ISBN-10 : 2091912689

problème de la souffrance des innocents : c’est la mystérieuse solidarité des

innocents avec la souffrance des autres. De l’autre, l’auteur utilise la mort de l’enfant

comme un exemple de la souffrance des innocents pour accuser Dieu : Rieux dit au Père Paneloux : Vous savez bien que celui-là était innocent (p. 221). Et, bien

entendu, la douleur infligée à ces innocents n'avait jamais cessé de leur paraître ce qu'elle était en vérité, c'est-à-dire un scandale. (p. 232)

L’omniprésence de la religiosité, ayant pour base les références, les clins d’œil allusifs, le fourmillement ou l’enchâssement des textes, permet d’affirmer que

La peste est composé de plusieurs intertextes exploités tout au long de l’œuvre. Chez

Camus l’intertextualité constitue une clé de lecture et d’écriture littéraire, qui témoigne certainement le reflet d’une grande culture voire d’une richesse qui servent essentiellement une polyphonie productive voire créatrice.