• Aucun résultat trouvé

Ironie et polyphonie

I.4. L’ironie tragique dans l’attentat

Quand on observe la nature y découvre les plaisanteries d’une ironie supérieure : elle a, par exemple, placé les crapauds près des fleurs, comme était ce duc près de cette rose d’amour1.

Dans l’attentat, Yasmina Khadra opte pour l’ironie tragique portée par un sens aigu du jeu verbal, comme meilleurs procédés pour dévoiler le tragique existentiel dans la région du Proche Orient tout en le couvrant d’une beauté mensongère, comme le souligne l’exemple suivant :

C’était un regard intense et lointain à la fois, chargé de d’espoir et de peur, toujours le même, immense et profond comme le silence qui l’assistait. À cet instant précis, je perdais confiance en moi. J’avais peur de mes propos ; du choc qu’il allait provoquer. Je me demandais comment les parents allaient accuser le coup, à quoi ils allaient penser en premier lorsqu’ils auraient compris que le miracle n’avait pas eu lieu.

Aujourd’hui, c’est mon tour d’accuser le coup. J’ai cru que le ciel me tombait dessus quand on a retiré le drap sur se qu’il restait de sihem. Pourtant, paradoxalement, je n’ai pensé à rien. (p. 35)

Dans ce passage, l’ironie est marquée à travers l’usage des expressions en italique : d’accuser le coup, je n’ai pensé à rien. Philipe Hamon rappelle que l’ironie peut s’exprimer par l’italique : Cette écriture penchée qui est dans tous les discours

ironiques le signal d’un désengagement critique de l’auteur vis-à-vis de ce qu’il rapporte2.L’auteur note aussi une contradiction dans j’ai cru que le ciel me tombant

dessus quand on a retiré le drap, puis dans je n’ai pensé à rien. Mais aussi, il en

rend compte par l’hyperbole à travers l’emploi de l’adverbe paradoxalement et du jeu de mots : Comment les parents allaient accuser le coup/c’est mon tour d’accuser

le coup, le miracle n’avait pas eu lieu/ J’ai cru que le ciel me tombait … (p. 35)

À travers ces outils, Yasmina Khadra s’est mis en tête de parcourir toutes les voies de l'enfer auxquelles mènent le destin du juif, Khadra se moque dans ce

1

BALZAC, Honoré. Honoré de Balzac : œuvres complètes. 115 titres La comédie humaine. Paris : Arvensa, 1855.9654 p. In https://books.google.dz/books?isbn=2368410007

2

passage du juif, de sa démission et son incompréhension du dilemme qui le déchire doublement. D’ailleurs, L’extrait fonctionne comme une mention échoïque ; en employant une langue gorgée d'un lyrisme unique, lui aussi à visage double, un lyrisme de l'horreur. Il est passé maître dans l'art de rendre belle l'horreur, le méfait, la haine à coups d'images aussi fortes que séduisantes. Yasmina Khadra, en s’exprimant ironiquement dans son œuvre, n’a pas pour but de tromper son interlocuteur, mais de mieux lui faire comprendre la nature du réalisme. Le passage suivant est un autre exemple de l’effet ironique :

Monsieur le docteur nous en veut. Sa femme est morte à cause de nous. Elle était si bien dans sa cage dorée, n’est-ce pas ? Elle mangeait bien, dormait bien, s’amusait bien. Elle ne manquait de rien. Et voilà qu’une bande de tarés la détourne de son bonheur pour l’envoyer-comment tu disais déjà ?-au charbon.

Monsieur le docteur vit à proximité d’une guerre, sauf qu’il ne veut pas en entendre parler. Il pense que sa femme, non plus, ne doit pas s’en préoccuper…Eh bien, il a tort, monsieur le docteur […] Est-ce qu’il te faut un tableau pour comprendre ou est-ce que c’est toi qui refuses de regarder la réalité en face ? (p.206)

Dans ce passage, on distingue plusieurs slaves d’ironie (antiphrase, hyperboles- expressions en italique, interrogation, des points de suspension…) :

D’abord, les formules en italique à cause de nous et au charbon sont la marque de discours indirect libre par laquelle l’intégriste (l’ironiste) reprend en échos les propos antérieur qu’Amine avait l’habitude de rétorquer depuis la mort de son épouse. Dans cet exemple, l’ironie sous forme d’antiphrase est marquée par la présence d’un présupposé lié a une relation de causalité sa femme est morte à cause

de nous, elle est exprimée avant même que Amine émette ses arguments,

implicitement opposés parce que l’extrémiste présuppose une justification, pourtant, elle exprime le contraire de ce qu’il ressent.

Dans ce sens, Philippe Hamon considère le procédé ironique comme : Le

contresens volontaire d’un énonciateur parlant ‘contre’ un sens appartenant à l’autrui, soit comme un acte de réécriture, réécriture qu’opère le lecteur à partir du

texte de l’auteur1

. Ce qui fait entendre la voix ironique de l’auteur c’est le

doublement de la conduite sérieuse qui, décalée, vise à prendre distance vis-à-vis de l’attitude du juif (démissionnaire, indifférent…). Tout en le frappant avec ses propres mots, avec son propre arme. Selon F. Mercier-Leca, l’ironie est définie comme : Un

décalage, un écart […] au sein de l’énoncé lui- même, ambigu, polysémique, pouvant exprimer quelque chose que l’intention consciente de son auteur…2 Il lui ôte

ainsi toute possibilité de contre-argument.

La deuxième slave de l’ironie dans ce passage est basée sur une antiphrase hyperbolique et épouse la stratégie de la feinte approbation avec surenchère : Elle

était si bien dans sa cage dorée, n’est ce pas… Elle mangeait bien, dormait bien, S’amusait bien.Ici, la conduite sérieuse est doublée d’une autre qui organise la moquerie et le sarcasme. En jouant sur la redondance, l’ironiste présuppose que le couple amoureux (Amine et Sihem) a vécus en plein bonheur et en plein paix, fermant les yeux sur la vraie vie. Ce qui souligne l’aveuglement de Amine et le met en accusation

Par ailleurs, l’usage de la locution adverbiale n’est-ce pas ? Verrouille d’emblée toute possibilité de dialogue des extrémistes avec Amine (qui est aussi l’écho de la voix de l’auteur qui veut se désolidariser des propos qu’il tient envers la démission du juif), il présuppose un accord des partenaires sur ce qui va suivre. Le juif ne peut pas nier dans ces conditions parce qu’il va rompre le dialogue. L’autre n’a donc plus que la feinte approbation à son service.

En outre, l’ironie est marquée par la présence d’un terme suspect il pense

suggérer … sert à dévaloriser les jugements naïfs de Amine et de critiquer ses

comportements vis-à-vis du geste de sa femme. L’auteur, citant cet exemple, se moque du juif, de sa démission et de son insouciance envers les conditions réelles de

1

Ibid.

2

la vie. Cela est confirmé, à la fin du passage, par le système de l’écho dans l’interrogation : Est-ce qu’il te faut un tableau pour comprendre ? Ou est-ce que

c’est toi qui refuses de regarder la réalité en face ? En fait, cette autre voix ironique

se repose sur un retournement de la situation, il s’agit de la mise en scène de l’auteur qu’il faut soigneusement distinguer du narrateur cible. Yasmina Khadra, en réalité, impose sa voix ironique pour se moquer du fanatisme spécifiquement religieux des intégristes qu’il dénonce dans ce passage pour les réinscrire dans leur contexte idéologique.

Amine lancé dans une enquête visant à élucider le pourquoi et le comment de cet acte incompréhensible, commis par sa bien-aimée. Le passage suivant sous forme de dialogue référentiel ne compromet pas la neutralité du projet, mais seulement la crédibilité de l’intrigue :

C’est cette vérité que tu cherche ou est-ce que c’est celle-là même que tu fuis ?...Non, mais sur quelle planète vis-tu, monsieur ? ...Ta femme est morte pour ta rédemption, monsieur Jaafari.

T u me parle d’une rédemption ! Le tutoie-je à mon tour. C’est toi qui en a besoin… Tu ose me parler d’égoïsme, à moi dont on a ravi l’être que j’ai chérie le plus au monde, tu ose me soûler avec tes histoires de bravoure et de dignité lorsque tu reste dans ton coin en envoyant des femmes et des gamins au charbon ?

Détrompe-toi : nous vivons bien sûr la même planète, mon frère sauf que nous ne logeons pas à la même enseigne. Tu as choisi de tuer, j’ai choisi de sauver. Ce qui est l’ennemi pour toi, pour moi est un patient. (p. 158)

Pour analyser l’ironie dans ce passage, on distingue deux parties.

La première marque l’effet ironique à travers l’énoncé : C’est cette vérité que tu

cherches ou est-ce c’est celle-là même que tu fuis ?... Non, mais sur quelle planète vis-tu, monsieur ? Dans cet exemple, plusieurs outils reflète l’effet de l’ironie tels : la

prise en compte de la répétition, l’interrogation, la contradiction, l’hyperbole, la locution adverbiale…

D’abord, la forme même de l’énoncé : interrogative, par lequel l’auteur, feignant l’ignorance, veut prendre une distance tant par rapport à la réalité

désagréable que par rapport au langage. Ainsi, L’ironiste dans ce passage, joue la stratégie de quiproquo : il feint d’ignorer la vérité de ce qu’Amine cherche ; l’écart se voit au niveau de la contradiction explicité dans le même énoncé : C’est cette vérité

que tu cherche ou est-ce c’est celle-là même que tu fuis ? Puis, la voix ironique

choisit de battre l’adversaire par la supériorité intellectuelle et langagière ; feignant de se tromper sur le lieu dans lequel vit Amine, il pose une deuxième question pour se moquer de sa désolation. Pensant que cette question sera moins difficile pour quelqu’un qui a tout lâché, tout abandonné, trop éloigné qu’il est de son vécu réel. En fait, l’interrogation dans ce passage combine à la fois une interrogation et une argumentation contre le juif.

La deuxième voix ironique résonne clairement dans la partie suivante du même passage : Ta femme est morte […] pour moi est un patient. Dans cet exemple, l’ironie est bien présente par le rappel des propos de l’adversaire sous forme d’exclamation dévalorisante « tu parles de rédemption ! » qui ne saurait à elle seule rendre compte de l’ironie. Elle réside plutôt dans le contenu attribué à cette « rédemption » par laquelle le juif veut dénoncer les malédictions et les malversations de l’ensemble des résistants extrémistes. L’énoncé exclamatif dans l’exemple cité combine à la fois, une interrogation et une argumentation. Il s’agit autant d’argumentation que d’exclamation je sais comment se fait la rédemption, j’ai

l’argument. Ce type de question véhicule aussi une dimension de doute par lequel

l’auteur veut crier sa réprobation envers la légitimité des actes inhumains des intégristes.

Ensuite, le locuteur abonde dans le sens de son interlocuteur et apporte un argument supplémentaire, en disant : c’est toi qui en a besoin, l’ironiste veut juger l’énoncé de son interlocuteur parce qu’il feint de trouver légitime son indignation et sa disqualification. De plus, en termes d’antiphrase qui ne se situe pas au niveau de l’énoncé qui exprime strictement l’opinion du locuteur nous vivons bien sur la même

planète, mais au niveau du jugement mon frère alors que l’ironiste, sait que son

La stratégie est ensuite celle de quiproquo. Le locuteur feint de comprendre que son interlocuteur ne peut pas répondre à la première question parce qu’il n’est pas conscient du dilemme qui déchire sa patrie d’origine au jour le jour. La feinte est patente puis que l’autre explicite par litote le contexte non ne répond pas à la

première question mais plutôt répond à la deuxième qu’il considère plus facile pour

quelqu’un qui, avec un passeport israélien, pense se sortir de l’auberge de son pays natal. L’expression Monsieur… est une marque explicite de respect, mais elle double l’effet ironique ou peut être même une ironie seconde ayant pour cible la carrière d’Amine, la médecine.

Cependant, l’ironie la plus mordante est à chercher dans le contraste entre le lyrisme sentimental auquel adhère le juif-palestinien (qui rêve de serment éternel) et le réalisme cruel dans le quel vit son peuple. D’ailleurs, l’opposition franche entre les points de vue tu as choisi de tuer, j’ai choisi de sauver propose une coordination de perspectives par confrontation entre le point de vue de Amine et celui des extrémistes. En fait, les personnages sont eux-mêmes distanciés par le narrateur. Cet extrait permet donc, à la fois, l’investigation imaginaire (on croit au personnage) et le jeu de l’intelligence sensible de l’ironie de l’auteur.

La diversité des outils que Yasmina Khadra a constamment employé pour prendre une distance par rapport à ce qu’il est en train de dire ; tant en lien avec la réalité désagréable que par rapport au langage.

Une autre figure de l’ironie s’est marqué à travers des expressions moqueuses de certains personnages tels : le capitaine israélien Moshé qui, affreux et l’humiliant, décrit Amine comme une proie isolée. Ce Moshé, sûr de sa tactique, n’a pas cessé de dévalorisé Amine aussi bien avec les mots qu’avec les gestes comme le montre les passages suivants : Moshé rejette la fumée de sa cigarette dans la direction du

Quelqu’un a collé une affiche sur la grille de ma maison. Ce n’est pas exactement une affiche mais la d’un quotidien à grand tirage. Par-dessus une large photo décrivant le chaos sanglant autour du restaurant ciblé par les terroristes, on peut lire en gros caractères : LA BÊTE IMMONDE EST PARMI NOUS … (p. 59)

Les affronts et les injures sont plus durs de la part des amis de Amine, de ses voisins et même les patients à l’hôpital où il exerce sa carrière, le passage suivant est illustratif :

Deux barbus nattés me crachent au dessus. Des bras me

Bousculent. « C’est comme ça qu’ont dit merci chez vous, sale arabe ? En mordant la main qui vous tire de la merde ?... » (p. 63)

Dans ces deux passages, et bien d’autres, l’effet ironique est évident étant donné que les juifs (militants et voisins) font durer le plaisir de se moquer et de bafouer l’arabe israélien, un peu comme le chat jouant avec la souris (p.40). À travers ces deux passages Yasmina Khadra dévoile la rancune et la férocité des juifs envers l’arabe. Face à cette humiliation, Yasmina Khadra se moque des milliaires juifs par métaphores animales. On trouve des expressions dans divers contexte tels :

Horde de loups (p. 54), carrure d’ours (p. 89), rappelant un fauve en cage (p. 133).

Quant au héros il est assimilé aux animaux plus petits ou moins violents (p. 153). Enfant, il n’arrêtait pas de trotter derrière son père (p. 234) et adulte il se laisse tellement faire qu’un agneau se serait mieux défendu. (p. 207). L’œuvre explique également cette croyance hallucinante du bien fait de la guerre à fin de berner des gens en général qui viennent bénir les tueurs par son sacrifice et son carnage, et promettre le paradis aux kamikaze. En somme, l’auteur utilise fréquemment ces figures métaphoriques, dans L’attentat pour marquer un fait qui accentue le caractère ironique du milieu militaire juif. Considérant que les personnages sont avec les nouvelles images, faciles à catégoriser et à visualiser.

L’ironie résonne, en outre, à travers le titre lui-même qui est exprimé très brièvement alors que c’est une expression surabondamment employée dans l’actualité à cause du réalisme dur et cruel. De surcroît, l’expression même de

l’attentat semble silencieuse alors que le roman est plein de vacarme et des voix assourdissantes.

L’ironie reste pour Yasmina Khadra une arme efficace dans le combat humaniste. Cependant, l'emploi de l'ironie tragique : N’est pas sans risque, il

convient d'être prudent lorsqu'on la manipule, car elle peut très bien se retourner contre l'ironiste. Si l'ironie fait rire, c'est toujours d'un rire plus ou moins méprisant1.

Elle a exigé sans doute de l'utiliser avec une grande prudence et de patience a fin d’être autant un mode d'argumentation qu'une forme de dévoilement de la bêtise de l’humanité qui est la cause d’un réalisme difficile à vivre. L'ironie dans

L’attentat est, certes, avant d'être une arme, une manière d'affirmer calmement et par

la dérision un rapport tragique au monde.

Caractéristique spécifique de ce récit, la prolifération des styles et des tons qui s’y mêlent : son style est saisissant alliant lyrisme, métaphores inattendues, dépouillement, mais surtout ironie tragique. Une prolifération qui réaffirme encore une fois que L’attentat présente une trame et un contenu discursif polyphoniques.

1

MICHEL, Balmont. Dissertation sur l'ironie [en ligne]. (Consulté le 15.04.2015). Disponible via l’URL : <http://michel.balmont.free.fr/pedago/lumieres/dissert_ironie.html>

Comparaisons et contrastes polyphoniques entre Khadra et Camus

L’idée directrice de notre travail est d’étudier et de s’intéresser aux rapports polyphoniques, singuliers, fins et contrastés, qui mettent en accord ou en désaccord les deux auteurs Albert Camus et Yasmina Khadra, l’un avec l’autre, lors de leur construction des œuvres.

Afin de répondre à notre questionnement de départ, nous allons présenter et articuler les principaux points de convergence et ceux de divergence issus de notre étude comparée entre les deux auteurs francophones. Notre hypothèse générale stipule que des représentations, à valeur, ironiques, intertextuelles et idéologiques caractérisent les œuvres polyphoniques de notre corpus, et face à un climat véhiculant ces trois aspects, qui peuvent être analogues ou assez conflictuels et contradictoires, les uns aux autres, plusieurs sont les effets effectués de l’un des scripteurs sur l’autre.

I.5. L’ironie, points de rencontre, points d’opposition entre Khadra et