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La sociologie de l’expérience sociale appliquée au choix et au vécu des études

CHAPITRE 3 CADRE THÉORIQUE

3.2 La sociologie de l’expérience sociale

3.2.4 La sociologie de l’expérience sociale appliquée au choix et au vécu des études

L’expérience scolaire, en tant que dimension de l’expérience sociale88, nous permet de comprendre

de manière plus fine comment les étudiants, en tant qu’acteurs scolaires, en arrivent à être les sujets de leurs études (Dubet, 1996, 2008; Dubet & Martuccelli, 1996a). Dans le cas précis qui nous concerne, il s’agit de comprendre les expériences de choix du cégep anglophone ainsi que les expériences d’études collégiales en anglais de jeunes Québécois francophones.

La sociologie de l’expérience sociale articule trois logiques d’action qui rendent possible, dans un premier temps, la compréhension des expériences de choix du cégep anglophone. La logique de l’intégration met en saillance les socialisations qui ont cours quant à l’adoption d’une identité anglophone et le désir d’intégration à la communauté anglophone en choisissant de réaliser des études collégiales en anglais. La logique stratégique met de l’avant les stratégies et les bénéfices escomptés

88 Dubet (2008) souligne que l’expérience sociale se décline sous plusieurs dimensions qui peuvent notamment être

par le choix du cégep anglophone. La logique de la subjectivation souligne l’aspect plus expressif89 et

de développement personnel lié au choix. Dans un deuxième temps, la sociologie de l’expérience sociale nous permet de comprendre les expériences d’études collégiales en anglais. La logique de l’intégration concerne les socialisations qui ont cours dans la famille et à l’école ainsi que les appartenances liées à l’identité et à l’intégration durant les études collégiales. La logique de la stratégie considère les conditions du contexte des études, les ressources mobilisées ainsi que le but des études collégiales. La logique de la subjectivation soulève l’esprit critique face aux études collégiales en anglais, dans le versant positif ou négatif. La sociologie de l’expérience sociale articule trois logiques d’action qui sont similaires dans les deux expériences étudiées et qui se déploient tout de même de manière distincte au regard des expériences de choix et d’études collégiales que nous étudions. Ces expériences se modulent de manière distincte sous l’influence de plusieurs variables, dont celle du temps et de la position sociale et scolaire qui sont particulièrement significatives. D’abord, le temps fait évoluer l’expérience de manière unique selon l’âge et le niveau d’études. En effet, l’expérience scolaire sera différente entre un élève de l’école primaire et un étudiant « jeune adulte » du cégep, puisque la nature des épreuves change au fil du parcours scolaire90. Ensuite, la position sociale et scolaire fait

varier l’expérience puisque les épreuves n’ont pas le même poids sur chaque acteur qui ne possède pas les mêmes ressources (Dubet, 2008; Dubet & Martuccelli, 1998) :

La tâche est beaucoup plus facile pour les élèves favorisés parce qu’ils s’appuient sur des habitus plus accordés aux modèles scolaires, parce que les utilités escomptées sont plus fortes et les coûts plus faibles, parce que l’espace de leurs choix intellectuels est plus vaste. À l’opposé, le travail de l’expérience est plus difficile quand les élèves sont issus de milieux éloignés de l’école, quand leurs ressources économiques et scolaires sont faibles, et leurs choix culturels plus limités. (Dubet, 2008, p. 36)

C’est dire que les étudiants ne sont pas tous égaux devant l’expérience scolaire vécue. Ce déterminisme n’est toutefois guère une règle, puisque tous les favorisés n’excellent pas et que tous les défavorisés n’échouent pas. C’est ici que le jeu de l’acteur, qui articule les épreuves, laisse place à une marge de manœuvre, à une certaine liberté (Dubet, 2008).

89 La conception expressive est reprise de Hamel, Méthot et Doré (2008) pour qui elle renvoie à un « sentiment » et plus

encore à des symboles d’accomplissement personnel et d’identité (p. 92).

90 Les travaux de Dubet et Martuccelli en contexte scolaire français (1996a, 1998) montrent qu’à l’école élémentaire, les

élèves s’inscrivent davantage dans une logique de l’intégration alors que cette logique est délaissée, mais pas abandonnée, au fil du parcours scolaire au profit de la logique de la subjectivation.

Bien que la sociologie de l’expérience scolaire se concentre sur l’expérience de chaque acteur, sa compréhension nous informe aussi sur ce que « fabrique » l’école en matière d’acteurs et de sujets. En d’autres termes, il est possible de comprendre le système qui se met en place et sa nature, puisqu’en construisant leur expérience, les acteurs construisent aussi l’école (Dubet, 2008; Dubet & Martuccelli, 1996a). Dans ce sens, avec l’analyse des expériences d’études collégiales en anglais, une remontée théorique vers une dimension plus macrosociale liée aux champs institutionnels linguistiques au collégial nous éclaire sur le travail de socialisation du cégep anglophone au Québec (Dubet, 2008). Finalement, si la sociologie de l’expérience sociale et scolaire nous permet de comprendre les expériences de choix et d’études collégiales en anglais, ce cadre théorique s’inscrit surtout dans une temporalité courte. En effet, les changements sociaux qui s’inscrivent sur des temporalités de moyenne et de longue durées ne sont pas suffisamment perceptibles (Doray, 2012). Pourtant, il nous semble pertinent de comprendre comment les études dans un collège anglophone transforment ou non la suite du parcours de vie des francophones qui y ont réalisé des études collégiales. Comment les études collégiales en anglais socialisent-elles ou non à l’anglais au regard des pratiques linguistiques et des identités ? Pour rendre compte adéquatement du mouvement des phénomènes sociaux dans le temps, il nous semble pertinent de convoquer, comme deuxième cadre théorique, le concept de parcours de vie tel que proposé par l’approche processuelle (Mendez, 2010).