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L’identité et les rapports identitaires aux communautés linguistiques

CHAPITRE 2 RECENSION DES ÉCRITS

2.2 Les langues dans les parcours étudiants à l’enseignement supérieur

2.2.2 Les parcours étudiants à l’enseignement supérieur en anglais au Québec

2.2.2.5 L’identité et les rapports identitaires aux communautés linguistiques

Les parcours étudiants à l’enseignement supérieur en anglais au Québec ont aussi été étudiés sous l’angle de l’identité et des rapports identitaires aux communautés linguistiques. En effet, des étudiants ayant des profils linguistiques divers (anglophone, allophone et francophone) se trouvent à jongler avec les identités anglophone et francophone présentes au sein d’un Québec francophone et d’un établissement d’enseignement anglophone.

Pour des jeunes issus de l’immigration rencontrés dans le cadre d’une recherche qualitative menée à Montréal (Magnan, Darchinian, & Larouche, 2016), il s’avère que les interactions vécues dans un établissement collégial puis universitaire anglophone mènent au maintien d’une identité liée au pays d’origine et à l’ajout d’une identité canadienne ou montréalaise, alors que pour les étudiants issus de

l’immigration qui ont réalisé une scolarité collégiale puis universitaire en français, le contact avec des étudiants francophones permet d’amenuiser les tensions entre les groupes linguistiques et l’identité tend à devenir plurielle et non dichotomique.

Une recherche qualitative (Groff et al., 2016a, 2016b) a été menée au campus St-Lawrence du Collège Champlain à Québec auprès de jeunes appartenant à des minorités linguistiques (entendu ici comme des jeunes qui parlent une langue autre que le français à la maison). Cette recherche nous amène à bonifier notre compréhension des rapports aux groupes linguistiques et à la structuration identitaire qui en découle. En effet, en examinant les expériences et les discours de ces jeunes, il appert que les tensions entre les groupes linguistiques qui peuvent s’observer dans la région de Québec sont entretenues chez des étudiants du cégep anglophone. Au travers des discours recueillis auprès de jeunes de minorités linguistiques, il s’avère qu’une image de fermeture d’esprit est associée aux francophones, tandis qu’une image de supériorité liée à la connaissance de l’anglais est associée aux étudiants non francophones. Ces jeunes, de minorités linguistiques officielles (pour les jeunes anglophones) et non officielles (pour les jeunes allophones), s’identifient à un groupe « majoritaire » en invoquant des sphères nationale et internationale où l’anglais domine et en rejetant une identité « minoritaire » au sein d’une sphère régionale et provinciale73.

2.2.2.6 La transition vers le marché du travail

Les recherches sur les parcours étudiants à l’enseignement supérieur en anglais au Québec ouvrent la voie à la question de la transition professionnelle et à la place des langues dans les parcours professionnels des jeunes qui ont réalisé des études collégiales et universitaires en anglais.

D’un côté, deux recherches datant d’environ quarante ans nous informent sur les intentions professionnelles d’étudiants des établissements d’enseignement de langue anglaise à cette époque. La recherche quantitative de Greenblatt (1982) auprès d’étudiants du Collège John Abbott montre que le choix de carrière n’était souvent pas arrêté au moment des études collégiales et que ce qui influençait les choix de carrière concernait les ressources mises à la disposition des étudiants, les

73 Il est intéressant de souligner qu’une recherche analogue menée auprès de jeunes provenant du secondaire anglophone

à Québec montre que le passage par l’université francophone et la rencontre de l’Autre francophone génère des reconfigurations identitaires. Or, si une traversée des frontières linguistiques se produit pour le parcours scolaire, cela ne signifie pas qu’une traversée des frontières identitaires se produit, ce qui laisse penser que l’école secondaire de langue anglaise demeure un ancrage identitaire fort (Magnan, 2010).

parents, les amis, les enseignants ainsi que les expériences de travail vécues. Il semble que la langue n’était pas forcément considérée dans l’examen des choix de carrière des étudiants. L’étude quantitative de Johnson (1979) auprès d’étudiants francophones et anglophones de l’Université McGill indique, quant à elle, que dans les intentions de travail – et plus spécifiquement dans les intentions quant au type de milieu linguistique préféré – les francophones souhaitaient davantage travailler dans un environnement bilingue tandis que les anglophones privilégiaient un environnement uniquement anglophone.

D’un autre côté, des recherches plus récentes nous éclairent sur les réalités actuelles de la transition vers le marché du travail d’étudiants ayant réalisé des études en anglais à l’enseignement supérieur. D’abord, il s’avère que tant chez les anglophones que chez les allophones et les francophones, le fait de réaliser des études à l’enseignement supérieur en anglais augmenterait la probabilité de s’intégrer à des sphères anglophones. C’est ce que conclut Maheu (2010) dans ses analyses réalisées à partir de données de l’Enquête nationale sur les diplômés de Statistique Canada. En effet, l’obtention d’un diplôme d’un établissement d’enseignement supérieur de langue anglaise augmenterait sensiblement les chances, une ou deux années après la fin des études, de travailler en anglais et/ou de travailler à l’extérieur du Québec (dans le reste du Canada). Ce constat serait le même chez tous les groupes linguistiques (francophone, allophone et anglophone). Ainsi, chez les francophones qui ont étudié dans un cégep anglophone, 67 % travaillent en français comparativement à 95 % chez ceux qui ont étudié dans un cégep francophone. Chez les francophones qui ont étudié en anglais à l’université, 53 % travaillent en français comparativement à 93 % chez ceux qui ont étudié dans une université francophone.

Des travaux ont été menés de manière plus précise auprès des jeunes allophones ou issus de l’immigration. La recherche de Béland (2009), réalisée à partir des données du recensement canadien de 2001, montre que la langue maternelle ou le pays de naissance des allophones74 ont davantage

d’influence sur les pratiques linguistiques que la langue d’études au collégial75. Les résultats indiquent

74 L’auteur explique que si les francophones fréquentent aussi les cégeps anglophones, leur proportion serait trop faible

comparativement à celle des allophones. Ainsi, seuls les allophones ont été retenus aux fins des analyses.

75 Béland (2009) reprend alors la terminologie proposée par Castonguay (1994) afin de distinguer les allophones dont la

langue maternelle est l’anglais ou dont le pays d’origine est davantage associé à l’anglais (ex. : Inde) comme étant des allophones « anglotropes » et les allophones dont la langue maternelle est le français ou le pays est plus associé à la langue française comme étant des allophones « francotropes » (ex. : Maroc).

que pour les allophones qui ont fréquenté le cégep anglophone, les transferts linguistiques vers l’anglais, dans les pratiques liées à la vie privée et dans le marché du travail, ne s’expliquent pas par leur langue d’études, mais plutôt par leur origine.

Dans sa thèse doctorale, Darchinian (2018) a étudié les parcours d’orientation linguistique et professionnelle de jeunes adultes issus de l’immigration vivant à Montréal et dont la majorité est considérée comme faisant partie des minorités visibles. Ces jeunes adultes qui proviennent du secondaire français ont choisi de réaliser des études postsecondaires en français ou en anglais et, au moment de l’entrevue, sont sur le marché du travail. Les résultats de la recherche montrent que les frontières linguistiques majoritaire et minoritaire les conduisent à vivre des rapports de discrimination et d’exclusion qui teintent leurs choix d’orientation professionnelle. En effet, ceux qui ont vécu des expériences de discrimination dans les milieux de travail francophones tendent à se diriger vers les milieux de travail anglophones, et ce, même si le français est leur langue maternelle.

Enfin, du côté des étudiants francophones et allophones, l’Enquête sur les comportements linguistiques des étudiants du collégial réalisée par l’Institut de recherche sur le français en Amérique (Sabourin et al., 2010a) nous renseigne également sur des facteurs prospectifs. Lors de l’enquête – qui a eu lieu au moment des études collégiales – les intentions quant à la langue des études universitaires ont été documentées et il s’avère que 80 % des francophones inscrits dans un cégep anglophone souhaitaient étudier en anglais à l’université. Pour les auteurs, la scolarisation dans un cégep anglophone s’inscrit dans un projet sur la durée où l’anglais occupe une place importante. En outre, en ce qui concerne les intentions des étudiants francophones du cégep de langue anglaise quant au marché du travail, 73 % souhaitent travailler au Québec, 17 % planifient travailler à l’extérieur du Québec et 10 % pensent travailler à la fois au Québec et à l’extérieur de la province. Pour 54 % des francophones, la langue de travail anticipée est l’anglais, 19 % choisissent le français et 25 % pensent utiliser les deux langues (anglais et français). Ces données amènent les auteurs à avancer que :

Dans l’ensemble, on peut donc soutenir que la fréquentation d’un cégep anglais, du moins dans l’esprit des répondants, est un prélude à une vie publique qui se poursuivra en anglais au moins la moitié du temps chez plus de 90 % des allophones et 80 % des francophones. (Sabourin et al., 2010a, p. 44)

Des nuances sont tout de même émises par les auteurs, puisqu’il n’est ici question que d’intentions, que les données concernent presque exclusivement la région de Montréal alors que les autres régions

sont absentes de l’Enquête et, enfin, qu’il ne s’agit que d’une analyse descriptive qui ne permet d’isoler que les facteurs qui sont les plus importants.

En somme, cette sous-section de notre recension des écrits, qui porte sur les parcours étudiants à l’enseignement supérieur en anglais au Québec, montre que les parcours ont été étudiés sous l’angle des facteurs de choix, des rapports entre les groupes ethnolinguistiques, des rapports aux langues et des pratiques linguistiques, des expériences étudiantes, de l’identité et des rapports identitaires aux communautés linguistiques ainsi que de la transition vers le marché du travail du point de vue linguistique. Il nous semble maintenant pertinent de clarifier notre question et nos objectifs spécifiques de recherche.