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CHAPITRE 4 CADRE MÉTHODOLOGIQUE

4.3 Récit de vie

Dans cette thèse, la méthode d’enquête qualitative du récit de vie, une des approches biographiques, est privilégiée, car elle permet d’appréhender le temps qui renvoie à la prise en compte des différentes temporalités des phénomènes humains (Burrick, 2010). L’approche biographique recouvre plusieurs

terminologies – biographie, histoire de vie, récit de vie et autobiographie105 – dont le sens varie et se

recoupe selon les disciplines et les auteurs (Angrosino, 1989; Archambault & Hamel, 1997; Bertaux, 1980, 2010; Burrick, 2010; de Gaulejac & Lévy, 2000; Desmarais, 1986; Houle, 1997; Peneff, 1990; Poirier, Clapier-Valladon, & Raybaut, 1993; Smith, 1994). Dans cet éventail terminologique, nous retenons la définition du récit de vie proposée par Bertaux (2010), un des principaux auteurs sur la méthode des récits de vie :

[Le récit de vie est] un entretien narratif particulier au cours duquel un chercheur demande à une personne, qui est le sujet, de lui raconter tout ou une partie de son expérience vécue, le récit témoignant toujours de l’expérience vécue. (p. 10)

Afin de prendre en compte la dimension du temps dans la thèse, nous aurions pu avoir recours à une méthode d’enquête longitudinale. Cette méthode implique toutefois une cueillette ponctuelle sur plusieurs années; elle est donc plus coûteuse sur les plans temporel et financier (Nimal, Lahaye, & Pourtois, 2000). En contrepartie, la méthode d’enquête du récit de vie présente les avantages d’une seule cueillette des données et d’un regard rétrospectif sur le parcours de vie. Il nous semblait ainsi une méthode d’enquête tout indiquée pour répondre à nos objectifs de recherche. Dans le cadre de notre projet de thèse, nous avons choisi de documenter « une partie » de l’expérience vécue par des jeunes francophones qui ont fait le choix de réaliser leurs études collégiales en anglais. Cette « partie » correspond à la période entourant, au sens large bien entendu, les études collégiales en anglais et, plus précisément, la période du choix du cégep anglophone, la période des études collégiales en anglais et la période suivant les études collégiales en anglais, et ce, jusqu’au moment de l’entretien. Puisque nous nous inscrivons dans une posture constructiviste et que nous adoptons une approche qualitative, nous avons fait preuve, dans le cadre des entretiens, de souplesse et de fluidité quant aux périodes étudiées, qui varient en fonction de chaque récit. En outre, la « partie » du récit qui a été documentée s’est concentrée autour des espaces familial, scolaire, professionnel, personnel, linguistique et identitaire.

105 Les distinctions terminologiques sont variées et ne sont pas forcément consensuelles dans la communauté scientifique.

Voici une distinction terminologique proposée par Angrosino (1989) : « Biography will refer to the narrative account of one

person’s life as written or otherwise recorded by another, reconstructed mainly, though not exclusively, from records and archives. Autobiography will pertain to the narrative account of a person’s life that he or she has personally written or otherwise recorded. Life history will refer to the account of one person’s life "as told to" another, the researcher. The term life story will be used to distinguish narratives (which may belong to the biographical, autobiographical, or life history categories) that purport to record the entire span of a life from those that tend to highlight a few key events or focus on a few significant relationships or dwell on perceived "turning points"» (p. 2-3).

Comme la reconstruction du récit de vie commence à partir de la situation actuelle du sujet (Peneff, 1990), cette méthode d’enquête présente les avantages de la réflexivité et du regard a posteriori sur le parcours de vie. Cette vision rétrospective engage de facto certains décalages dont le chercheur doit tenir compte sans pour autant les considérer strictement comme des limites. Ces décalages – ou ces « médiations » – peuvent s’effectuer à différents niveaux : d’abord, entre l’événement réel et la façon dont il a été vécu par le sujet, ensuite, entre la mémorisation de l’événement et son évocation plus tard dans le temps et, finalement, entre ce que le sujet a vécu et ce qu’il consent à divulguer lors de l’entretien (Bertaux, 2010). Autrement dit, le récit de vie n’est pas un récit du passé, mais une restitution présente du passé au regard de l’avenir (Van der Maren, 2010). Plus encore, une certaine opération de lissage du récit (Bidart, 2006) peut s’opérer par le sujet qui veut bien paraître devant le chercheur ou même, comme Bourdieu (1986) l’avance dans une certaine critique de l’approche biographique, par le sujet qui se fait « l’idéologue de sa propre vie » (p. 69). Ainsi, pour la thèse, le regard a posteriori sur le parcours de vie entourant les études collégiales en anglais génère la limite de ne pas pouvoir rendre compte de l’expérience dans l’immédiateté et, conséquemment, d’en obtenir un propos moins détaillé. Néanmoins, ces « reconstructions subjectives » – ou cette coloration comme l’appelle Bertaux (2010) – doivent être vues comme des forces puisqu’à travers ses propres interprétations, le sujet organise et produit, lors de la mise en récit, une cohérence dans son vécu. Certes, le sujet peut écarter, volontairement ou involontairement, des éléments qui auraient pu être pertinents pour le sujet de la recherche, mais compte tenu d’une telle réalité, il faut y voir une sorte de travail produit par le sujet en tentant de comprendre les choix qu’il fait pour expliquer son vécu. Le récit de vie engage donc une réflexivité accrue (Bertaux, 2010).

Le récit de vie présente aussi l’avantage de permettre une remontée théorique, puisque toute expérience de vie comporte une dimension macrosociale (Bertaux, 2010; Le Gall, 1987; Schütz, 2008). La méthode d’enquête privilégiée permet de rendre compte de l’expérience vécue d’un sujet, mais également de son récit en société (Chanfrault-Duchet, 1987; Desmarais, 1986; Houle, 1997). Cette remontée est possible en mettant en rapport plusieurs récits sur une expérience de vie sociale commune et d’en constater les récurrences dans les faits, les événements et/ou les phénomènes. Cette quête de récurrences permet de dépasser les histoires individuelles pour en arriver à faire émerger des traits communs – voire généralisables – aux parcours de vie étudiés (Longo, 2016). Il est alors possible d’obtenir une représentation sociologique des composantes sociales (ou collectives)

d’une situation spécifique et d’en comprendre le fonctionnement et les dynamiques internes (Bertaux, 2010; Deslauriers, 1991; Le Gall, 1987), puisqu’il y a passage du sens commun vers le sens sociologique, passage de la subjectivité du chercheur à l’objectivité à construire (Houle, 1997). En somme, le récit de vie est une sorte de miroir subjectif, mais non moins révélateur à certains égards, de la société (de Gaulejac & Lévy, 2000). Dans cette thèse, la remontée théorique est opérationnalisée dans les analyses typologiques que nous avons effectuées.