• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 CADRE THÉORIQUE

3.1 La sociologie de l’éducation et la socialisation

3.1.1 Le pouvoir de l’institution

Les décennies 1950 à 1970 voient évoluer des théories macrosociologiques et déterministes – que sont l’approche fonctionnaliste et les théories critiques – où l’individu est largement soumis aux structures sociales, dont l’école (Duru-Bellat & Van Zanten, 2006). Si ces théories n’ignorent pas l’interaction dans leur compréhension du social, elles mettent surtout en saillance l’idée que l’individu est le produit de la société (Lapassade, 1996). Il s’agit donc de théories sociologiques qui mettent de l’avant le pouvoir de l’institution (Dubet, 2002, 2017).

Dans un premier temps, l’approche fonctionnaliste s’est déployée aux États-Unis dans le contexte d’après-guerre des années 1950, où le nouvel État-providence cherchait à accroître son développement économique et sa redistribution des richesses (Dandurand & Ollivier, 1987). Si les travaux réalisés dans une perspective fonctionnaliste s’inspirent de Durkheim, cette approche se structure surtout autour des idées de Parsons (1959; Parsons, Bales, Olds, Zelditch, & Slater, 2007) qui est considéré comme l’une des figures de proue avec le structuro-fonctionnalisme dont les postulats deviendront rapidement les plus prééminents au sein du courant théorique.

Selon cette perspective de pouvoir de l’institution, la socialisation des individus est vue comme essentielle au maintien de l’ordre social. Cette socialisation est d’abord proposée par le père de la sociologie, Émile Durkheim, en 1922 dans ses propos sur l’éducation par les « générations adultes » sur « celles qui ne sont pas encore mûres » pour la vie sociale (2012, p. 51). Il y a donc ici une idée essentielle pour l’approche fonctionnaliste de transmission des valeurs et des normes d’une génération à l’autre afin de lui assurer une intégration et une place dans la société (Schmitt & Bolliet, 2008). En d’autres mots, la socialisation est intégration (Van Haecht, 2006). La société doit se préserver et se

77 Nous référons ici à Berthelot (2000) qui souligne qu’il est impossible d’effectuer une cartographie de la sociologie qui soit

consensuelle. Dans les sous-sections 2.1.1 et 2.1.2, nous présentons le concept de la socialisation au sein de grands courants théoriques en sociologie de l’éducation sans prétendre à une recension complète ni unanime.

maintenir à travers cet ordre social, où les besoins de la société deviennent dès lors les besoins des individus (Mitchell, 2012).

Le concept de socialisation à l’école s’inspire largement des réflexions de Durkheim (1990) sur l’éducation, au sein desquelles l’école est vue comme une institution qui unifie et qui divise à la fois. Dès lors, deux fonctions sont attribuées à l’école contemporaine : la socialisation aux valeurs communes de la société pour y tenir des rôles propres et la sélection des individus selon les aptitudes et motivations (Forquin, 1997; Robert & Tondreau, 2011; Sadovnik, 2011). L’école est considérée comme une institution qui vise à répondre aux besoins fonctionnels de la société afin d’y maintenir une stabilité sociale (Dandurand & Ollivier, 1987; Davies & Guppy, 2010). Parsons et ses collaborateurs proposent, au milieu des années 1950, une théorie de la socialisation qui repose sur l’idée selon laquelle les sociétés, pour survivre, doivent reproduire leur culture et leur structure sociale. Par l’intériorisation tout au long de la vie au sein de la famille et de l’école, les individus sont socialisés et deviennent forcément des socialisateurs (Dubar, 2010)78.

Dans un deuxième temps, les théories critiques qui se développent dans les années 1960 s’opposent radicalement à l’approche fonctionnaliste. Dans un nouveau contexte, teinté de crises sociales révélant des inégalités et des formes de domination dans plusieurs pays occidentaux (ex. : mai 1968 en France, ou encore, la guerre du Vietnam) (Dandurand & Ollivier, 1987), la socialisation n’est plus pensée dans les mêmes termes (Dubar, 2010).

Suivant le marxisme, les théories critiques soutiennent que la société, qui est divisée en classes sociales inégales, s’explique par les différentes structures de pouvoir et de contrôle qui agissent sur les individus (Martuccelli, 2005). C’est dans une fausse conscience des réalités de classe (Mitchell, 2012) ou dans une illusion objective de l’action (Martuccelli, 2005) que le maintien de la société se produit.

La théorie de l’habitus de Bourdieu (1979) est l’une des théories critiques de la domination et de la reproduction les plus connues. À travers le concept d’habitus, Bourdieu propose une socialisation dite différenciée. L’habitus peut être compris comme l’ensemble des dispositions incorporées par l’individu

78 Il a entre autres été reproché à l’approche fonctionnaliste de produire, à la suite de la théorie de Parsons, des individus

qui guide ses manières de penser, d’agir et d’être (Schmitt & Bolliet, 2008). L’habitus présente une double dimension, institutionnelle et individuelle. D’abord, par la socialisation au travers des institutions, dont l’école, la reproduction des structures sociales s’effectue. Ensuite, par la socialisation familiale, qui se produit par la transmission de l’habitus de classe, la reproduction de la société s’effectue également sur le plan individuel (Dubar, 2010; Schmitt & Bolliet, 2008).

Dans ce contexte, l’école est vue comme un appareil idéologique de l’État servant principalement aux intérêts des groupes sociaux dominants (Snyders, 1976; Wotherspoon, 1998). Elle serait un lieu de contrôle (Duru-Bellat & Van Zanten, 2006) et de reproduction des inégalités sociales (Bourdieu & Passeron, 1983; Jourdain & Naulin, 2011). Plusieurs stratégies seraient mises en œuvre par les groupes dominants afin d’assurer la reproduction sociale par l’école, par exemple la division automatique entre bourgeois et prolétaires à l’école chez Baudelot et Establet (1979) ou la violence symbolique chez Bourdieu et Passeron (1983).

De manière globale, cette lecture de la socialisation et de l’école par les théories macrosociologiques, ici fonctionnalistes et critiques, où l’intégration sociale et la reproduction sont respectivement mises de l’avant, pourrait représenter une valeur heuristique pour la thèse. En effet, le choix du cégep anglophone, l’expérience d’études collégiales en anglais et le processus de socialisation à l’anglais dans la suite du parcours chez des francophones du Québec pourraient s’étudier au travers des idées fonctionnalistes d’intégration sociale et linguistique, tandis qu’en termes marxistes, la thèse traiterait des mécanismes de reproduction sociale par le cégep anglophone. Or, dans ces théories, l’individu – qui est au cœur de la thèse – demeure confiné aux structures sociales alors que la perspective de l’acteur est peu présente. Autrement dit, au sein de l’approche fonctionnaliste et des théories critiques « l’individu n’est que l’envers du système social » (Martuccelli, 2005), ne devenant qu’une « pâte à modeler » pour la société (Schmitt & Bolliet, 2008). En effet, dans ces théories macrosociologiques, la socialisation est définie en tant qu’intégration sociale et culturelle rendue possible par un conditionnement plutôt inconscient (Dubar, 2010). Ce faisant, l’identité de l’individu se structure par l’intériorisation et l’incorporation des normes (Martuccelli, 2005). En outre, sont niées les différentes affiliations et appartenances qui caractérisent l’individu, mais aussi sa capacité à effectuer des choix, à être réflexif et à négocier son identité (Schmitt & Bolliet, 2008). Au regard de ces critiques, les approches compréhensives apportent un nouvel éclairage sur la socialisation et, plus largement, sur la sociologie de l’éducation, en rendant compte du déclin de l’institution.