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L’INTERTEXTUALITÉ, VARIANTE DE LA

II. L’intertextualité, variante de la polyphonie

II.1. La pratique intertextuelle dans Le mythe de Sisyphe de Albert Camus

II.1.5. L'intertextualité avec les textes religieux, scientifiques et psychanalytiques

Le mythe de Sisyphe est une mosaïque de textes où rencontre le discours

religieux, philosophique, scientifique, mythique... Albert Camus a fréquemment recours au registre religieux et y emprunte de nombreuses expressions qui contribuent à éclairer sa notion clé.

Le jeu et la présence de l’intertexte religieux dans Le mythe de Sisyphe n’a jamais cessé. Le plus souvent sous des formes implicites, latentes ou suggérées, il est généralement marqué par le biais d'autres écrivains-philosophes, antérieurs ou contemporains de l'auteur tels que: Saint Augustin, Pascale, Kierkegaard, Dostoïevski, Nietzsche, et Heidegger. A travers son essai, Camus essaie de retrouver un être et une croyance à laquelle s'adonner.

En effet, l’œuvre camusienne est en communication étroite avec des questions religieuses liant la croyance au Dieu et à l’athéisme. Elle évoque Kierkegaard selon lequel: le croyant trouve son triomphe, dans son échec (p. 59). Ainsi, elle fait appel à Fiodor Dostoïevski et à son œuvre Les frères Karamazov, œuvre dont le caractère

est chrétien, et qui illustre parfaitement l’absurdité de notre condition, pour faire la synthèse des problèmes religieux et moraux qui ont hanté l’univers. Camus exprime clairement sa situation quand il écrit : La question principale qui sera poursuivie

dans toutes les parties de ce livre est celle même dont j’ai souffert consciemment ou inconsciemment toute ma vie : l’existence de Dieu (p. 150). Ces propos illustrent sa

pensée voulant que le bon Dieu semble absent dans les crises de ses héros. Pour lui, il est même plus pénible d’affronter le néant de l’au-delà, ce qui lui confirme encore une fois l’absence d’un Dieu tout puissant.

La proclamation Dieu est mort de Nietzche a eu, sans doute, une grande influence sur la perception du monde par les philosophes contemporains. La mort de

Dieu se manifeste par le chaos (les guerres) qui s’est répandu dans le monde.

Dostoïevski constate la difficulté de concilier l’idée d’un Dieu bon et tout-puissant avec l’existence du mal. Pour montrer l’absence de Dieu dans le monde, un exemple frappant : Kirilov dans Les possédés. Cet homme désire se donner la mort parce que

c’est son idée. Il croit en la nécessité de Dieu, cependant il a bien conscience qu’Il

n’existe pas. Par cet acte, il se déifie lui-même : Si Dieu existe, tout dépend de lui et

nous ne pouvons rien contre lui ; s’il n’existe pas, tout dépend de nous (p. 59). Aussi,

tuer Dieu, c’est pour Kirilov et Nietzsche, devenir Dieu soi-même. Selon Camus, le raisonnement du suicidé logique ayant provoqué quelques protestations des critiques. D’autre part, dans les dernières pages de son roman, au terme de ce gigantesque combat avec Dieu, des enfants demandent à Aliocha : Karamazov, est-ce vrai ce qui

dit la religion, que nous ressusciterons d’entre les morts, que nous nous reverrons les uns les autres ?1

D’ailleurs, l’œuvre de Franz Kafka va dans le même sens. A propos de l’aspect religieux de sa pensée, Albert Camus déclare que : Son œuvre est universelle

parce que d’inspiration religieuse (p. 185). Aussi, Camus fait allusion plusieurs fois

1

JEAN, Cohen. « La théorie du roman de René Girard ». Annales, Économies, Sociétés, Civilisations. 20, 3, 1965, p. 465-475. [en ligne] :<http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1965_num_20_3_421289 (Consulté le 30.04.2017)

à l’Évangile et au Christianisme. Son texte se situe à la jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l'accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur. Le passage suivant montre comment son œuvre fonctionne aussi comme des métatextes de l’Évangile et du Christianisme :

Le christianisme, c'est le scandale et ce que Kierkegaard demande tout uniment, c'est le troisième sacrifice exigé par Ignace de Loyola, celui dont Dieu se réjouit le plus : « le sacrifice de l'Intellect» (p. 59).

Mais pour le chrétien, la mort n'est nullement la fin de tout et elle implique infiniment plus d'espoir que n'en comporte pour nous la vie, même débordante de santé et de force (p. 61).

C’est réaliser dès cette terre la vie éternelle dont parle l’Évangile (…) L’homme n’a fait qu’inventer dieu pour se tuer Voilà le résumé de l’histoire universelle jusqu’à ce jour (p. 143).

Même les hommes sans évangile ont leur Mont des Oliviers (p. 131)

Camus développe également d’autres thèmes comme l’absolue nécessité d’une force morale au sein d’un univers irrationnel et incompréhensible, la lutte éternelle entre le Bien et le Mal, et la valeur suprême conférée à la liberté individuelle. Cette voix s’entend à travers les propos de l'abbé Galiani : L'important,

disait l'abbé Galiani à Mmed'Epinay, n'est pas de guérir, mais de vivre avec ses maux

(p. 60). Aux discours scientifique, l’auteur intègre des extraits tels : Au terme

dernier, vous m'apprenez que cet univers prestigieux et bariolé se réduit à l'atome et que l'atome lui-même se réduit à l'électron (p. 37).

D’ailleurs, plusieurs autres interprétations sont empruntées aux sciences humaines notamment à la psychanalyse, à travers l’ancrage de Camus dans les problèmes pratiques de son temps, ancrage que fait ressortir un rapprochement avec la notion freudienne de pulsion de mort. Aussi, il évoque le connais-toi toi-même  de Socrate et montre qu’il a autant de valeur que le soi vertueux  de nos confessionnaux. Pour Camus, le Moi n’est pas unité, mais dispersion. A la limite le Moi n’existe pas en ce sens qu’il a plusieurs visages mais qu’il n’en a aucun de défini et d’unique.

que l'originalité de son écriture repose précisément dans l'intertexte1. Camus cite aussi dans son essai les grands romanciers du XIXème siècle écrivains à thèse, ainsi :

Balzac, Sade, Melville, Stendhal, Dostoïevski, Proust, Malraux, Kafka, pour n’en citer que quelques-uns (p.137).

En conclusion, l'implication systématique de l'œuvre de Camus dans un enjeu intertextuel progressif, depuis la forme simple du commentaire jusqu'aux formes les plus élaborées d'une intertextualité devenue trame de l'œuvre. La malléabilité de cette notion permettra donc de saisir les différents mécanismes textuels à l'œuvre dans cet essai, et à entrevoir la possibilité de nouveaux paradigmes poétiques. Ce phénomène répond en effet à une vocation critique et exploratoire de l’auteur et nous permet de découvrir une œuvre littéraire dans tout son foisonnement culturel. Il va jusqu’à l'élaboration d'une culture nouvelle, c’est un instrument de parole privilégié de

renaissance culturels2. Plus qu’une méthode technique particulière, l’intertextualité

est une pensée, une vision, un nouveau regard sur la littérature. La modernité de l’essai se mesure, en somme, dans ces procédés d’écriture qui constituent le moteur de la création. Camus trouve, comme Sisyphe au sommet de sa montagne, une respiration nouvelle.

1

LEVEILLE, Joseph L.R.. Logiques improvisées : entrevues et essais, Saint-Boniface : Blé, 2005.p. 91. (ESSAI LITTE H.C.).ISBN : 2-921346-87-3

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